Je commencerai par présenter les principales évolutions de la maquette budgétaire telles qu'elles ont pu être observées depuis la mise en oeuvre de la LOLF en 2006. Dans un deuxième temps, je livrerai quelques premiers éléments de réaction aux propositions faites par la MILOLF, qui s'est penchée sur ces questions de maquette. Dans un troisième temps, je vous ferai part de nos principales orientations et réflexions s'agissant de la conciliation entre la maquette budgétaire et les pratiques de gestion publique, notamment en matière d'organisation et de déconcentration.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, la question peut paraître assez technique mais elle est essentielle. La maquette budgétaire est l'expression même des grands principes budgétaires et le cadre du vote du Parlement. C'est à travers la maquette que s'incarnent les grands principes d'unité, d'universalité, de spécialité, et même de performance puisqu'à chaque programme budgétaire sont rattachés des objectifs et des indicateurs de performance. Du point de vue du Parlement, la maquette est essentielle pour assurer la transparence du vote, en conformité avec les grands objectifs de la LOLF visant à permettre une définition complète des moyens alloués à une politique publique. Mais permettez-moi aussi de faire valoir le point de vue des gestionnaires : il est important dans la mesure où le programme budgétaire est l'unité de « limitativité » des crédits. Les budgets doivent présenter une structure qui assure, dans la pratique, les conditions d'une gestion budgétaire efficace.
En loi de finances pour 2006 comme en loi de finances pour 2020, le nombre total de missions du budget de l'État est de 49 au total. Ce chiffre a cependant varié au cours de cette période, avec un point culminant en 2012, essentiellement du fait du nombre de comptes spéciaux – lequel a quelque peu évolué depuis lors. Si l'on se concentre sur le seul budget général, il y avait 34 missions en 2006 et il y en a 32 en 2020. Le nombre de programmes, quant à lui, est en légère augmentation, passant de 160 à 174.
L'augmentation du nombre de programmes jusqu'en 2014 est essentiellement due aux plans d'investissements d'avenir (PIA). La diminution de 2015 est liée à la rationalisation de la mission Écologie, qui est passée de 11 à 9 programmes, et de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES), qui est passée de 12 à 9 programmes. La loi de finances pour 2018 a vu la création d'une nouvelle mission Action et transformation publiques, laquelle comprend en loi de finances pour 2020 quatre programmes.
On peut aussi relever le nombre de missions interministérielles, qui a été évoqué par la MILOLF. En loi de finances pour 2020, nous avons 17 ministères ordonnateurs et 9 missions interministérielles – sur un total de 32 – au sein du budget général. Il est rare de trouver une unité, une conformité si je puis dire, entre un ministère et une mission. C'est le cas, principalement, de la justice.
Certains ministères portent plusieurs missions budgétaires. Ainsi, le ministère de l'intérieur pilote la mission Sécurité, la mission Immigration, asile et intégration et la mission Administration générale et territoriale de l'État. Dans beaucoup de cas, les moyens des politiques publiques ne sont pas exclusivement retracés dans le budget général : ils passent également par des comptes spéciaux et par des taxes affectées. Si nous regardons les évolutions sur le temps long, au-delà des changements de périmètres ministériels, la principale évolution est celle de la mission Sécurité, qui était à l'origine une mission interministérielle et qui est devenue ministérielle à la suite du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur.
Je souhaite également m'arrêter sur la taille des programmes. Le montant médian des crédits des programmes du budget général se situe aux alentours de 640 millions d'euros, quatre n'étant pas dotés : deux programmes de la mission Pouvoirs publics et deux programmes très spécifiques de la mission Engagements financiers de l'État, telle la dotation au mécanisme européen de stabilité, qui doivent être considérés un peu à part. Ainsi, 17 programmes du budget général et 21 programmes au total sont d'un montant, en loi de finances initiale pour 2020, inférieur ou égal à 50 millions d'euros, tandis que le montant de 13 programmes dépasse 10 milliards d'euros.
Qu'en est-il de la budgétisation par nature de dépense ? Tout l'esprit de la LOLF est de regrouper sur un même programme budgétaire les crédits destinés à une politique publique, donc de ne pas multiplier les programmes supports qui conduisent finalement à considérer et gérer séparément ces moyens.
Le plus commode, pour repérer ces programmes supports, est de s'intéresser à la budgétisation de la masse salariale. Nous constatons effectivement, au fil du temps, une concentration de celle-ci dans un nombre plus réduit – mais pas massivement réduit – de programmes : alors que 80 programmes portaient des dépenses de titre 2 en 2006, ce n'est plus le cas que de 60 programmes en 2020. Dans certains cas, la concentration des dépenses de titre 2 dans un programme unique pour un seul ministère répond très clairement à une volonté d'améliorer le pilotage de la gestion de la masse salariale. Par exemple, au ministère de la culture, plusieurs « petites » masses salariales étaient réparties entre différents programmes budgétaires. Leur concentration dans un seul programme permet de s'assurer de la qualité de la prévision et du respect de l'autorisation parlementaire en gestion. De même, le choix a été fait de concentrer la masse salariale du ministère des armées dans un programme support, et il en va de même pour quelques ministères de moindre étendue salariale.
Il s'agit là de questions que nous nous posons de manière récurrente, en essayant de concilier deux objectifs : vous donner la meilleure lisibilité de la totalité des moyens d'une politique publique et assurer l'effectivité du pilotage en gestion. Une taille critique est effectivement nécessaire, et il faut noter un effet d'apprentissage, si je puis dire, depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, avec un ajustement des crédits de masse salariale au fur et à mesure que se présentaient certains cas de dépassement récurrents dont votre commission a débattu – ces situations ont été moins fréquentes au cours de la période la plus récente mais n'ont pas totalement disparu.
Dernier élément, une relative stabilité du nombre de missions et de programmes peut masquer de nombreux changements de périmètre. Certains peuvent concerner des masses de crédits considérables sans que cela se traduise dans les intitulés des programmes et missions. Ainsi, la rebudgétisation complète des aides personnelles au logement, auparavant éclatées entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, s'est effectuée dans le cadre du programme Aide à l'accès au logement préexistant. De même, la récente réforme de l'apprentissage a conduit à la suppression d'un compte d'affectation spéciale (CAS) et à la création d'un nouvel opérateur, France compétences, financé par une taxe affectée, plafonnée, qui est retracée dans la loi de finances mais ne figure pas en tant que telle dans les crédits du budget. Citons encore le financement d'agences sanitaires, telles l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l'Agence nationale de santé publique (ANSP), qui relèvent désormais de la loi de financement de la sécurité sociale.
Bien sûr, chaque année, dans les projets annuels de performances (PAP), nous nous attachons à présenter de manière très circonstanciée ces changements, et nous travaillons à le faire également sur notre nouveau site internet, très prochainement accessible en ligne, qui constituera une source d'information, notamment pour les membres de la commission des finances. Nous essaierons de parvenir progressivement à une plus grande profondeur temporelle pour illustrer ces changements.
Quelles sont les principales modifications de la maquette en 2020 ?
Le programme Administration territoriale de l'État résulte de la fusion du programme Moyens mutualisés des administrations déconcentrées, qui portait les moyens des directions départementales interministérielles, et du programme Administration territoriale, qui portait les moyens des préfectures. C'est l'illustration du principe de cohérence de la gestion, afin que soient regroupés sur un même programme des moyens supports déployés dans les mêmes territoires, voire, parfois, dans les mêmes locaux – même si cela correspond aussi à un rapprochement de fonctions supports, qui a pu être critiqué, notamment dans l'enceinte de cette commission.
Conformément à un engagement pris par le Premier ministre, a été créé un nouveau programme Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État doté de crédits évaluatifs.
À la suite de la suppression du compte d'affectation spéciale Aides à l'acquisition de véhicules propres et du transfert du financement du chèque énergie, le programme Énergie, climat et après-mines a été assez largement refondu.
Enfin, j'ai déjà évoqué le compte d'affectation spéciale Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage, supprimé.
Depuis quatorze ans, nous constatons donc une relative stabilité du nombre des entités supports et de leurs tailles, qui masque d'assez nombreux mouvements : mouvements entre le budget de l'État et la sécurité sociale, parfois entre le budget de l'État et les collectivités locales, créations de comptes spéciaux ou, récemment, réduction de leur nombre et rebudgétisations. La rebudgétisation du CAS Transition énergétique, dont la suppression en 2021 a été prévue en loi de finances pour 2020, sera prise en compte dans le projet de loi de finances pour 2021. Cela illustre une forme de tension entre les exigences de lisibilité politique et les contraintes de la gestion publique.
J'en viens aux propositions de la MILOLF. Je souscris pleinement à leur esprit – et donc à l'idée de revenir à celui de la LOLF. Il s'agit de parvenir à une véritable universalité du budget général de l'État et de renforcer la portée de ce principe en procédant à la rebudgétisation de nombreux moyens, aujourd'hui éclatés. Le recours à l'affectation de recettes, par des taxes affectées à des opérateurs ou par des fonds sans personnalité morale, la création presque chaque année de nouveaux prélèvements sur recettes, la création de comptes d'affectation spéciale, réduisent effectivement la portée d'une maquette budgétaire qui était conçue pour porter l'ensemble des moyens dédiés à chacune des politiques publiques.
Un mouvement de rebudgétisation a été entamé depuis 2017. Sans revenir sur la suppression du CAS Aides à l'acquisition de véhicules propres, qui servait de support budgétaire au « bonus-malus » automobile, et du CAS Transition énergétique, signalons par exemple le financement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), rebudgétisé alors qu'il reposait auparavant sur la taxe générale sur les activités polluantes. Des « petites taxes » ont également été rebudgétisées, ce qui fut également l'occasion d'améliorer la lisibilité des prélèvements obligatoires.
Je veux enfin insister sur la nécessité d'intégrer les contraintes de gestion dans la conception de la maquette budgétaire. Une architecture budgétaire trop fragmentée complique la programmation, la mise à disposition et le pilotage des crédits.
De manière plus générale, le Gouvernement a lancé un mouvement de déconcentration budgétaire et de réforme de l'organisation territoriale de l'État. Cela rend nécessaire une réflexion sur la manière dont la maquette budgétaire reflète l'organisation des services : aujourd'hui, certaines directions départementales, et même parfois régionales, peuvent être alimentées par de nombreux programmes budgétaires différents. La logique de politiques publiques à laquelle répondent ces programmes pose des contraintes de gestion. Nous sommes donc dans une phase d'étude afin de vérifier que ces contraintes induites par la maquette budgétaire ne sont pas trop nombreuses.