Intervention de Arnaud Danjean

Réunion du mardi 17 octobre 2017 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Arnaud Danjean, président du comité de rédaction de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale :

Il est normal que la marine nationale, comme toutes les armes, soit évoquée à la fin du rapport : par construction, les prescriptions pour nos armées viennent en conclusion, mais nous parlons du maritime tout au long du rapport, sous l'angle des flux, de l'Atlantique Nord, de l'océan Indien, ou encore de la Méditerranée et de sa militarisation accrue. On ne néglige donc pas la marine. J'ai moi-même un modeste passé au sein de la marine nationale et l'amiral Prazuck siégeait au sein du comité. Par ailleurs, il n'aura échappé à personne que le chef d'état-major particulier du président de la République est lui-même un marin.

Nous n'avons négligé personne, en veillant cependant à ne pas transformer l'exercice en une sorte de « liste pour le Père Noël ». C'était un souci personnel, et je crois que tout le monde était bien conscient de l'écueil. Nous n'avions pas à trancher, mais je ne pense pas que la marine soit sacrifiée ou qu'il y ait des conflits de programmes qui ne permettraient pas de remplir les objectifs tels qu'ils sont fixés. Vous avez évoqué pour votre part plusieurs porte-avions, mais il ne nous revenait pas de nous prononcer sur ce sujet.

Une revue de l'opération Barkhane sera présentée au président de la République. Je ne me prononcerai donc pas non plus sur ce sujet. Il est certain que l'adaptation du dispositif est nécessaire, en permanence, car les enjeux évoluent. La menace n'est plus exactement la même qu'au début de l'intervention Serval, en 2013, et la géographie se transforme : le centre du Mali est aujourd'hui bien plus exposé, certains pays frontaliers sont aussi confrontés à la menace et des initiatives régionales ont été lancées. Il faut constamment adapter le dispositif pour qu'il soit optimal. Toutes nos réflexions se sont inscrites dans le cadre que j'ai évoqué tout à l'heure, à savoir une logique d'approche globale, qui est un impératif. Les armées sont les premières à souligner que l'action militaire seule ne viendra pas à bout des problématiques que Barkhane doit affronter pour la stabilisation de la région. Nous devons mener simultanément des actions sur beaucoup de sujets, avec les Européens, les partenaires africains et la MINUSMA.

La question du sud de la Méditerranée et du Maghreb est extrêmement sensible et il s'agit d'une priorité pour la France. Il y a là des États dotés ou non de capacités militaires fortes et susceptibles de connaître des évolutions très problématiques, ce dont nous sommes parfaitement conscients. Certains pays sont plus sensibles que d'autres car les interactions avec nous seraient inévitables,

Tout ce rapport est imprégné de l'idée que la géographie devient très relative dans le monde d'aujourd'hui – et plus encore dans celui de demain. Les distances se rétrécissent et il faut prendre en compte l'exo-atmosphère, les flux maritimes, la dimension « cyber » et les câbles. Mais cela n'annule pas le facteur géographique : ce qui se passe au Sud de la Méditerranée nous concerne ainsi au premier chef. C'est une préoccupation à laquelle nous avons porté une attention particulière, en l'articulant avec des réflexions plus globales.

Cela m'amène à la question de M. Aliot. Nous ne mésestimons pas les facteurs de fragilité de la cohésion nationale, même si cela ne concerne ni uniquement, ni en premier lieu le ministère des Armées, mais plutôt le ministère de l'Intérieur. La réponse est interministérielle et c'est un aspect qui a été très prégnant dans nos débats, compte tenu de ce que la France a subi.

S'agissant des pays auxquels vous avez fait allusion, je me méfie des formulations trop simples. Il y a dans le golfe Arabo-Persique des États dont les sociétés sont plus complexes que leur image habituelle. Parmi les acteurs finançant le terrorisme, je doute que l'on parvienne à trouver des traces étatiques. On trouvera peut-être des acteurs privés liés à des États, mais je ne m'engagerai pas dans ce débat. C'est un sujet de fond très complexe et il faudrait beaucoup plus de temps pour en explorer toutes les facettes. Nous n'avons pas abordé la problématique du financement du terrorisme car elle ne relève pas du ministère des Armées en tant que tel, même si elle entre dans les attributions de la communauté du renseignement extérieur. Les accords internationaux dans ce domaine sont traités par le ministère de l'Économie et des finances et par celui des Affaires étrangères.

Il faut considérer les pays du golfe Arabo-Persique au cas par cas, d'autant qu'ils sont traversés par des tendances tout à fait différentes. Il faut se défier des raccourcis un peu faciles. En Arabie Saoudite, les luttes de pouvoir en cours ne rendent pas la situation univoque. Autre exemple, les Émirats arabes unis sont un pays musulman sunnite tout à fait intéressant en matière de défense, et qui partage une grande partie de nos objectifs. Les situations sont très différenciées.

Nous avons tenu à être très explicites sur le prosélytisme islamiste radical que l'on observe en Afrique de l'Ouest. Il est très largement sponsorisé par des acteurs venant de la région que vous avez mentionnée. Sont-ils étatiques ou non ? C'est une autre question, sur laquelle nous n'avons pas toujours des informations adéquates, mais nous ne sommes ni naïfs ni aveugles. Le rapport mentionne cette menace comme un sujet sur lequel il faudra être très vigilant à l'avenir.

Tout cela nous conforte dans l'idée que la fonction du renseignement est tout à fait vitale pour notre pays. Des efforts ont été réalisés à la suite des Livres blancs de 2008 et de 2013, qui avaient déjà identifié le besoin. La communauté du renseignement doit continuer ses efforts d'adaptation sur le plan des moyens techniques et humains. La lutte antiterroriste est prioritaire, pour des raisons évidentes, mais les responsables du renseignement français ont aussi exprimé un besoin de ressources supplémentaires pour d'autres sujets, notamment afin de développer une connaissance plus intime des pays dont nous venons de parler. On croit être familier de ceux du sud de la Méditerranée, mais on ne les connaît pas si bien que ça. Les évolutions du régime algérien après M. Bouteflika donnent lieu à toutes les conjectures. Nos capacités de renseignement ne doivent pas se focaliser exclusivement sur l'antiterrorisme, mais aussi se consacrer à la lecture des pays voisins et de leurs évolutions. Il faut continuer à fournir un effort particulier dans ce domaine.

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