« Le niveau élevé d'engagement de l'armée de l'air entraîne un besoin de régénération technique et des pertes de compétences dans les savoir-faire non utilisés dans les opérations actuelles (…) Au stade actuel, les perspectives ne laissent pas présager d'une baisse du niveau d'engagement. En conséquence, le déficit organique va continuer à se creuser. »
Ce constat, madame la ministre, est extrait du projet annuel de performance de la mission « Défense », le fameux bleu budgétaire. Comment ne pas être légitimement inquiet quand le Gouvernement lui-même indique que le déficit organique de l'armée de l'air va continuer à se creuser ?
Nous sommes sans nul doute allés trop loin dans les réductions des moyens de l'armée de l'air. Si la chute des effectifs a été brutale pour toutes les armées, l'armée de l'air a supporté près de 50 % des déflations. Tous les métiers sont touchés. Comment pourra-t-elle assurer toutes ses missions, fidéliser les personnels et attirer les plus jeunes ? Elle manque d'aviateurs mais aussi de ravitailleurs, d'avions de chasse, de moyens de renseignement, d'avions de transport tactique, d'équipements pour les missions.
Ce constat me pousse à vous adresser quelques questions.
La première a trait aux conséquences du décret d'avance du 20 juillet dernier. Quand passera-t-on la commande de l'hélicoptère de transport Caracal destiné à remplacer l'un des deux appareils détruit en opération ? Ce matériel est vital, notamment pour la conduite des opérations des forces spéciales au Sahel.
La deuxième concerne les matériels de l'armée de l'air. Si le premier ravitailleur MRTT Phénix est livré l'an prochain, ne faut-il pas, d'une part, accélérer le programme de livraison, d'autre part, augmenter la cible ? Sans ravitailleur, un avion de combat ou un hélicoptère reste cloué au sol.
En troisième lieu, je voudrais vous faire part de mes préoccupations quant aux équipements employés en mission : munitions, nacelles de détection et de désignation de cible par rayon laser. Ne serait-il pas temps de taper du poing sur la table pour que le Mirage 2000D soit enfin équipé de l'A2SM – pour armement air-sol modulaire – et le Rafale de la bombe américaine GBU49 ? Quant aux nacelles de désignation laser, leur nombre avait été jugé « délirant » par mon prédécesseur tant il était faible. Les nacelles optroniques Talios (targeting long-range identification optronic system) arrivent. En l'état, la qualité de nos nacelles paraît pourtant bien inférieure à celle des matériels de nos alliés. Leur faible nombre ne permet pas d'équiper l'ensemble des équipages en opération, et cela pèse sur la formation et l'entraînement des pilotes en métropole. Madame la ministre, cela fait vingt ans, au moins, que l'on parle de ces nacelles, que comptez-vous faire à ce sujet ?
Ma quatrième question porte sur l'impact du surengagement, qui contribue à l'épuisement des matériels et pèse sur la préparation opérationnelle. Un avion volant quatre fois plus en opération qu'en métropole, son potentiel opérationnel s'épuise plus vite et il faut le régénérer plus tôt que prévu. Comment traiter cette question ?
Deux phénomènes me semblent par ailleurs inquiétants : l'allongement de la durée de formation des pilotes et l'amputation d'une partie du contenu de cette formation. La formation des pilotes de Rafale s'est allongée de huit mois, celle des pilotes de Mirage 2000D de neuf mois et celle des navigateurs de dix-huit mois. La formation est dorénavant centrée sur l'essentiel car on manque de cadres comme de matériels, ceux-ci étant déployés OPEX ou mobilisés par le soutien à l'export.
Il en va de même pour l'entraînement des pilotes : un niveau d'engagement important permet de maintenir les savoir-faire de gestion de crise mais tend à fragiliser les autres compétences, notamment les plus complexes. La maîtrise des capacités de niche repose ainsi sur un faible nombre d'aviateurs. Serions-nous prêts, si nous devions combattre dans les airs contre des nations aux moyens équivalents ?
Enfin, j'aurais bien aimé évoquer la question du MCO aéronautique, mais Christian Chabbert, que vous avez chargé d'une mission à ce sujet, a refusé à plusieurs reprises de me rencontrer. Je le regrette. Pourriez-vous néanmoins nous faire part des premières conclusions de son étude ?
Pour terminer, je souhaite, en notre nom à tous, rendre hommage aux aviateurs qui assurent la protection de la France et des Français et défendent les valeurs de la nation. J'ai eu la chance de rencontrer certains d'entre eux dans les bases aériennes de Solenzara, Saint-Dizier, Nancy-Ochey, Mont-de-Marsan, Cazaux ou Lyon-Mont Verdun. Je me suis aussi rendu en Jordanie. Nos aviateurs sont pleinement engagés au service de la nation et de sa protection, et il faut saluer leur professionnalisme, leurs compétences et leur simplicité au regard des missions qu'ils conduisent, souvent dans des conditions difficiles. Beaucoup sont épuisés car ils n'ont pas toujours les moyens de conduire leurs missions.
Nous avons célébré récemment la mémoire des as de la Première Guerre mondiale. Aux côtés de Charles Nungesser, René Fonck et tant d'autres, la figure de Georges Guynemer inspire toujours les aviateurs. Aujourd'hui encore, « faire face » est l'une de leur devise. Tâchons d'honorer la mémoire de ces chevaliers du ciel en donnant à leurs successeurs les moyens de perpétuer leur héritage.