Depuis le début des concertations, le Gouvernement a mis en avant le fait que la solidarité était au coeur de sa réforme des retraites, qu'il voulait bâtir un système plus juste, plus solidaire et plus équitable. Aussi le groupe Libertés et territoires, très attaché à un système par répartition, solidaire et redistributif, a-t-il regardé attentivement les mécanismes de solidarité prévus par le projet de loi, avec une question en tête : le futur système sera-t-il réellement plus solidaire, notamment pour ceux ayant une faible pension ? Certes, une pension minimale est prévue dans le futur système au niveau de 85 % du SMIC. C'est un engagement important pour améliorer la situation actuelle. Néanmoins, nous nous interrogeons sur la double condition qui sera imposée pour en bénéficier puisqu'il faudra, d'une part, respecter une obligation de durée d'assurance de 43 ans et, d'autre part, prendre sa retraite à l'âge d'équilibre prévu, soit 65 ans. Cette double condition ne risque-t-elle pas de s'appliquer au détriment des personnes ayant eu une carrière longue avec de faibles revenus ? Par ailleurs, pourquoi attendre 2025 pour faire passer le minimum retraite des non-salariés agricoles de 75 % à 85 % du SMIC, alors qu'en moyenne leurs pensions ne dépassent pas 750 euros, bien en deçà du seuil de pauvreté ? Enfin, rappelons que le minimum contributif atteint aujourd'hui 970 euros, ce qui relativise grandement la portée de la mesure proposée au-delà des agriculteurs et des indépendants.
Deuxième interrogation : le futur système sera-t-il plus solidaire pour les femmes ? Leurs pensions sont inférieures de près de 40 % à celle des hommes : la réduction de cette inégalité doit donc être au coeur de la réforme. Le dispositif-clé du projet de loi consiste à attribuer pour chaque naissance une majoration de 5 % des points acquis par les assurés au moment du départ à la retraite, pour un seul des parents, une majoration supplémentaire de 1 % étant attribuée à chaque parent d'au moins trois enfants. L'avantage ici se comprend bien : il s'agit de compenser le préjudice de carrière dès le premier enfant. Néanmoins, rappelons qu'aujourd'hui deux dispositifs se complètent : d'une part, une majoration de trimestres dès le premier enfant – quatre trimestres dans le public et huit trimestres dans le privé – et, d'autre part, une majoration de pension de 10 % à partir du troisième enfant pour chacun des parents. La réforme prévoit que la majoration de points n'interviendra que si l'assuré a acquis un nombre minimal de points, défini par décret. Or, à l'heure actuelle, nous n'avons pas d'indication sur ce minimum de points, alors que cela conditionne fortement la portée du dispositif. Ainsi, même si la majoration de pension intervient dès le premier enfant dans le nouveau système, je crains que le dispositif ne soit défavorable pour les parents de trois enfants et plus, tant s'agissant de la majoration des pensions que de la possibilité d'un départ anticipé.
Enfin, le système sera-t-il plus solidaire des aidants et des personnes en situation de handicap ? C'est une question primordiale puisque les travailleurs handicapés connaissent un taux d'emploi plus faible que le reste de la population, et que les quelque 8 millions de personnes qui soutiennent un proche en perte d'autonomie le font au détriment de leur carrière. Les attentes sont donc immenses. Il faut selon nous, et j'insiste sur ce point, appréhender différemment les situations des aidants car elles ne sont pas les mêmes selon que ceux-ci viennent en aide à un enfant handicapé ou à une personne âgée, selon qu'ils aient 18 ans – cela existe, je pense à ces jeunes qui accompagnent leurs parents – ou 60 ans et plus, selon que la personne aidée bénéficie de la prestation de compensation du handicap ou non. La stratégie de mobilisation et de soutien des proches aidants, présentée en automne dernier par le Gouvernement, a permis plusieurs avancées. Ainsi, dès octobre 2020, le congé de proche aidant indemnisé sera automatiquement pris en compte au titre des droits à la retraite. Mais seulement 60 % des aidants travaillent. Qu'en sera-t-il pour toutes les personnes hors de l'emploi ? Il en est de même pour les personnes en situation de handicap, dont les parcours varient selon l'âge où le handicap se manifeste et selon le métier exercé. Les réponses à apporter doivent donc être multiformes et adaptées. Or cette réforme provoque de nombreuses inquiétudes chez les personnes handicapées et chez les aidants familiaux. Si, dans les grandes lignes, les dispositifs existants resteront quasiment inchangés, qu'en sera-t-il de la fin des majorations de trimestres pour les parents d'enfants handicapés et pour les aidants ? Qu'en sera-t-il de l'âge de départ à la retraite à taux plein ? Quant au nouveau dispositif – la majoration de points pour les périodes d'aidant – , ses modalités étant précisées ultérieurement par décret ; il est donc difficile d'en connaître les réels impacts.
Finalement, si la réforme que nous examinons actuellement en commission spéciale présente des avancées intéressantes, les dispositifs de solidarité sont encore largement perfectibles si on souhaite réellement établir un système plus juste et plus équitable. À nous, parlementaires, d'enrichir désormais le texte.