La terrible catastrophe survenue le 5 mai 1992 dans le stade Armand-Cesari de Furiani lors de la demi-finale de la Coupe de France de football est toujours source de douleurs vives pour les victimes et pour leurs familles ; elle demeure gravée dans notre mémoire collective. Elle a, à l'époque, gravement entaché le milieu sportif. En effet, nous le savons, ce drame n'était pas un accident mais le résultat tragique d'un choix délibéré de maximiser le profit généré par cette rencontre, et ce au détriment de la sécurité des spectateurs. Depuis, la justice est passée, les responsabilités ont été clairement établies, et une réglementation plus stricte s'est imposée afin d'éviter à l'avenir tout manquement de cet ordre.
Il demeure l'impérieux devoir de mémoire et le nécessaire respect dû aux dix-neuf morts comme aux milliers de victimes blessées dans leur chair et dans leur âme. Dès le lendemain de cette catastrophe, François Mitterrand, alors Président de la République, avait pris l'engagement que plus aucun match ne serait organisé un 5 mai. Le groupe Socialistes et apparentés souhaite demeurer fidèle à cet engagement. Comme cela a été déjà rappelé, celui-ci n'a pas été pleinement respecté, et ce malgré un accord, certes tardif, officiellement signé le 22 juillet 2015 entre le secrétaire d'État chargé des sports alors en poste, Thierry Braillard, et le collectif des victimes du 5 mai 1992, dont je salue la présence dans les tribunes.
Chaque match joué en cette date de triste mémoire réveille la douleur de nos concitoyens et notamment de ceux résidant en Corse, qui ont tous connu, directement ou non, une victime de ce drame.
Voilà pourquoi il était important d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour de nos débats ; nous tenons à remercier Michel Castellani de l'avoir fait. Il est temps, en effet, de mettre fin aux atermoiements frappés à certains égards du sceau de l'indignité ; de faire taire les excuses présentées par certains qui, faisant prévaloir des préoccupations d'organisation, ne font pas honneur aux valeurs qu'ils sont censés faire rayonner ; de mettre fin à la longue et pénible attente des victimes. Il est temps que la Nation s'engage résolument et réponde aux aspirations de ceux – de plus en plus nombreux – qui demandent la neutralisation des matchs de football le 5 mai.
Dans le cadre de l'examen du texte en commission le 5 février dernier, nous n'avons relevé aucune opposition de principe à cette proposition de la part des différents groupes politiques, mais une réticence quant à l'opportunité d'oeuvrer par le biais d'une loi, au motif que ce sujet ne relèverait pas du domaine législatif. Au-delà de cette réserve, nous nous accordons tous sur la nécessité d'entretenir le souvenir de cette tragédie en hommage aux victimes et à leurs familles, mais aussi afin de manifester notre volonté de ne plus voir le sport entaché de pratiques dangereuses motivées par le seul profit.
Il a été soutenu que, plutôt que d'édicter une loi, nous pouvions engager des mesures symboliques. De telles propositions ne sont pas inconciliables avec le choix de passer par la voie législative : des initiatives peuvent être organisées parallèlement à la loi. Toutefois, malgré l'engagement des instances de football, force est de constater que peu d'actions de ce type ont été menées à leur initiative depuis vingt-sept ans.
Le sport n'est pas un simple marché : il est vecteur de lien social et porteur de valeurs partagées par la grande majorité des Français – valeurs qu'il nous appartient, en tant que législateurs, de défendre. Si la loi a bien sûr une visée normative – en l'occurrence, elle créerait une interdiction – , elle a aussi, nous le savons tous, une fonction symbolique. Elle s'inscrit dans l'histoire d'un pays, véhicule une certaine image de la société et traduit les aspirations des Français. À la différence des instances sportives, nous sommes responsables de la défense de ces aspirations et de l'intérêt général. Il nous revient donc d'en assumer la responsabilité aujourd'hui.
C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés fait sien le slogan « pas de match le 5 mai » affiché dans de nombreuses tribunes de France en mai 2019, et votera en faveur du texte.