Il est des événements dans l'existence que l'on n'oublie jamais : des années après, vous pouvez dire exactement ce que vous faisiez, où et avec qui. La tragédie de Furiani est de ceux-là. Le mardi 5 mai 1992 à vingt heures vingt, 3 000 spectateurs de la demi-finale de la Coupe de France entre le Sporting Club de Bastia et l'Olympique de Marseille basculent, et leur vie avec, dans le fracas de l'effondrement d'une tribune qui résonne toujours dans nos têtes, comme résonne le silence assourdissant qui s'ensuivit, comme résonnent les plaintes et les cris qui s'élèvent des décombres. Nous n'oublierons jamais !
Vous me pardonnerez d'illustrer mon propos par mon vécu, comme l'a fait Michel Castellani : à 25 ans, étudiant à Marseille et préparant le concours de l'internat en médecine, réuni avec des amis, corses ou marseillais, pour célébrer comme la France entière la fête du football devant le journal télévisé de TF1 en direct, je vois à la fin de l'échauffement les joueurs regagner les vestiaires, et puis… Se succèdent alors l'incompréhension, puis la stupeur, puis l'angoisse des proches et l'horreur – l'horreur. Dans les semaines qui suivent, je vois arriver, à l'hôpital de la Conception, les blessés nécessitant une prise en charge secondaire sur le continent et, parmi eux, deux sont originaires de mon village en Corse-du-Sud. Une fois le concours passé, je débute le 2 novembre 1992 mon premier semestre d'interne au SAMU d'Ajaccio ; et là, nous, les nouveaux, échangeons avec ceux qui nous ont précédés six mois avant, ceux qui ont pris leur fonction le 2 mai, soit trois jours avant d'être déposés sur la pelouse de Furiani par les hélicoptères de la sécurité civile et de l'armée pour venir en renfort des secours auprès des victimes. Alors qu'ils déploraient quelques heures plus tôt de ne pas pouvoir assister au match, de ne pas pouvoir participer à la fête à cause de cette garde, cette maudite garde… Je vous le dis, mes chers collègues : personne n'oublie ces moments-là, jamais ! Car le corps et l'esprit ne veulent pas oublier, comme de partager la douleur des victimes et de leurs proches.
Mes chers collègues, nous ne devons pas et nous ne voulons pas oublier : laissons-nous porter par cet élan d'humanité. Je ne reviendrai pas sur ce qui s'est passé entre le 5 mai 1992 et le 13 février 2020. Cessons une bonne fois pour toutes de tergiverser et votons ce texte pour que la loi soit conforme au ressenti et au vécu des femmes et des hommes qui n'ont pas oublié ce qu'ils faisaient, où et avec qui, le 5 mai 1992 à vingt heures vingt. S'il vous plaît, de la gauche à la droite de cet hémicycle en passant par le centre, exprimons, aussi unanimement que possible, un vote humain et juste. Je vous en remercie au nom du groupe Les Républicains.