Intervention de M'jid El Guerrab

Séance en hémicycle du mercredi 5 février 2020 à 15h00
Débat sur la politique de développement et de solidarité internationale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaM'jid El Guerrab :

… écrivait Emmanuel Bove dans son livre Le Pressentiment, paru en 1935. Cette citation peut s'appliquer parfaitement à notre politique d'aide publique au développement, dont l'intention est à la fois louée et discutée. Louée, car la France fait partie des quelques pays dont l'aide extérieure repose à la fois sur des dons et sur des prêts à taux avantageux, et se traduit en cinq priorités : la stabilité internationale, le climat, l'éducation, l'égalité entre les femmes et les hommes et la santé. Discutée, parce que bien souvent illisible, vue par certains comme insignifiante et relevant d'une multiplicité d'acteurs – elle comporte en effet vingt-quatre programmes budgétaires distincts, répartis entre treize missions gérées par quatorze ministères, à quoi s'ajoutent les contributions de plusieurs opérateurs publics, des collectivités territoriales, des ONG, des entreprises, des fondations, et d'autres encore.

Or, l'Arlésienne qu'est devenu le projet de loi d'orientation et de programmation de la politique partenariale de développement et de solidarité internationale, ou LOPDSI, peut légitimement nourrir quelques interrogations. Repoussés par deux fois, des éléments techniques comme le doublement des financements transitant par les collectivités territoriales ou le respect des « contrats de Cahors » ont, semble-t-il, retardé l'examen de ce projet de loi. Aux dernières nouvelles, il devrait être examiné durant le second semestre 2020.

En tant que député de la neuvième circonscription des Français de l'étranger, ceux du Maghreb et d'Afrique de l'Ouest, je vous le dis, chers collègues, ces atermoiements technocratiques paraissent incompréhensibles et hors sol au vu de l'urgence des enjeux démographiques, climatiques et sécuritaires en Afrique, et particulièrement au Sahel.

Certes, la mission APD a affiché une hausse de près de 7 %, mais le Gouvernement a pris du retard sur son objectif de fixer la part de l'APD à 0,55 % du revenu national brut d'ici 2022. Pour le rattraper, il lui faudrait mobiliser 5 milliards d'euros supplémentaires sur les deux prochaines années. À l'échelle mondiale, ce ne sont pas moins de 1 000 milliards de dollars qu'il faudrait investir dans les ODD, les objectifs de développement durable, pour faire sortir le monde de la pauvreté.

Par ailleurs, notre politique d'APD à l'international ne devrait jamais être dissociée des programmes de développement sur le territoire national. C'est pour cela que je souhaiterais voir relancer le projet avorté de rapprochement entre l'AFD, l'Agence française de développement, et la Caisse des dépôts et consignations – CDC – ou, à tout le moins, renforcer les synergies entre les deux institutions, dont les modalités de coopération avaient fait l'objet d'une charte d'alliance stratégique signée fin 2016 pour une durée de cinq ans. Rapprocher l'AFD et la CDC, c'est consolider notre politique de développement et de solidarité en France et à l'étranger. C'est créer une KfW – Kreditanstalt für Wiederaufbau, ou établissement de crédit pour la reconstruction – à la française, qui serait la première institution publique de développement dans le monde. C'est nous donner les moyens de nos ambitions.

Toutefois, ce rapprochement souhaité entre deux grands groupes financiers ne doit pas nous exonérer d'une politique d'aide au développement plus humaine, davantage en contact avec les porteurs de petits projets. C'est là un reproche qui nous est régulièrement fait par les ONG, les diasporas ou les collectivités territoriales. De Bougouni, au Mali, à Aurillac, ville que je connais dans le Cantal, elle ne doit plus être ce totem inaccessible. Les députés du groupe Libertés et territoires mesurent chaque jour combien nos collectivités territoriales ont la capacité et la volonté de soutenir des projets locaux au moyen de l'APD.

De manière générale, je souhaite que l'action extérieure de la France et notre APD ne fonctionnent plus en silos, mais qu'elles agissent comme un ensemble interdépendant et au plus près des populations bénéficiaires. Que chacun comprenne ce que la France fait et donne, et l'utilisation qui en est faite localement. La culture, les arts, la formation professionnelle et l'éducation ne doivent plus être les grands oubliés des politiques de développement. Nous allons assurément gagner la bataille militaire au Sahel, mais nous devons également semer le savoir là où s'est enraciné l'obscurantisme.

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