Intervention de Laurent Pietraszewski

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 21h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites :

Je tiens tout d'abord à vous remercier de votre accueil et de me permettre de vous présenter les projets de loi organique et ordinaire instituant un système universel de retraite, dans le prolongement de leur présentation en Conseil des ministres vendredi dernier. Je tiens aussi à vous dire, en préambule, que je suis très heureux de vous retrouver pour démarrer les travaux de votre commission spéciale, car je sais que le débat que nous allons avoir ensemble sur la mise en oeuvre du système universel de retraite est plus qu'attendu – par les Français, bien sûr, mais aussi par vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes la représentation directe de nos concitoyens. Après le temps de la démocratie sociale – même si celui-ci va perdurer – et de la concertation que le Gouvernement a menée depuis deux ans avec les partenaires sociaux et, au-delà, avec les citoyens, nous entrons dans le temps de la démocratie parlementaire, de la discussion sur le fond du projet de réforme.

Conformément à l'engagement pris par le Président de la République devant les Françaises et les Français dans le cadre de son programme, il s'agit de construire la protection sociale du XXIe siècle et de refonder notre système de retraite pour faire en sorte qu'il soit plus juste, plus solide et plus adapté aux transformations du monde du travail de demain. Devant l'ampleur de cette mission qui touche d'abord et avant tout à la refondation de notre pacte social, nul doute que les débats que nous serons amenés à avoir entre nous seront intenses et exigeants. Ils pourront également être vifs, parfois, mais je les souhaite respectueux des positions de chacun et dans l'écoute – je m'y emploierai. C'est, je crois, ce que nous devons à nos concitoyens, avec l'ambition de leur proposer un débat éclairé – c'est également votre volonté, madame la présidente, et celle de tous les membres de cette commission spéciale.

Vous le savez, aucune autre politique publique, sans doute, n'a donné lieu à autant de travaux que la réforme des retraites. En 1991 déjà, dans sa préface au Livre blanc sur les retraites – ouvrage qui a fait date –, Michel Rocard nous disait déjà : « Le contrat entre les générations doit être en permanence réactualisé. » Il nous fixait trois devoirs s'agissant de la retraite, que je veux partager avec vous ce soir : veiller au maintien du pouvoir d'achat des retraités ; préserver les bases de la solidarité entre les générations ; enfin, dans un esprit d'équité, penser à ceux ayant eu les carrières les plus longues sans que celles-ci aient connu d'accélération, pour qui un calcul sur l'ensemble de la carrière est moins pénalisant.

Au fil de ces travaux et des réformes précédentes, les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont eu à prendre des décisions importantes, parfois difficiles, pour contribuer à équilibrer notre système de retraite. Force est de constater qu'en dépit de ces efforts, notre système de retraite reste injuste, complexe, peu lisible et, plus que tout, inadapté à la réalité de notre société, de nos nouveaux modes de vie et de nos parcours professionnels, inadapté aux nouvelles précarités et aux défis de demain.

Parmi les très nombreux défauts du système en vigueur qui justifient la création d'un système universel, on peut ainsi relever, d'abord – sans que ce constat soit exhaustif ou réducteur –, une grande complexité administrative, inhérente à une organisation en deux étages avec quarante-deux régimes. L'illisibilité du système est induite par des jeux de règles aussi nombreux que le sont les régimes, et compliquée par l'inévitable règle de coordination entre les différents régimes. Personne, sur le fond, ne peut avoir une vision claire et simple de sa retraite tout au long de sa carrière.

La redistribution est en réalité inversée, et le système est injuste pour les plus précaires. Favorable aux carrières longues et ascendantes, comme je le rappelais cet après-midi dans l'hémicycle, au détriment des carrières courtes et heurtées, le système actuel de retraite creuse les inégalités, notamment entre les femmes et les hommes, en maintenant un niveau de pension inférieur de 42 % en moyenne pour les femmes à celui des hommes, et en conduisant chaque année 20 % d'entre elles, contre 9 % des hommes, à devoir atteindre 67 ans pour partir à la retraite sans décote. Non seulement notre système actuel ne corrige pas les inégalités de parcours et de vie professionnelle, mais souvent il les aggrave lorsque nos concitoyens sont à la retraite. Les taux de rendement sont très différents d'un régime à l'autre : ils peuvent communément varier du simple au double, et sont source d'égoïsme catégoriel, en opposition aux solidarités interprofessionnelles.

L'inadaptation, je le disais en préambule, est de plus en plus profonde au regard de notre modèle social et économique. Construit sur des logiques de statut ou d'appartenance à telle ou telle entreprise, le système peine à suivre les évolutions des parcours professionnels actuels. Les mécanismes de solidarité qu'il promeut, notamment envers les familles, sont en outre concentrés sur les familles de trois enfants, au détriment de toutes les autres, et bénéficie pour un tiers aux hommes, alors que les préjudices de carrière subis affectent avant tout les carrières des femmes. De ce fait, nos concitoyens ont perdu confiance dans le système de retraite, en particulier les jeunes, qui ne croient plus toujours que la solidarité intergénérationnelle jouera aussi pour eux le moment venu.

Vous le voyez, la transformation de notre système de retraite est un véritable enjeu social, un véritable enjeu de démocratie. Il s'agit de moderniser les règles de retraite pour les adapter au monde d'aujourd'hui et de leur donner la plasticité, l'agilité pour les adapter à ce que sera la réalité du monde de demain. Il s'agit également de proposer un cadre commun à tous les Français, de construire un régime à la fois pérenne et solide, qui renforce l'équité entre les générations, protège mieux les plus fragiles, restaure la confiance et redonne la valeur au travail.

Cette refondation doit préserver le cadre auquel sont profondément attachés les Français – celui d'un système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, où les actifs d'aujourd'hui financent par leurs cotisations les retraites d'aujourd'hui, car tenant compte des carrières de chacun, mais aussi en garantissant un niveau élevé de solidarité, afin de renforcer notre cohésion nationale. Avec le projet de système universel, c'est donc un nouveau pacte entre les générations que le Gouvernement entend proposer. Ce projet est porté par l'ambition de justice sociale et fidèle dans son esprit aux valeurs fondatrices du projet conçu par le Conseil national de la Résistance pour l'après-guerre, appelant à « l'aménagement d'une vaste organisation nationale d'entraide » qui, pour atteindre sa pleine efficacité, devrait présenter « un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu'elle englobe et quant aux risques qu'elle couvre ».

Force est de constater que cette ambition universelle, pourtant clairement affirmée, a reculé sous le poids de chacune des solidarités professionnelles, pour finalement aboutir à la mise en place de nos quarante-deux régimes de retraite, qui, pris individuellement, se révèlent par construction plus vulnérables aux incertitudes du lendemain, car personne ne peut garantir l'avenir de sa profession – qu'il s'agisse de son statut, de son périmètre, de sa démographie prévisible, ou des manières de l'exercer –, ni prévoir ce que seront la croissance économique, l'évolution du monde salarial, l'inflation, les nouvelles formes d'activité, ou encore l'impact sur l'économie des contraintes environnementales et technologiques. De même, le vieillissement rapide de nos sociétés, les fragilités sociales, une anxiété grandissante à l'égard du futur nourrissent les interrogations quant à la solidité de notre protection sociale. Voilà tous les défis auxquels il nous faut répondre. C'est pour cela que nous voulons bâtir un système de répartition plus fort, parce qu'il reposera sur la solidarité de tous ; plus simple, parce que chaque euro gagné comptera et que chaque euro cotisé ouvrira les mêmes droits, quel que soit le statut ; plus juste, parce que les règles seront les mêmes pour tous.

Si un système de retraite ne peut corriger complètement les inégalités qui affectent les parcours professionnels et les parcours de vie, il doit cependant prendre toute sa part à leur résorption. C'est pourquoi le système universel conservera le même niveau de solidarité, pour continuer à éviter que les inégalités entre actifs se reflètent totalement et trop fortement dans les écarts de pension entre retraités, en particulier, comme je le rappelais encore à l'instant, entre les femmes et les hommes.

Avant de présenter ce projet de loi, et parce que le dialogue social est au coeur de son action, le Gouvernement a souhaité mener avec méthode, durant près de deux ans, une concertation particulièrement approfondie avec les partenaires sociaux. À l'issue de ce processus, un premier rapport a été remis le 18 juillet par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye au Premier ministre, lequel, lors d'un discours prononcé le 12 septembre dernier devant les membres du Conseil économique, social et environnemental, a ouvert un nouveau cycle de discussions portant sur quatre grands thèmes : les mécanismes de solidarité ; les conditions d'ouverture des droits à pension ; les conditions de l'équilibre en 2025 et les modalités de pilotage et de gouvernance du futur système ; les modalités de transition des quarante-deux systèmes existants vers le système universel futur et les garanties pouvant être offertes aux personnes en activité. Ces discussions, je voudrais le rappeler, ont donné lieu à plusieurs centaines d'heures de réunion, que ce soient des réunions bilatérales avec les organisations syndicales – il y en a eu 71 –, ou des réunions bilatérales sectorielles – au nombre de 109. Ces réunions ont d'ailleurs encore vocation à se poursuivre, vous le savez, sous la forme de concertations sectorielles qui permettront notamment de préciser un certain nombre de transitions, afin de garantir que chaque profession entre dans les meilleures conditions dans le système universel de retraite.

En parallèle de la concertation avec les partenaires sociaux, une consultation directe des Français a été lancée par le Président de la République, pour prolonger et amplifier la dynamique de participation citoyenne engagée depuis 2018, et pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de s'informer, d'exprimer leurs attentes, leurs inquiétudes et leurs questions autour d'un nouvel enjeu central : l'élaboration du projet de loi. Deux démarches ont en particulier guidé ce processus de concertation au service du débat public : la mise en place d'une plateforme en ligne, qui a permis de recueillir plus de 60 000 contributions, et l'organisation de nombreux débats dans les territoires avec des membres du Gouvernement venus à la rencontre de nos concitoyens. Ces concertations ont conforté la conviction du Gouvernement qu'il est nécessaire de rassembler les Français autour des trois principes qui forment le coeur du projet de système universel de retraite, sur lesquels je me propose de revenir.

Le premier principe est l'universalité. Celle-ci sera la garantie d'une protection sociale plus forte et plus durable, parce qu'elle ne dépendra plus de la démographie de chaque profession et assurera aussi une plus grande liberté et une meilleure mobilité professionnelle. Le système universel fonctionnera par points, comme c'est d'ailleurs déjà le cas pour de nombreux régimes existants, à commencer par celui des retraites complémentaires des salariés du privé, à savoir l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). La valeur du point – thème qui a fait l'objet de nombreux échanges – ne pourra pas baisser ; nous l'avons dit et nous l'avons écrit. Elle sera fixée par les partenaires sociaux, sous votre contrôle. Ce système couvrira toutes les personnes ayant une activité professionnelle en France et, à cotisation égale, leur garantira les mêmes droits. C'est bien là tout le sens de l'universalité. La génération 2004, qui aura 18 ans en 2022, sera la première à intégrer le système universel de retraite, qui ne concernera ni les retraités actuels ni les personnes à moins de 17 ans de leur retraite. Le nouveau système régira par ailleurs, pour tous les autres Français, uniquement les années travaillées à partir de 2025.

Le deuxième principe est l'équité et la justice sociale. Pour faire en sorte de marquer toute la solidarité de notre pays vis-à-vis des Français les plus fragiles, le Gouvernement a fait le choix de créer la garantie d'une pension minimale de retraite de 1 000 euros dès 2022 et de 85 % du SMIC net pour une carrière complète à partir de 2025. La reconnaissance du travail est au coeur du système universel de retraite. S'il est normal que la retraite soit le reflet des carrières professionnelles, il est aussi normal de garantir qu'une retraite minimale soit donnée à ceux qui ont travaillé toute leur vie. La revalorisation du minimum de pension du régime général sera un progrès social majeur pour des milliers de Français : le système actuel de retraite conduit à ce que 38 % des femmes et 22 % des hommes perçoivent une pension inférieure à 1 000 euros par mois et garantit un minimum de retraite à seulement 81 % du SMIC pour les salariés et 75 % du SMIC pour les agriculteurs. Pour toutes ces personnes, et pour de très nombreux indépendants, ce sera donc une avancée immense.

Assurer l'équité et la justice sociale, c'est aussi faire en sorte que le bénéfice du minimum de retraite soit accordé à partir de l'âge du taux plein en abaissant l'âge d'annulation de la décote. Ainsi, ceux qui ont durablement travaillé à temps partiel, ceux qui ont connu des carrières heurtées, ne seront plus pénalisés avec le système universel. Comme je le rappelais tout à l'heure en introduction, ce sont souvent des femmes qui sont concernées : chaque année, 80 000 d'entre elles sont obligées d'atteindre 67 ans pour bénéficier de ce mécanisme de solidarité car elles ne comptabilisent pas suffisamment de trimestres travaillés.

L'équité suppose également d'harmoniser les dispositifs de solidarité et de mettre ainsi fin aux inégalités, par exemple en matière de droits familiaux avec la mise en place d'un dispositif unique de majoration en points de 5 % accordée par enfant, dès le premier enfant.

Grâce à des règles plus simples et unifiées, le système universel favorisera, par ailleurs, l'égalité de traitement de tous, puisque chaque euro cotisé conduira à l'acquisition du même nombre de points pour tous, et de valoriser l'ensemble des périodes d'activité, puisque chaque heure travaillée ouvrira des droits. De même, le barème des cotisations de retraite devra, à terme, s'appliquer de manière identique à l'ensemble des assurés, qu'ils soient fonctionnaires ou salariés des régimes spéciaux, et sera similaire à celui que connaissent actuellement les salariés du privé.

Le troisième principe est la responsabilité, en premier lieu celle des acteurs. Elle suppose que, dans le cadre de la trajectoire définie par le Parlement et le Gouvernement, les partenaires sociaux soient pleinement responsables de la détermination des paramètres assurant le bon fonctionnement du régime universel à moyen et long termes. Il s'agit là d'affirmer notre confiance dans la capacité du dialogue social à construire une démarche concertée, essentielle face à l'enjeu que constitue pour nos concitoyens la retraite.

Cette gouvernance renouvelée accorde aussi une place plus importante aux parlementaires.

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