Permettez-moi d'exprimer d'abord un regret : la concertation, qui a duré deux ans, n'aura pas servi à grand-chose, sinon à aviver les différences. Vous n'y avez convié que les syndicats, ne pouvant, ou ne voulant y associer les formations politiques – du moins quelques-unes d'entre elles. Or les retraites ne relèvent pas seulement de la démocratie sociale ; c'est aussi question de démocratie politique. Tout cela débouche sur un texte illisible, loin de faire consensus.
Pour commencer, ce texte est incomplet. Il est anormal de distinguer, comme vous le faites, l'organisation de son financement. Les deux vont de pair, l'efficacité sociale et l'efficacité financière sont liées. Vous mettez en avant la dimension redistributive de votre réforme, alors que celle-ci est coûteuse et qu'elle aggrave encore les inégalités avec les générations futures. L'inégalité intergénérationnelle est probablement la pire des injustices et à ce titre, il est inacceptable que vous la renforciez. On ignore comment le texte sera financé. Vous vous trompez de réforme ; vous faites erreur sur la méthode.
Certes, comme toute réforme des retraites, le texte renferme des éléments positifs – aménagement des minimums contributifs, amélioration du cumul emploi-retraite, extinction des régimes spéciaux –, ce dont nous nous félicitons. Mais un système de retraite plus juste est le reflet d'un monde du travail où les inégalités, dans la façon dont on construit sa carrière, n'existent pas. Les réformes doivent porter en premier lieu sur les qualifications, l'employabilité, l'accès à la garde des enfants, toutes choses qui permettent d'éviter les carrières hachées. Aucun de ces sujets n'est abordé dans le présent texte, alors qu'il faudrait commencer par améliorer les carrières elles-mêmes. Le système de retraite français est juste dans le principe et très redistributif, mais il est devenu injuste au fur et à mesure que les solutions, plus inexplicables les unes que les autres, s'empilaient.
Notre vision est différente. D'abord, nous considérons que ce système universel – qui figurait d'ailleurs, vous n'avez pas inventé grand-chose, à l'article 16 de la loi de 2010 – ne devrait concerner que les régimes du privé et du public. La convergence des régimes des salariés du privé et des fonctionnaires constitue déjà une réforme d'ampleur, mais vous avez voulu aller plus loin et englober les professions dotées de caisses autonomes. Quelle idée d'aller gêner ainsi ces professions, sans reconnaître leurs particularités ! Cela a rendu votre réforme opaque.
Nous proposons pour notre part de mettre en place un système universel jusqu'à 1 plafond de sécurité sociale (PASS) ; en parallèle, plusieurs régimes complémentaires seront maintenus tandis que les caisses autonomes perdureront, ce qui permettra de respecter les différents secteurs professionnels.
Par ailleurs, il faut accélérer la fin des régimes spéciaux. Les délais que vous proposez – trente, quarante ou cinquante ans – ne sont pas humainement compréhensibles. Où en serons-nous dans dix mandats présidentiels ? Que valent vos engagements pour cinquante ans ?
Il est indispensable de renforcer l'équité du système. Pour atteindre cet objectif, nous proposons de créer un socle commun de dispositifs, centré sur les droits familiaux et l'accompagnement des aidants.
Pour maintenir l'équilibre financier, il ne fallait pas hésiter à repousser l'âge de la retraite à 65 ans. Vous avez préféré, avec l'âge pivot – au demeurant retiré –, rester dans une demi-mesure. Vous auriez dû faire preuve de courage et de responsabilité en assumant de relever l'âge de départ.
Enfin, notre vision de la pénibilité diffère de la vôtre : nous estimons qu'elle doit être objectivée et qu'il convient d'en faire varier les éléments. Il faut supprimer le volet du C2P qui permet de partir plus tôt à la retraite, pour affecter uniquement le compte à la qualification des personnes et à la reconversion professionnelle, car il est des métiers que l'on ne peut exercer toute sa vie.
Je déplore que vous ayez ainsi raté une belle occasion de faire consensus.