Intervention de Didier Migaud

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 12h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud :

Merci, monsieur le rapporteur, pour vos propos, auxquels je suis sensible. C'est avec une certaine émotion, en effet, que je me retrouve dans cette salle, même si je ne la reconnais pas complètement puisqu'elle a été sensiblement modernisée.

Je crois beaucoup à la transparence. Ainsi, la LOLF, à l'élaboration de laquelle j'ai contribué, avec Alain Lambert, est un texte de transparence. Cependant, la transparence n'est pas une fin en soi ; elle est un moyen qui doit permettre aux citoyens d'avoir la plus grande confiance possible dans les institutions et dans les décideurs.

En votant les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, le Parlement a souhaité une rénovation profonde du dispositif de promotion de l'intégrité publique, autour d'une nouvelle autorité indépendante dotée de pouvoirs de contrôle étendus. Six ans plus tard, la HATVP est désormais installée et reconnue dans le paysage institutionnel : elle est devenue un maillon important dans la chaîne de prévention des atteintes à la probité et dans la diffusion d'une culture de l'intégrité. Preuve a été faite qu'il était possible d'instaurer un contrôle efficace des déclarations de patrimoine et d'intérêts des plus hauts responsables publics du pays, en utilisant pleinement les pouvoirs d'enquête et d'injonction qui manquaient à la Commission pour la transparence financière de la vie politique – j'ai pu le mesurer en tant que membre de droit de cette commission, au titre de mes fonctions de Premier président de la Cour des comptes.

Plusieurs lois successives ont conforté ce dispositif en élargissant le champ des déclarants soumis au contrôle de la HATVP. De nouvelles missions ont été confiées à cette autorité, dont la tenue du répertoire des représentants d'intérêts, sur lequel je reviendrai. Enfin, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, tout en rénovant le contrôle des allers-retours des fonctionnaires entre le public et le privé, lui a confié certaines missions qui incombaient jusqu'alors à la Commission de déontologie de la fonction publique, dans un cadre profondément renouvelé.

Les chiffres rendus publics sont parlants : plus de 15 800 responsables publics sont aujourd'hui soumis à l'obligation de déposer des déclarations de patrimoine et d'intérêts auprès de la HATVP ; plus de 2 000 déclarations sont contrôlées chaque année et 73 dossiers ont été transmis à la justice depuis 2013, ce qui représente, il faut le souligner, moins de 1 % des personnes contrôlées.

Ce résultat tient avant tout – vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur – à l'énergie et à la ténacité de Jean-Louis Nadal, qui a fait de l'institution ce qu'elle est aujourd'hui et à qui je tiens également à rendre un chaleureux hommage. Si vous confirmez la proposition du Président de la République, je serai fier de lui succéder. Cette perspective s'inscrirait dans la continuité de mon engagement constant au service de l'intérêt général et de l'exemplarité de la vie publique.

Née d'un scandale financier, la HATVP a été créée pour contribuer à renforcer la confiance entre les citoyens et celles et ceux qui incarnent l'État. Face à cette demande pressante de transparence, de probité et d'impartialité de l'action publique, il est plus que jamais nécessaire de renforcer cette confiance. Il faut aussi gérer un paradoxe, mis en lumière par le grand débat national – auquel nous avions porté une attention particulière au sein des juridictions financières. En effet, si la confiance de nos concitoyens dans la politique a reflué, comme le démontrent année après année les enquêtes du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), ceux-ci restent profondément attachés à la démocratie et manifestent une véritable aspiration à ce que leur point de vue soit davantage pris en compte dans les choix de politique publique.

Dans ce contexte, les principes qui guident l'action de la HATVP et fondent ses décisions sont essentiels. Ils me semblent résumés dans ces trois mots chers à Jean-Louis Nadal : indépendance, contradictoire, collégialité. Mon action s'inscrit pleinement dans ces valeurs ; je les ai défendues et appliquées sans relâche pendant les dix années que j'ai passées à la tête de la Cour des comptes.

Il n'y a pas de contrôle crédible sans indépendance. Au reste, le législateur a été très clair sur le fait que les décisions de la HATVP devaient être prises sans influence du pouvoir politique. Celle-ci décide librement de ses contrôles, dans le respect des textes, et son indépendance s'accompagne d'un devoir renforcé d'impartialité et de rigueur. Il convient d'être exemplaire à cet égard. J'aime à le répéter : être indépendant, cela veut dire formuler ses constats sans le souci de plaire ou de déplaire, en ne raisonnant qu'à partir de la loi et des faits, guidé par le seul souci de l'intérêt général.

Il faut aussi que cet impératif d'impartialité s'accompagne d'un certain courage, celui de dire ce qui ne va pas et, au besoin, de sanctionner ou de faire sanctionner celles et ceux qui contreviennent sciemment aux règles de la probité publique, quels qu'ils soient ; celui, aussi, de ne pas céder à la tentation de noircir le tableau. Il faut également dire quand cela va bien, valoriser, diffuser les bonnes pratiques, et j'y porterai une attention particulière.

La force de la HATVP résulte aussi de sa composition. La collégialité est le rempart le plus efficace contre la subjectivité. Ce collège, qui comporte aujourd'hui huit membres, dont six magistrats, sera enrichi à compter du 1er février de quatre nouvelles personnalités – dont une nommée par le président de l'Assemblée nationale, avec votre accord – qui apporteront une expertise supplémentaire, ouverte sur l'extérieur, dans une discussion qui doit toujours être libre. La diversité des approches n'empêche pas la cohérence des décisions, et ce collège unique, que vous avez défendu lors des débats sur la loi de transformation de la fonction publique, garantira – je m'efforcerai d'y veiller – une doctrine claire, transparente et prévisible sur l'ensemble des sujets de déontologie.

Enfin, le devoir qui s'impose à tout agent public de rendre des comptes à la société, inscrit à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'accompagne du droit d'être entendu. Pour reprendre les mots du philosophe Alain, « longtemps avant de pouvoir critiquer, il faut passer des années à comprendre ». Sans aller aussi loin, le contradictoire éclaire la décision et peut conduire à modifier les constats initiaux ; il garantit également la faisabilité des recommandations sur le terrain. La déontologie est au carrefour de la norme et de la pratique ; elle ne doit pas entraver l'action, mais la conforter. Le conflit d'intérêts n'est pas qu'une définition abstraite inscrite dans la loi, il s'incarne dans des situations concrètes, personnelles, parfois intimes. La prévention des conflits d'intérêts n'est pas innée ; elle impose un effort d'accompagnement, de conseil et de formation.

En mettant en oeuvre le système de la déclaration d'intérêts à la Cour des comptes, j'ai constaté à quel point cette pratique, jointe à celle des entretiens déontologiques, permet de faire un retour sur soi, puis de croiser son propre jugement avec celui d'autrui, à partir de deux questions simples : d'une part, celle de l'interférence entre le champ des fonctions occupées et celui des intérêts détenus ; d'autre part, celle de l'intensité de cette interférence et du doute qu'elle peut engendrer quant à la capacité d'agir de manière impartiale. Une approche réaliste, préventive et éducative de la déontologie, fondée sur un dialogue étroit avec les responsables publics, tel était déjà le sens du rapport rendu en 2011 par la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, à laquelle j'ai participé aux côtés de Jean-Marc Sauvé et de Jean-Claude Magendie.

J'ajouterai une quatrième dimension, qui est celle de la confidentialité des contrôles. L'action de la HATVP a montré, au cours des six dernières années, que transparence de la vie publique et respect de la vie privée n'étaient pas incompatibles.

Quelles sont les perspectives ? À court et moyen terme, l'action de la HATVP doit, à mon sens, se poursuivre dans trois directions.

En matière de contrôle des déclarations, l'année 2020 sera marquée par les élections municipales. Les travaux des chambres régionales m'ont convaincu de l'importance de garantir la probité, la régularité et l'efficacité de l'action publique locale. À travers le contrôle des déclarations de fin de mandat, la HATVP pourra vérifier l'absence d'enrichissement illicite de celles et ceux qui ont été à la tête des exécutifs locaux ces six dernières années. Quant au contrôle des déclarations d'entrée, il permettra de donner d'emblée aux citoyens une assurance sur l'intégrité de leurs nouveaux élus.

Dans cet objectif de célérité du contrôle, l'obtention par la HATVP d'un droit de communication autonome, et non plus exercé par l'administration fiscale comme c'est le cas aujourd'hui, constituerait sûrement une réelle avancée – Jean-Louis Nadal l'a d'ailleurs proposé. Je porterai une attention particulière aux déclarations d'intérêts que la loi a voulues publiquement accessibles. Je serai également attentif à ce que le contrôle laisse une place au droit à l'erreur. Il faut être exigeant sur les informations demandées dans ces déclarations, sous peine de faire perdre toute crédibilité à l'exercice ; il faut distinguer ce qui relève de l'erreur de bonne foi – l'immense majorité des cas –, qui appelle la rectification, et ce qui peut relever de la dissimulation volontaire et de la sanction pénale. Peut-être faudra-t-il intensifier ce travail de pédagogie. Il sera de ma responsabilité, si vous approuvez ma nomination, d'expliquer qui est contrôlé et comment, en dehors de toute mise en cause personnelle mais en rendant compréhensibles les différents mécanismes. L'autonomie de l'Assemblée nationale et du Sénat, par exemple, explique que la prévention des conflits d'intérêts des membres du Parlement relève exclusivement des assemblées. Les progrès accomplis par votre assemblée en matière de transparence sont incontestables, et je crois savoir que la HATVP a tissé des liens étroits avec la déontologue et vos services autour d'une vision partagée ; je m'en réjouis.

La deuxième priorité – le défi est de taille – sera de répondre à la confiance que vous avez témoignée à la HATVP en menant à bien l'intégration, en son sein, des missions de la Commission de déontologie de la fonction publique, ainsi que la mise en oeuvre du nouveau dispositif de pré-nomination qui permettra de sécuriser le recrutement ou le retour d'agents publics après un passage dans le secteur privé. Cette réforme, que vous avez soutenue, entrera en vigueur dans quelques jours, dès le 1er février ; elle fera de la HATVP l'organe de référence pour la déontologie publique. L'instauration d'un mécanisme de subsidiarité faisant de l'autorité hiérarchique le premier décideur sur les questions déontologiques, à l'exception d'un certain nombre de fonctions sensibles, permettra à la HATVP de se concentrer sur les cas les plus complexes ou sensibles, en concertation avec les référents déontologues. Ceux-ci sont en effet les relais privilégiés pour diffuser, au coeur des services, les exigences d'intégrité, de probité et d'impartialité. Il faudra faire vivre ces réseaux que la HATVP a commencé à construire, car la déontologie s'accommode mal d'un pilotage trop lointain.

Dans la mise en oeuvre de cette modernisation profonde du contrôle déontologique des agents, je serai attentif à plusieurs aspects. La HATVP s'inscrira dans une logique d'accompagnement et de pragmatisme, comme elle l'a fait pour les responsables publics, en s'assurant que les obligations de chacun puissent être facilement comprises. Elle n'est pas là pour empêcher les hauts fonctionnaires d'aller acquérir une expérience utile dans le secteur privé, ni pour faire obstacle à ce qu'ils réintègrent leur administration d'origine. L'objectif est de sécuriser ces personnes et de les accompagner dans leurs obligations.

Je serai attentif à ce que les réserves éventuellement émises soient respectées. L'accumulation d'analyses et de recommandations sans impact est frustrante pour nos concitoyens ; le suivi des recommandations de la Cour des comptes a été pour moi un fil conducteur. La HATVP ne sera pas passive : la loi l'a dotée d'un pouvoir d'auto-saisine dont il doit être fait usage. Enfin, la doctrine devra être lisible et prévisible. La HATVP bénéficiera du travail accompli par la Commission de déontologie de la fonction publique, même si ce travail a parfois pu être contesté dans certaines circonstances, d'où la réforme que vous avez adoptée. Il y aura sûrement des évolutions et, le cas échéant, je m'engage à ce que les avis de principe soient publiés, comme la loi le permet.

La troisième priorité est celle de l'encadrement du lobbying grâce au répertoire des représentants d'intérêts, créé par la loi « Sapin 2 ». Longtemps en retard, la France dispose aujourd'hui d'un outil apte à éclairer nos concitoyens sur les relations entre les lobbyistes et les pouvoirs publics. Ce répertoire a été développé selon une approche pédagogique à laquelle je souscris entièrement ; plus de 15 000 actions de lobbying y sont déjà consultables. La crédibilité et l'efficacité du dispositif sur le long terme reposeront toutefois sur la capacité de l'institution à faire usage des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place que vous lui avez donnés. Il s'agit là d'un enjeu majeur : si tout n'est pas public et si les informations déclarées restent globalisées, les représentants d'intérêts ne peuvent se soustraire à l'obligation de justifier avec précision l'exactitude et l'exhaustivité de leur déclaration.

Pour faciliter ces contrôles, des évolutions du cadre législatif et réglementaire seraient sans doute nécessaires – je pense, par exemple, à la précision des informations inscrites dans le répertoire par les représentants d'intérêts et au critère de l'initiative qui figure dans le décret d'application de la loi Sapin 2 qui brouille, à mon sens, la définition de l'action de lobbying, à la fois pour la HATVP et pour les représentants d'intérêts eux-mêmes.

L'extension du répertoire aux relations des représentants d'intérêts avec les collectivités, dont la mise en oeuvre est prévue pour le 1er juillet 2021, devra également être mesurée à l'aune des moyens de la HATVP et du risque de dilution de l'information. C'est un sujet qui préoccupait Jean-Louis Nadal et j'ai le pressentiment que je partagerai cette préoccupation, même si cet objectif me paraît éminemment souhaitable.

Sur ces questions, si vous confirmez ma nomination, nous pourrions identifier ensemble les évolutions opportunes.

Pour conclure, laissez-moi partager avec vous une réflexion de plus long terme. La HATVP a noué des partenariats solides avec la justice, l'administration fiscale et plus généralement avec l'ensemble des acteurs qui oeuvrent à la promotion de la bonne gestion publique et à la prévention de la corruption. Je veillerai à ce que le travail d'intelligence collective initié par mon prédécesseur se poursuive entre les différentes entités impliquées dans ce champ très vaste, afin d'améliorer la complémentarité de nos actions. Une réflexion semble devoir être conduite sur les missions complémentaires développées, peut-être concurremment, par d'autres instances. Il est de notre responsabilité collective que la diversité de nos structures ne nuise pas à l'efficacité du dispositif. Ceci implique des échanges réguliers entre les décideurs à propos d'enjeux communs, dans un climat de franchise et de confiance.

Je suis attentif à la nécessité de rendre des comptes et je me tiendrai à votre disposition pour prolonger les échanges à chaque fois que vous l'estimerez nécessaire.

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