Je ne m'attarderai pas sur les enjeux budgétaires et capacitaires qui ont été analysés de manière très pertinente par mes collègues.
Je m'associe aux encouragements de ceux qui jugent favorablement l'ambition de remontée en puissance exprimée par le Président de la République, chef des armées, et précisée par la Revue stratégique. Cela étant dit, je joins aussi ma voix à ceux qui soulignent la difficulté de l'exercice. Il importe avant tout de consolider l'existant, et, au vu des retards pris et des besoins, les marges de manoeuvre nouvelles ne seront pas considérables, notamment avec le renouvellement de la dissuasion nucléaire.
C'est pourquoi, madame la ministre, je m'inquiète de voir, dans la loi de programmation des finances publiques, adoptée il y a quelques jours, les dépenses de défense plafonnées à 1,7 milliard d'euros supplémentaires par an jusqu'en 2020. Nous avons le sentiment que cette hausse, pour être appréciable, n'est pas suffisante pour atteindre l'objectif de 50 milliards d'euros en 2025, correspondant à 2 % du PIB. Cela risque de placer le Président de la République, élu ou réélu en 2022, devant l'impératif d'accroître le budget de la défense considérablement et de manière immédiate.
En outre, je pense que l'un des chantiers prioritaires de la nouvelle LPM sera la mise à niveau de notre dispositif de surveillance maritime outre-mer, que nous avons trop délaissé. Nous n'avons plus la capacité de protéger notre immense zone économique exclusive, en passe de devenir la première du monde. Nous n'avons plus que quatre patrouilleurs outre-mer, et il n'en restera que deux en 2021.
Il me semble que les Français – ces Gaulois qu'Éric Tabarly qualifiait « d'indécrottables terriens » –, mais aussi les responsables politiques sous-estiment les enjeux maritimes. Pourtant, ils devraient devenir primordiaux au cours des prochaines décennies, dans un contexte où la pression pour l'accès aux ressources et le contrôle des flux vitaux risque de s'accroître. Certains pays ne s'y trompent pas, comme la Chine qui a construit en quatre ans des bateaux tout neufs, équivalant à la totalité de notre marine nationale, et qui développe, à Djibouti, sur nos positions historiques, une énorme base pouvant recevoir jusqu'à 10 000 hommes.
Pourtant, j'entends qu'il n'y a pas encore de consensus quant au degré de priorité à donner à ces enjeux. Le retour aux moyens dont disposait la marine outre-mer en 1982 serait hautement souhaitable : deux patrouilleurs, un bâtiment logistique et une frégate pour chaque territoire ou collectivité. Sans anticiper les travaux de la LPM, pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en est votre réflexion sur cette question et s'il paraît possible de redéfinir une grande ambition maritime pour notre pays.
Je tiens maintenant à élargir le champ du débat à notre politique de coopération militaire, sans laquelle l'autonomie stratégique de la France ne saurait se concevoir pour des raisons financières évidentes.
Les Américains sont, de loin, nos premiers partenaires, mais nous devons veiller à ce que ce partenariat militaire n'ait pas pour effet de lier notre diplomatie. Notre autonomie de décision doit rester entière.
Notre partenariat avec les Britanniques est aussi essentiel. Ils ont, de loin, le modèle d'armée et la culture militaire les plus proches des nôtres, et ils conservent le premier budget de défense en Europe. Certains estiment que cette situation pourrait changer avec le Brexit qui pourrait provoquer un décrochage stratégique du Royaume-Uni. Une chose est sûre : nous n'y avons pas intérêt. Les Britanniques ont récemment exprimé leur volonté de continuer à être associés à la défense de l'Europe. Quelles initiatives concrètes pourrions-nous prendre, madame la ministre, pour répondre à cet appel et relancer notre partenariat militaire, sans pour autant interférer avec les négociations du Brexit ?
Ces derniers temps, nous avons aussi beaucoup entendu parler d'une relance de l'Europe de la défense, qui serait permise par l'action déterminée du couple franco-allemand.
Au sein de l'Union européenne, il est vrai que les problématiques militaires semblent gagner un peu de terrain, toutes proportions gardées. Pour la première fois, la Commission européenne pourrait financer des dépenses militaires dans le cadre d'un fonds européen de défense. La finalité de ce fonds est de stimuler, par un financement communautaire, des projets de recherche et de développement militaire, dans des domaines où des lacunes capacitaires européennes sont identifiées. Pour éviter que ces crédits soient saupoudrés ou qu'ils reviennent à l'industrie de défense américaine, il faut des règles et une gouvernance solide. Pouvez-vous faire le point de la négociation en cours à propos du règlement qui doit régir le fonctionnement du volet capacitaire de ce fonds ?
S'agissant du partenariat franco-allemand, nous pouvons nous réjouir que l'Allemagne s'implique davantage dans les questions militaires en Europe mais aussi dans le Sahel. Toutefois, j'ai quelques réserves vis-à-vis de notre partenariat industriel d'armement. Dans ce domaine, il faut pouvoir coopérer d'égal à égal et définir des besoins harmonisés. Est-ce bien le cas avec l'Allemagne ? Dans quelques années, notre budget d'investissement conventionnel va décrocher par rapport à celui de l'Allemagne qui a l'intention de faire cheminer le sien vers les 2 % du PIB, soit 60 milliards d'euros en 2030, et qui n'a pas à financer la dissuasion nucléaire.
Dans les montages industriels, celui qui finance le plus a une influence prédominante dans la définition des besoins. Or nos besoins sont avant tout opérationnels et ils sont loin d'être alignés sur ceux des Allemands. Je ne citerai qu'un exemple, celui du drone de moyenne altitude et longue endurance (MALE) européen, dont l'étude est financée majoritairement par l'Allemagne. Déjà à ce stade, on s'oriente vers des sur-spécifications qui ne sont pas souhaitables.
Sous réserves de ces observations, captatio benevolentiae, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission défense.