Intervention de Bruno Studer

Séance en hémicycle du mercredi 12 février 2020 à 15h00
Encadrement de l'image des enfants sur les plateformes en ligne — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Studer, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

… et chers collègues, la proposition de loi qui nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans un contexte bien particulier, celui de l'imprégnation numérique de nos enfants, dont nous commençons à peine à mesurer les conséquences.

J'ai bien conscience que cette proposition de loi, que la commission des affaires culturelles et de l'éducation a adoptée à l'unanimité la semaine dernière, ne traite que d'une partie du sujet – car, s'agissant de la relation que les enfants entretiennent avec le numérique, les parlementaires nourrissent bien des interrogations – , mais c'est une partie sur laquelle il est essentiel de légiférer : le phénomène des enfants « youtubeurs », ou « influenceurs ». J'ignore si vous savez tous ce dont il s'agit, mais nos enfants, eux, le savent très bien. Or ce phénomène n'est rien d'autre qu'une nouvelle forme de travail des enfants apparue en même temps que le numérique, au sujet de laquelle je crois qu'il est de notre devoir d'agir.

Certaines vidéos sont à la limite de l'acceptable. Notre ambition, néanmoins, n'est pas de porter un jugement ; il s'agit avant tout d'établir un cadre protecteur qui garantira l'intérêt supérieur de l'enfant. La proposition de loi vise à responsabiliser les différents acteurs, surtout les parents, ainsi qu'à faire connaître les risques psychologiques qui pèsent sur les enfants, à préserver au mieux leur intimité et leur intégrité, à limiter les horaires de tournage et à favoriser les signalements de vidéos problématiques. Enfin, il faut s'assurer que les enfants perçoivent les bénéfices de leur activité ou de l'exploitation commerciale de leur image, en imposant le dépôt des recettes ainsi générées sur un compte en banque dont ils auront l'usage à leur majorité.

Ces vidéos se sont multipliées au cours des dernières années, en France et ailleurs. Elles mettent en scène différents moments de la vie des enfants et sont souvent tournées, réalisées et monétisées par les propres parents de ceux-ci. Elles représentent des activités qui, à première vue, peuvent sembler anodines – déballage de jouets, dégustation d'aliments – , voire des défis divers. J'ai constaté que certains enfants apparaissent dans de très nombreuses vidéos, y compris dans des situations problématiques au regard des droits de l'enfant. Il arrive même que certaines vidéos relèvent du placement de produit et de l'encart publicitaire, c'est-à-dire, en clair, d'une forme moderne de télé-achat qui fait pâlir d'envie bien des chaînes de télévision, étant donné l'audience des chaînes en ligne en question, qui ont des millions d'abonnés et dont les vidéos sont vues jusqu'à plusieurs centaines de millions de fois.

C'est pourquoi j'ai souhaité travailler au service du droit des enfants afin d'éviter que l'internet ne soit un espace de non-droit total. En France, le travail des enfants est interdit sauf dérogation ; cette interdiction doit aussi s'appliquer sur l'internet, qui n'est pas un espace de non-droit – même s'il rebat les cartes et remodèle les frontières entre travail et loisir, entre espace public et sphère privée. C'est ce qui explique qu'il soit si délicat de légiférer en la matière.

Je me réjouis toutefois que cette proposition de loi, qui ne fait pourtant que commencer son cheminement parlementaire, ait déjà produit ses premiers effets : lundi dernier, j'ai pris connaissance d'une dépêche annonçant que les industriels du jouet et de la puériculture avaient adopté une charte destinée aux entreprises pratiquant le placement de produit dans ces vidéos publiées sur l'internet.

Soyons clairs : il s'agit, non pas d'interdire ces vidéos, mais de veiller au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui est un principe non seulement à valeur constitutionnelle, mais aussi – je le souligne puisque nous venons de célébrer le trentième anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant – à valeur conventionnelle.

Je le répète, mon ambition vise à responsabiliser les parents en donnant à ces activités un cadre juridique clair. L'article 1er établit un cadre légal régissant le travail des mineurs de moins de 16 ans en leur appliquant le régime protecteur des enfants du spectacle. Les parents devront demander à l'autorité administrative un agrément les autorisant à employer leurs enfants dans ce type de vidéos. Ils seront tenus de respecter les limitations horaires fixées par décret et devront verser une part majoritaire des revenus générés par ces vidéos sur un compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations. Nous comblons ainsi un vide juridique identifié avec les services de l'Assemblée, que je remercie pour leur travail de diagnostic et d'élaboration de la proposition de loi au cours des derniers mois.

Nous avons rencontré de nombreux parents : ils sont tout à fait demandeurs d'un tel cadre légal, qui leur permettra notamment de répondre aux commentaires les accusant d'exploiter leurs enfants dans les vidéos qu'ils publient.

Cependant, parce que l'internet rebat les cartes, toutes les situations ne sont pas aussi simples. Dans certains cas, il ne s'agit pas d'un travail au sens classique, du fait de l'absence des consignes qui caractérisent une relation de travail. Le fait de filmer les scènes de la vie quotidienne d'un enfant, de monétiser ces vidéos et d'en profiter pour placer des produits ne relève ni du travail ni du loisir. C'est l'article 3 qui répond à cette situation, en imposant dans les cas susmentionnés une déclaration obligatoire qui entraînera l'application de mesures protectrices concernant le temps consacré par l'enfant à la réalisation de ces vidéos et la préservation d'une partie des revenus.

S'il faut responsabiliser les parents et les entreprises qui font du placement de produit, il faut aussi responsabiliser les plateformes. Bien qu'elles aient en droit européen une responsabilité limitée quant aux contenus qu'elles diffusent, il me semble que dès lors qu'elles en tirent des revenus publicitaires liés au visionnage des vidéos, elles ne peuvent s'exonérer de toute responsabilité, en particulier s'agissant de la protection de mineurs.

L'article 4, en particulier, dispose qu'en adoptant des chartes à titre volontaire, les plateformes s'engagent à favoriser le signalement, par leurs utilisateurs, de contenus problématiques faisant apparaître un mineur. Surtout, elles s'engagent à travailler en liaison avec les associations – qui se sont saisies de ce sujet depuis plusieurs mois – en vue d'améliorer la détection des situations présentant des problèmes juridiques et de préserver la dignité et le respect de l'intégrité physique et morale de l'enfant.

L'article 5 traite d'une question à laquelle je vous sais tous très attachés : le fameux droit à l'oubli. Il me paraît important de rappeler qu'une personne mineure peut demander à la plateforme le retrait d'une vidéo qu'elle ne souhaite plus rendre accessible, conformément aux dispositions du Règlement général sur la protection des données, le RGPD. Il en résulte plusieurs responsabilités nouvelles pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, qui deviendra bientôt l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Je vous laisserai le soin, monsieur le ministre, de présenter un amendement en ce sens, car, si je le faisais moi-même, cet amendement serait, du fait de ma condition de parlementaire, frappé d'irrecevabilité en vertu de l'article 40 de la Constitution.

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