Les questions internationales occupent à peu près la moitié de mon activité de ministre de l'économie et des finances. C'est dire si elles sont au coeur de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République et le Premier ministre. Avant de répondre aux questions de Mme la présidente, je voudrais rappeler quels sont les grands champs d'activité du ministre de l'économie et des finances dans le domaine des affaires étrangères.
Ma première responsabilité, c'est évidemment de défendre et de promouvoir les intérêts économiques de la France à l'étranger. Cela exige, d'abord, de mener une politique économique qui rende notre territoire plus attractif pour les investisseurs étrangers – c'est là le premier lien avec les affaires étrangères. Je me réjouis que, grâce aux décisions que nous avons prises depuis près de trois ans, la France soit désormais devenue la nation la plus attractive pour les investissements étrangers dans le domaine industriel et en matière de recherche et développement (R&D), deux secteurs absolument stratégiques pour le XXIe siècle.
Je me réjouis également que la France, Paris, soit en passe de devenir la première place financière de l'Union européenne. L'aurait-on imaginé, il y a dix ou quinze ans, en voyant la City triomphante ? Nous profitons évidemment du Brexit, mais nous bénéficions surtout des décisions, parfois extrêmement techniques, qui ont été prises depuis près de trois ans pour attirer les investisseurs étrangers – une place financière particulièrement attractive se gagne autant par des dispositions fiscales que par l'ouverture de places dans les collèges et les lycées internationaux pour permettre aux salariés des banques d'y inscrire leurs enfants.
Dans le cadre de la défense et du développement des intérêts économiques de la France à l'étranger, je me dois aussi, évidemment, de promouvoir les exportations françaises. Nous avons, là aussi, renforcé nos dispositifs et rénové en profondeur le mécanisme de soutien à l'exportation.
Enfin, pour mener à bien cette politique du point de vue strictement national, j'ai comme autre priorité de protéger nos technologies et nos entreprises. Nous avons, pour cela, renforcé le décret sur les investissements étrangers en France d'une double manière. D'une part, nous avons abaissé le seuil de déclenchement du décret sur les investissements étrangers en France, qui permet au ministre de l'économie et des finances de bloquer un investissement étranger dans des technologies que nous jugeons sensibles ou dans des entreprises qui nous paraissent stratégiques. D'autre part, nous avons élargi le champ de ce décret à un certain nombre d'autres secteurs, comme l'agroalimentaire ou les médias.
Dans cette fonction de protection, j'inclus évidemment les conséquences du Brexit, madame la présidente. Si le ministre de l'économie et des finances a une responsabilité, c'est bien de veiller à l'intégrité du marché unique. Les choses doivent être très claires pour nos amis britanniques : nous voulons construire une relation apaisée avec la Grande-Bretagne, tant au plan bilatéral que dans ses rapports avec l'Union européenne. Toutefois, comme j'ai eu l'occasion de le dire au nouveau chancelier de l'Échiquier, aucune décision ne doit être prise qui pourrait affaiblir le marché unique européen. Celui-ci est un de nos acquis principaux, tant économiques que politiques, depuis vingt ans. Il représente 500 millions de consommateurs parmi les plus riches de la planète et est fondé sur des règles et des normes que nous imposons à nos propres producteurs et entreprises. Il est hors de question de laisser l'accès aux marchandises ou aux services britanniques qui ne respecteraient pas rigoureusement, strictement et totalement les règles et les principes fixés par le marché unique.
Si, par exemple, les banques britanniques veulent, dans le cadre du régime d'équivalence, avoir accès aux consommateurs européens, elles doivent respecter les mêmes règles prudentielles et les mêmes normes de contrôle et de supervision que celles qui sont imposées à nos banques. Nos amis britanniques disent vouloir créer « Singapour-sur-Tamise ». Qu'ils le fassent ! Qu'ils abaissent les règles prudentielles et de supervision mais, en ce cas, ils n'auront pas accès à un marché unique dont les règles de supervision et de contrôle sont plus strictes. En ce temps de la négociation avec les Britanniques, il faut que les choses soient clairement dites : les règles sont les règles, et nous n'accepterons pas que celles du marché unique soient fragilisées d'une manière ou d'une autre.
Ma deuxième responsabilité dans le domaine des relations internationales, c'est de développer des relations bilatérales économiques évidemment conformes aux orientations stratégiques fixées par le Président de la République. J'évoquerai, à titre d'illustration, celles qui nous unissent à l'Afrique et à la Russie. Chacun connaît les liens historiques qui nous attachent au continent africain et la volonté du Président de la République de sortir de la logique de la Françafrique. Celle-ci nous a amenés à prendre une décision historique, le 21 décembre dernier, en engageant la réforme du franc CFA avec les pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Nous avons conclu un accord, que j'ai signé avec mon homologue du Bénin, et qui prévoit en ses termes le changement de nom de la zone, le retrait de la France de tous les organes de gouvernance de l'ancienne zone franc et la fin du stockage et de la centralisation à Paris des réserves de change des pays d'Afrique de l'Ouest, qui était devenu un sujet d'irritation majeur pour ces pays – le cordon ombilical qui reliait encore les pays membres de la zone du franc CFA, devenu l'eco, au trésor français se trouve ainsi coupé. Cette réforme historique, qui engage la fin du franc CFA, est une bonne chose. Nous avons toutefois, à la demande des États africains, maintenu une parité fixe pour permettre la poursuite de leur développement économique.
Parler de la Russie, où je me suis rendu très récemment, me permettra à la fois d'évoquer la volonté du Président de la République et de répondre à la question de Mme la présidente sur le développement des échanges économiques et les règles extraterritoriales américaines. Aujourd'hui, qu'est-ce qui empêche le développement de relations économiques beaucoup plus étroites avec la Russie ? Tout simplement le risque de sanctions extraterritoriales américaines, notamment dans le domaine financier. Je me suis donc donné six mois pour trouver des solutions nous permettant de financer des projets – non pas des petits, mais des grands – avec la Russie. Cela suppose que nous parvenions à contourner les règles extraterritoriales américaines qui nous imposent une nature de commerce avec la Russie que nous n'avons pas choisie librement et souverainement. Je partage totalement l'analyse qui a été faite par la présidente : l'un des enjeux majeurs des relations internationales au XXIe siècle est de garantir la souveraineté de nos décisions de politique étrangère qui, aujourd'hui, sont trop souvent soumises aux décisions américaines, notamment dans le secteur financier et économique. Raphaël Gauvain a fait, de ce point de vue, des propositions très intéressantes, que nous sommes prêts à reprendre, parmi lesquelles notamment le renforcement de la loi de blocage, qui doit être rendue plus opérationnelle. Ces propositions doivent nous permettre d'avancer vers plus de souveraineté et de capacité à résister aux sanctions extraterritoriales américaines.
Le renforcement de notre souveraineté nationale est précisément ma troisième grande responsabilité dans le domaine des questions internationales. Il passe par l'affirmation de la souveraineté européenne, car ces deux souverainetés sont aujourd'hui étroitement liées.
La première raison en est qu'il n'y a pas de souveraineté politique sans souveraineté technologique. C'est très bien de proclamer matin, midi et soir, sur sa chaise, « vive la souveraineté politique ! », mais si, demain, les batteries électriques de vos voitures sont chinoises, si vos transmissions sont américaines, si votre 5G est étrangère, si votre capacité d'analyse de l'intelligence artificielle est, elle aussi, aux mains des géants américains, vous pourrez toujours parler de souveraineté : en réalité, vous n'en avez plus. Et si, encore, le contrôle et la surveillance de vos frontières sont assurés par une géolocalisation relevant de la technologie américaine, en fait de contrôle, vous donnez toutes les informations à une puissance étrangère. La souveraineté politique sans souveraineté technologique est creuse. C'est du vent ! Il est donc impératif de bâtir la souveraineté technologique.
Or, compte tenu de l'ampleur des investissements nécessaires, la souveraineté technologique n'est plus à la portée d'une nation européenne seule. Pour les batteries électriques dans les voitures, les investissements nécessaires se chiffrent en dizaines de milliards d'euros. Dans ce domaine, nous avons conclu un accord avec l'Allemagne, ouvrant ainsi, pour la première fois depuis Airbus, une nouvelle filière industrielle européenne. J'accompagnerai le Président de la République, jeudi, pour l'inauguration de l'usine pilote à Nersac, en Nouvelle-Aquitaine. Cette implantation préfigure la première usine de production de batteries électriques, qui sera installée sur le territoire français en 2022 – la deuxième, en 2024, le sera en Allemagne –, avec à la clé des milliers d'emplois européens et une souveraineté sur la technologie clé du stockage de l'énergie électrique dans des batteries.
Nous voulons faire la même chose pour l'intelligence artificielle, l'hydrogène et le calcul quantique. Nous pouvons nous appuyer sur un instrument très précieux : les programmes européens d'intérêt collectif, qui nous permettent enfin d'apporter des aides publiques – je n'hésite pas à employer le terme –, des aides d'État aux industries naissantes qui ont besoin de milliards d'euros d'investissement public pour fonctionner. Il y a là, me semble-t-il, un changement complet d'orientation, du point de vue européen comme national, qui est sain pour nous permettre d'affronter la compétition avec la Chine et les États-Unis. Sachant que les investissements annuels de Huawei dans la seule intelligence artificielle s'élèvent à 15 milliards de dollars par an, je ne vois pas, aujourd'hui, quelle nation européenne, quelle entreprise européenne aurait la capacité de dégager cette puissance de feu. En revanche, si l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne s'y mettent collectivement – pour les batteries électriques, ce sont l'Allemagne, la France et la Pologne qui sont vraiment à la pointe de l'initiative –, nous aurons cette capacité.
Un autre moyen de renforcer la souveraineté nationale et de défendre une vision du développement économique différente de celle qui est portée par la Chine ou les États-Unis, c'est d'aller vers une croissance décarbonée et de nous appuyer, là aussi, sur les ressources européennes pour affirmer une croissance verte. S'il y a une orientation que je défendrai, comme ministre de l'économie et des finances, avec la dernière détermination dans les deux dernières années du mandat d'Emmanuel Macron, c'est bien la croissance durable. Il faut que nous promouvions une nouvelle orientation de la croissance en démontrant que l'on peut conjuguer croissance, renforcement de la lutte contre le changement climatique et accélération de la transition écologique. Là encore, cela passe par des outils nationaux et européens. Nous avons, par exemple, transformé la Banque européenne d'investissement (BEI) en banque du climat : nous avons mis fin à tout financement de sa part des énergies fossiles d'ici à la fin de l'année 2021 ; décidé que 50 % de ses financements seraient consacrés aux objectifs climatiques ; proposé d'augmenter son capital de 10 milliards, afin d'avoir tous les moyens financiers disponibles pour accélérer la transition écologique.
Nous allons également réorienter les garanties export du Trésor, toujours dans le but de favoriser une croissance durable. Les parlementaires – notamment les membres de la commission des finances – ont beaucoup travaillé sur le sujet et m'ont fait des propositions très intéressantes. D'ici au mois de septembre, nous remettrons un rapport sur les garanties à l'export du Trésor pour nous assurer que cette administration ne garantit plus des exportations qui pourraient nuire à la planète et accélérer le réchauffement climatique.
Enfin, concernant la croissance verte et durable, il est un point crucial que nous devons changer, sous peine que nos efforts nationaux restent vains : il ne sert à rien de réduire nos émissions de CO2 en France ou en Europe si c'est pour importer des produits qui augmentent, dans le calcul final, nos émissions de CO2. Or, c'est ce qui se passe depuis quinze ou vingt ans : lorsqu'on constate qu'une production émet du CO2, on délocalise l'usine et on va produire ailleurs les produits qui émettent du gaz carbonique. Ce faisant, on est doublement perdants, puisqu'on perd des emplois en France et on augmente la production de CO2 à l'étranger ; le bilan est totalement négatif. C'est pourquoi nous voulons mettre en place, parallèlement à la politique de décarbonation de notre économie nationale, un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne. C'est un outil stratégique qui suscite beaucoup de controverses avec nos partenaires commerciaux en Chine et aux États-Unis. Il consiste, de la même manière que l'on paye le prix du carbone en France et en Europe, à le faire payer aussi par les produits étrangers qui y entrent en les taxant aux frontières de l'Union européenne. Nous voulons que ce mécanisme d'inclusion carbone s'applique en priorité aux importations d'acier et de ciment, dont on peut le plus facilement mesurer les impacts en termes de CO2, ainsi que sur celles qui auraient l'impact le plus important.
Le troisième élément d'adossement de la souveraineté nationale à la souveraineté européenne est la zone euro. C'est un des sujets qui occupent une grande partie de mon action de ministre de l'économie et des finances, parce que c'est évidemment la garantie de souveraineté la plus forte qui soit entre nos mains. Il est temps que nous accélérions l'intégration de la zone euro ; nous n'avons que trop tardé à prendre les décisions qui feront de l'euro une monnaie de réserve internationale et affirmeront la puissance de la zone euro par rapport à la Chine et aux États-Unis. Il est urgent de mettre en place l'union bancaire, qui nous permettra d'avoir un réseau bancaire plus dense et plus efficace que ce qui existe aujourd'hui. Il est urgent d'instituer l'union des marchés de capitaux, qui permettra à nos start-up en quête de croissance de lever des tickets de 50, 60 ou 80 millions d'euros, au lieu d'aller chercher cet argent auprès des fonds américains ou d'autres bailleurs étrangers. Enfin, il est indispensable de garantir une meilleure coordination des politiques économiques de la zone euro. On ne peut pas avoir une monnaie unique et dix-neuf politiques économiques différentes. Or, je suis bien obligé de constater qu'aujourd'hui les divergences l'emportent sur la coordination, les égoïsmes sur la solidarité.
La France accomplit des transformations majeures. On peut les critiquer, les contester – personne ne s'en prive en France –, mais nous les engageons : nous avons transformé la fiscalité du capital, le marché du travail, le système de formation et de qualification ; nous sommes en train de transformer le régime de retraite par répartition pour en garantir la pérennité. Là encore, toutes les critiques sont possibles, mais on ne peut pas dire que la France, à qui on reprochait de ne pas accomplir suffisamment de transformations économiques, ne les fait pas – et je note au passage qu'elles ont produit des résultats. Nous sommes en droit d'attendre de ceux de nos partenaires qui disposent de marges de manoeuvre budgétaires, tels l'Allemagne et les Pays-Bas, qu'ils soutiennent, par solidarité, la transformation de la France en garantissant plus de croissance par davantage d'investissements publics.
Hélas ! aujourd'hui, l'incohérence est à tous les étages. Au moment où nous réfléchissons au meilleur financement possible de notre réforme des retraites, l'Espagne a décidé, dans le cadre de son nouvel accord de coalition, de revenir sur les règles de financement définies par la réforme des retraites de 2013. Au moment où nous engageons des transformations majeures de notre économie, l'Italie refuse, pour le moment, de pousser plus loin des transformations qui pourraient améliorer la productivité de l'économie italienne. Alors que la croissance est en moyenne de 1 % dans la zone euro, l'Allemagne refuse de dépenser plus d'argent public dans de l'investissement qui alimente la croissance de la zone. Je ne critique aucune nation en particulier, je me contente d'émettre un regret quant à la situation collective de la zone euro qui ne parvient pas à prendre suffisamment son destin en main. Je ferai des propositions dans les semaines qui viennent pour mettre à nouveau chacun devant ses responsabilités, et afin que, tous ensemble, nous trouvions les moyens d'une meilleure coordination au sein de la zone, de façon à gagner de la croissance.
La croissance atteint 6 % environ en Chine et un peu plus de 3 % aux États-Unis.