Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

C'est un nuage de données – c'est poétique. Plus précisément, c'est un hébergement centralisé de données qui offre deux caractéristiques : d'une part, le stockage des données, dans des pièces de la taille de la salle de votre commission, climatisées à une température fixe, ce qui est très coûteux et engendre un vrai problème en termes de respect de l'environnement ; d'autre part, on a tendance à l'oublier, des services associés, qui permettent de valoriser les données stockées.

En Europe, nous savons très bien héberger, mais nous ne savons pas valoriser. Si 90 % des données industrielles européennes sont actuellement stockées par des hébergeurs américains comme Microsoft, Google ou Amazon, ce n'est pas parce que leurs prestations d'hébergement sont meilleures, mais parce qu'ils transforment la donnée en valeur. Par exemple, si votre entreprise fabrique des chemises ou des pantalons, vous pourrez savoir que telle ville en France consomme plus de pantacourts, ce qui vous permettra de mieux cibler la publicité. Pour moi, c'est là un des enjeux de puissance les plus stratégiques de la planète. Nous devons donc nous protéger et être capables d'héberger, de stocker et de valoriser ces données au niveau national.

La deuxième conclusion que je tire, c'est qu'il faut rétablir l'équilibre fiscal. tel est l'objet de la taxation des géants du numérique. C'est une question de justice fiscale : tout le monde doit être taxé au même niveau. « Où en sommes-nous ? », me demandez-vous, madame la présidente. La France a été le fer de lance, et nous pouvons en être fiers, de la taxation digitale. Nous avons été le premier État européen à voter, à l'unanimité de l'Assemblée nationale – et je vous en remercie –, un dispositif permettant, en 2019, de taxer les entreprises du numérique dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros. Même si nous ne sommes pas parvenus à un accord au niveau européen, nous avons été suivis par de nombreux États, ce qui a entraîné la réaction américaine.

Les Américains protestent contre la taxe française, qu'ils jugent discriminatoire, ce que nous contestons. Mais, comme l'a souligné Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), c'est elle qui les a fait revenir au banc de la négociation internationale : ils ont pris conscience du fait que la multiplication de taxes nationales serait beaucoup plus pénalisante pour eux qu'une taxe internationale négociée et adoptée par les membres de l'OCDE. La fermeté a donc payé, et c'est un motif de fierté pour la France !

Afin d'éviter des sanctions, nous avons convenu, en marge du sommet de Davos, avec les autorités américaines et notamment avec mon homologue américain Steven Mnuchin, que les entreprises soumises à cette taxation ne la paieraient pas entre avril et décembre 2020. Que les choses soient claires, il ne s'agit pas d'une suspension ou d'un retrait – impossible, car nous devons respecter le vote du Parlement. Il s'agit d'un décalage de paiement pour laisser les négociations à l'OCDE se poursuivre sereinement et aboutir à un compromis. Si une solution internationale est adoptée en décembre 2020, la nouvelle taxe s'appliquera en lieu et place de notre solution nationale. S'il n'y a pas d'accord à l'OCDE, nous percevrons notre taxe nationale en décembre 2020, dans les termes que vous avez votés.

Troisième conclusion : il faut investir davantage dans l'intelligence artificielle, dans le calcul quantique afin de gagner notre autonomie et notre indépendance dans ces technologies. Si cette thématique est très souvent ignorée des grandes discussions multilatérales, elle est bien plus stratégique que beaucoup d'autres sujets qui occupent le devant de la scène.

Concernant la taxe sur les transactions financières (TTF), nous nous sommes mis d'accord avec l'Allemagne, à Meseberg, pour relancer la coopération renforcée des dix pays, jusqu'à présent bloquée. Nous avons proposé de prendre appui sur la taxe française, qui a fait la preuve de son efficacité – elle rapporte près d'un milliard d'euros par an. Avec mon homologue Olaf Scholz, nous sommes mobilisés pour faire avancer le dossier. Malheureusement, le nouveau ministre des finances autrichien Gernot Blümel vient de s'opposer à la proposition. J'aurai l'occasion de le voir prochainement pour le convaincre de la nécessité de progresser.

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