S'agissant du texte dans lequel devrait figurer que la valeur du point ne peut pas baisser, j'entends la proposition d'Olivier Véran, auquel je n'ai pas répondu tout à l'heure. Il serait bon de vérifier, d'un point de vue juridique et constitutionnel, s'il serait possible de le préciser dans le projet de loi organique.
La question des régimes autonomes, abordée entre autres par M. Viry, est plus large que le seul régime des avocats auquel il a fait référence. J'ai assisté à plusieurs réunions multilatérales, ou plus techniques, avec des avocats. Comme pour l'ensemble des professions libérales, le montant des charges qu'ils ont à payer sera sécurisé ; leurs inquiétudes concernent en effet la viabilité économique de leur cabinet. L'assiette de la CSG évoluera à leur avantage de manière sensible – c'est vrai aussi pour les agriculteurs et les indépendants – et ce, dès 2022 pour répondre à M. Michels. Elle couvrira tout ou partie de l'augmentation de cotisation, selon les cas que nous avons pu documenter, à savoir 32 000 euros ou plus de 40 000 euros de revenu médian. Le but n'est pas d'augmenter les cotisations des uns pour payer les retraites des autres. Concernant les cas relatifs aux avocats que nous avons pu traiter et transmettre à leurs représentants, on constate une augmentation du montant de la pension comprise entre 10 % et 20 %. Il y a donc une progression relativement limitée des charges – il ne s'agit pas de remettre en question la viabilité économique des cabinets d'avocats, ni même de l'ensemble des professions libérales concernées – et une progression significative des pensions ; soyez rassurés. Je suis disposé à examiner avec vous quelques-uns des cas-types si vous le souhaitez.
S'agissant des régimes autonomes, au sens financier, et quelle que soit la profession, faire le pari de la démographie et de la viabilité à moyen et long termes, avant de déterminer s'il est nécessaire de se rapprocher d'un système universel, ne peut pas être le projet d'une société du vivre ensemble. Cela peut correspondre à des projets très sectoriels, mais pas à un projet collectif et dynamique. Le modèle pourrait être le même que celui qui a été retenu par les pilotes de ligne, bien qu'il ne s'agisse pas d'une profession libérale : créer une redistribution spécifique des plus hauts revenus vers les revenus les plus faibles, pour avoir un minimum de retraite plus important – cela figurait déjà dans le rapport Delevoye. Dès le 18 juillet 2019, nous avions indiqué que nous étions d'accord pour examiner cette possibilité. Il y a tout lieu de trouver des solutions avec les représentants des régimes autonomes. D'autres professions familières du droit, telles que les notaires, sont très au clair quant aux propositions faites.
Madame Fabre, vous m'interrogez sur le partage des droits à la retraite. Nous avons fait le choix du mariage pour la réversion. Nous savons pourtant, comme cela a été rappelé dans l'hémicycle lors des questions au Gouvernement, que de nombreux mariages se soldent par des divorces. La question des droits à la retraite à l'issue de ces divorces est en effet posée, notamment en matière de droits familiaux ou de réversion ; c'est l'objet du rapport demandé à M. Fragonard, attendu pour le 10 février prochain, soit avant l'examen du texte dans l'hémicycle. Serons-nous capables d'intégrer ces dispositions dans le « dur » de la loi, en fonction du contenu du rapport ? Bien sûr. Il alimentera la réflexion de tous les parlementaires.
Monsieur Bazin, vous posez la question des droits familiaux. Je souhaite traiter ce sujet sereinement : les majorations de pension servent à compenser le préjudice de carrière. À titre personnel, je pense avoir été un bon père, me libérant les mercredis pour m'occuper de mes filles, parce que je travaillais les samedis. Mais c'est bien leur mère qui a pris un congé parental à temps partiel et dont la progression de carrière a sans doute été ralentie, quelle que soit la qualité du management et des ressources humaines de son entreprise. Mon expérience est certainement semblable à celle de nombre d'entre vous. La majoration de pension est faite pour compenser le préjudice de carrière, que l'INSEE évalue à 5 % de la rémunération par enfant. La proposition du rapport Delevoye, que nous retrouvons dans le projet de loi, est la réponse à ce préjudice réel qui touche les femmes.
S'agissant de la situation d'un foyer comptant trois enfants, vous avez noté l'augmentation de 2 %, tout en soulignant qu'il n'y avait pas que des familles de trois enfants. Je ne suis pas sûr que les jeunes femmes, aujourd'hui, aient envie d'avoir trois ou quatre enfants ; c'est très bien si c'est le cas, je n'ai pas d'avis personnel sur ce point, mais les statistiques montrent que généralement, elles en ont deux. Le système actuel ne prévoit pas pour ces femmes de compensation du préjudice de carrière sur le niveau de leur pension. Elles bénéficient de majorations de durées d'assurance, dont 20 % ne sont pas utilisés, les carrières des femmes concernées étant complètes. De nos jours, les perspectives des jeunes femmes consistent à construire une carrière professionnelle ; le taux d'activité des femmes, qui continuera à progresser, est de 68 % quand celui des hommes est de 75 %. Elles occupent désormais une place active et professionnelle dans notre société. C'est pour cela qu'il y aura des points de solidarité, notamment dans les situations d'AVPF, ce qui correspond à des attentes évoquées précédemment. Nous devons trouver ensemble la façon de répondre à l'évolution de la société et compenser le préjudice de carrière pour les femmes. Les choix qui peuvent être faits par les uns et par les autres doivent être pris en compte dans le cadre d'une solidarité nationale.
M. Michels m'a interrogé au sujet des avancées prévues en 2022. J'ai parlé de l'assiette de la CSG : le nouveau calcul des charges aboutit à un gain très significatif pour les professions libérales et les indépendants. Le projet de loi rouvre la disposition du cumul emploi-retraite, notamment la possibilité de constituer des droits à partir de 2022 ; il a également élargi, en particulier aux cadres au forfait jours qui en étaient étonnamment exclus, la possibilité d'avoir une retraite progressive. Ce sujet de la retraite progressive est abordé par Olivier Dussopt et Agnès Buzyn dans le cadre d'échanges plus spécifiques à la fonction publique et à la fonction publique hospitalière. En France, ce sujet est peu développé et nous avons tendance à considérer les mesures d'âge de façon défensive : lorsqu'une entreprise est en difficulté, elle propose du travail à temps partiel ou des départs anticipés. Il serait préférable que nous en ayons une approche offensive et dynamique, consistant à construire une progressivité entre les périodes d'activité et les périodes de retraite, pour aboutir à une durabilité au travail.
Monsieur Juanico, comme Boris Vallaud, vous mettez en doute les calculs concernant les cas types qui figurent dans l'étude d'impact – je ne reprendrai pas vos termes, car je les juge excessifs. En réalité – et on peut le vérifier sur internet –, l'âge moyen d'entrée dans la vie active se situe autour de 22 ans. Or, la majorité précédente – et je le dis sans malice, car je crois qu'elle a agi de manière responsable – a décidé, dans le cadre de la « loi Touraine », que la référence collective en matière de durée d'activité devrait atteindre 43 ans en 2035. Les chiffres qui figurent dans l'étude d'impact correspondent simplement à la juxtaposition de ces deux éléments. Dès lors que le système futur doit entrer en vigueur en 2037, nous avons additionné 22 et 43.
Je comprends vos questions, mais cela ne préjuge en rien de l'âge d'équilibre. Celui-ci, vous avez pu le constater, n'est pas inscrit dans le projet de loi, et pour cause : il sera proposé par la gouvernance. En tout état de cause, il nous paraît raisonnable qu'il soit cohérent avec l'âge moyen de départ à la retraite, qui est actuellement de 63,4 ans. Mais il existe une marge de manoeuvre entre 63,4 ans et 65 ans. J'ajoute que cet âge d'équilibre sera dynamique, car il évoluera, et c'est logique, en fonction de l'espérance de vie. Au reste, j'ai cru comprendre que la majorité précédente avait bien prévu que la référence collective, qu'elle avait fixée à une durée d'activité de 43 années, continuerait également d'évoluer en fonction de l'espérance de vie. Elle était en cela fidèle à l'esprit et à la lettre de la loi de 2003, qui prévoit de maintenir un rapport constant d'un tiers-deux tiers entre la durée moyenne d'années passées à la retraite et la durée de cotisation. J'espère, monsieur Juanico, vous avoir convaincu de ma bonne foi et de l'intérêt de cette réforme – mais j'en doute.
Madame Dubié, j'ai évoqué la question des enfants en répondant à M. Bazin.
Madame Rabault, je ne dispose pas de statistiques précises me permettant de vous indiquer le nombre des agriculteurs qui seront en mesure de valider, en 2037, 50 heures au SMIC. Je ne suis pas Mme Irma et je n'ai pas connaissance du modèle économétrique qui me permettrait de vous répondre sur ce point. En revanche, je peux vous indiquer que tous ceux qui parviendront à se rémunérer à hauteur de 50 heures au SMIC par mois – même si, je le sais, les agriculteurs travaillent bien au-delà d'un temps plein – percevront, après 43 années d'activité, 85 % du SMIC. Je rappelle que cette règle s'appliquera également aux salariés précaires, notamment ceux qui sont concernés par le temps partiel subi.
Monsieur Thiébaut, nous ne souhaitons nous priver d'aucun réseau. Si des questions se posent au niveau des CARSAT, nous leur apporterons des éclaircissements. Mais je pense que les réseaux existants perdureront. Des évolutions seront sans doute nécessaires ; elles devront se faire dans la sérénité. Peut-être les sphères de responsabilité évolueront-elles. Cela peut inquiéter, je le comprends. Mais il est de notre responsabilité d'apaiser ces inquiétudes lors de la discussion du texte. En tout état de cause, ces réseaux doivent prendre en compte l'existence d'une caisse de retraite universelle qui aura une responsabilité propre.
Monsieur Girardin, madame Autain, le changement a, certes, quelque chose d'inquiétant, mais le modèle que nous proposons – et cela est démontré à la fois par l'étude d'impact et par les éléments statistiques – servira les plus modestes, les plus vulnérables. Or, je suis convaincu que ceux qui expriment des inquiétudes ont également à coeur que la solidarité s'exerce. Oui, je crois que la construction de ce socle durable et renouvelé de solidarité entre les générations est un élément de la justice sociale dans notre pays.
M. Brun a évoqué la question du simulateur. Il est vrai que nos concitoyens ont besoin d'être rassurés individuellement ; j'en perçois la nécessité dans les questions de la représentation nationale et dans les inquiétudes – excessives, me semble-t-il – que vous avez exprimées, madame Autain. La vision globale que nous défendons pour 2037 doit pouvoir susciter une large adhésion. Néanmoins, il nous faut pouvoir rassurer. À ce propos, je ne crois pas que les plus inquiets soient les plus jeunes. En tout cas, ceux que j'ai rencontrés dans ma circonscription, à Lille ou à Armentières, m'ont dit que, de toute façon, ils ne croyaient pas au système actuel. Ils attendent donc qu'on leur en propose un autre, et celui-ci a intérêt à être convaincant car ils sont exigeants.
En réalité, la question se pose surtout pour ceux qui dépendront en partie du système actuel et en partie du système universel. Mais nous avons besoin, pour leur répondre, de connaître les paramètres définitifs ; ce sera le cas lorsque vous aurez voté le texte. Je souhaite également que la conférence de financement puisse nous apporter ses derniers éclairages sur les ajustements à court terme et sur les perspectives de long terme. Muni de tous ces éléments, je l'ai dit en Conseil des ministres et je le répète bien volontiers devant vous, monsieur Brun – car votre analyse est fine sur ce point –, nous pourrons mettre à disposition de nos concitoyens les mécanismes de simulation individuelle qui les rassureront. Bien entendu, il est plus facile de réaliser une simulation pour une personne qui aura cotisé au régime de base et à l'AGIRC-ARRCO que pour celle qui aura cotisé à trois, quatre ou cinq régimes différents... Mais ces simulations sont indispensables pour que nos concitoyens aient confiance dans la réforme. Je précise, à ce propos, que nous avons d'ores et déjà publié récemment une trentaine de cas-types supplémentaires et que nous en ajouterons de nouveaux dans les jours qui viennent. Plus ils seront nombreux, plus on se rapprochera des situations individuelles.
Monsieur Benoit, votre question sur les fins de carrière est intéressante, car elle est extrêmement concrète. Il est vrai que nos concitoyens ne comprennent pas très bien la différence entre les points de retraite et les points de pénibilité. De fait, il convient de faire la distinction entre ces deux types de points. Ainsi, la valeur des points de pénibilité n'est pas tout à fait la même que celle des points de retraite et leur rôle est différent : les premiers ne permettent pas de liquider une pension.
Mais, au fond, votre question a trait à un sujet d'innovation sociale : comment dynamiser le tutorat et la fin d'activité ? Ce sujet fait partie des thèmes que vous aborderez lors de la discussion du texte. Cependant, je vous réponds de façon très transparente, il me paraît techniquement difficile d'imaginer que le tutorat donne droit à des points de retraite : je crains que cela n'ajoute à la confusion que vous avez évoquée. Mais je ne veux pas pour autant renvoyer cette question aux discussions de branche. Dans mon entreprise, par exemple, le statut de tuteur était reconnu et valorisé par le versement d'une prime spécifique, mais il n'entrait pas dans un dispositif de fin de carrière. Cela dit, votre propos m'a interpellé. Votre contribution est sur la table.
J'ai sans doute oublié de répondre à un grand nombre de députés...
Monsieur de Courson, vous m'avez interrogé sur les fonctions publiques. Je comprends la lecture que vous faites de la réforme, car je connais vos qualifications en matière de cohérence budgétaire, mais il s'agit également d'une question de parcours professionnel. Ainsi, près des trois quarts des agents de la fonction publique territoriale appartiennent à la catégorie C. Ces agents ont des carrières plates, relativement linéaires, et perçoivent peu de primes. Or, le système par points leur sera très favorable ; ils y gagneront forcément. Puisque j'ai préparé notre échange avec le conseil consultatif des normes, je dispose d'un certain nombre de cas types que je peux partager avec vous, si vous le souhaitez. La situation des enseignants, quant à elle, est différente. L'effort qui sera consenti en faveur de ces derniers se chiffre à 0,3 ou 0,4 point de PIB.
Quant au Président de la République, il a toute sa place dans un système universel. C'est, du reste, non seulement l'esprit de la réforme et la volonté du Président, mais aussi, ai-je cru comprendre, la position qu'il entend défendre en matière d'exemplarité.