Intervention de Adrien Quatennens

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 21h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Cette commission spéciale s'installe, monsieur le secrétaire d'État, mais nous ne vous laisserons pas avancer tranquillement.

Après cinquante-quatre jours de grève, vous avez renoncé à convaincre, donc, vous avez décidé de vaincre. Il vous faudra donc nous écraser nous aussi pour atteindre votre objectif, non seulement parce qu'une majorité de Français rejette votre texte mais aussi et surtout parce qu'après avoir pris l'ensemble des Français pour des idiots en racontant des histoires à dormir debout sur la création d'un régime universel ou d'une réforme juste, simple et pour tous – qui ne correspond en rien à la réalité de votre projet de loi – c'est au tour des parlementaires d'être pris pour des idiots ! Vous nous avez ainsi remis mille pages d'une étude d'impact faussée, truquée, trafiquée, pour rendre votre système par points favorable alors qu'il ne l'est pas.

L'article 10 de votre projet de loi dispose clairement que l'âge d'équilibre ou l'âge pivot, appelons-le comme vous voudrez, c'est-à-dire l'âge qu'il faudra atteindre pour bénéficier d'une pension complète, se décalera génération après génération, ce qui a le mérite d'être clair. Votre projet se résume en peu de mots : faire travailler les gens toujours plus longtemps et toujours davantage au-delà de l'espérance de vie en bonne santé. Bon sang, assumez-le alors que, comme par magie, cette disposition disparaît de l'étude d'impact de votre propre projet de loi ! Comme c'est formidable, l'âge d'équilibre est gelé à 65 ans ! Résultats : aucun des vingt-huit cas-types que vous présentez ne correspond à la réalité que vous préparez. Vous obtenez vingt-et-un gagnants sur vingt-huit – formidable réforme ! – alors que si l'on applique les âges d'équilibre que vous envisagez, les perdants sont largement majoritaires.

Ce soir, nous avons donc le sentiment excessivement désagréable, pardonnez-moi l'expression, d'être pris pour des cons. C'est d'ailleurs ce qu'éprouvent tous les Français depuis plusieurs semaines. Sans défendre le statu quo – les gens partent en effet déjà à la retraite trop tard et trop pauvres –, non, il n'y a pas quarante-deux régimes différents mais vingt-trois selon le ministère de la santé et dix-huit selon le COR. Votre prédécesseur a donc dû ajouter autant de régimes qu'il avait oublié de lignes dans sa déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Non, vous ne créez en rien un régime universel, ce que confirme le Conseil d'État, qui n'est pourtant pas un nid d'Insoumis. Nous l'affirmons quant à nous : vous créez un nombre incalculable de régimes spéciaux, autant que de générations, et c'est une véritable usine à gaz.

Non, il n'y a pas péril en la demeure s'agissant d'un potentiel déficit, que vous avez d'ailleurs vous-mêmes aggravé : 8 à 17 milliards, ce n'est rien comparativement aux 330 milliards que représentent les retraites, aux 127 milliards de réserve, aux 42 milliards d'encours bancaires d'un régime spécial dont vous ne parlez jamais, celui des très riches et des retraites chapeaux, ou aux 60 milliards de dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 en 2019.

Non, ce n'est pas parce que l'on vit plus longtemps qu'il faut travailler plus longtemps ! C'est d'ailleurs le contraire : c'est notamment parce que l'on travaille moins longtemps que l'on vit plus longtemps et également parce que la productivité a augmenté alors que la richesse produite n'a jamais été aussi mal partagée. Travailler plus longtemps aggrave le chômage. Travailler plus longtemps, c'est la solution de celles et ceux qui, comme vous, refusent l'essentiel : partager les richesses produites.

Non, vous ne sauvez pas le système par répartition : vous encouragez comme jamais la capitalisation. Les assureurs et les banques trépignent d'ailleurs d'impatience en attendant l'application de votre réforme.

Non, les femmes ne sont pas les grandes gagnantes de votre système, c'est même tout le contraire, ce qui explique d'ailleurs leur mobilisation !

Non, la valeur d'acquisition du point n'offre pas la moindre garantie sur le montant des pensions !

Non, vous n'avez pas retiré l'âge pivot, même provisoirement, car il demeure dans le projet de loi !

Non, pour financer notre système de retraite, le fait de devoir travailler toujours plus longtemps n'a rien d'inéluctable !

Non, vous ne respectez pas le programme du candidat Macron, sur lequel vous avez été élu, où il était explicitement écrit que vous ne toucheriez ni à l'âge de départ ni au niveau des pensions : maintenant, vous vous apprêtez à faire les deux !

Vous vous présentez en progressistes mais le sens du progrès, alors que la productivité augmente, ce n'est pas de travailler toujours davantage pour gaver les plus riches. Au contraire, c'est de libérer du temps pour toutes les belles choses auxquelles on est en droit d'aspirer après une vie de labeur. Les Français, monsieur le secrétaire d'État, ont bien compris tout cela.

Vous avez déjà perdu la bataille de l'opinion. Ces projets de loi directement inspirés des directives de Bruxelles ne méritent que d'être retournés à leur expéditeur. La France, cette République sociale, n'a pas envie de danser avec vous le BlackRock and roll.

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