Intervention de Philippe Vigier

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 9h00
Financement des infrastructures de téléphonie mobile — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Je me souviens des débats sur la téléphonie mobile, en 2016, alors que celui qui se trouvait à votre place – il est devenu Président de la République – avait essayé de voir comment on pouvait changer les choses. Or le Gouvernement a pris la décision de renoncer aux futures enchères sur les licences, et a pris, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, la décision majeure de ne plus faire payer l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux – IFER – par les opérateurs.

Il ne s'agit pas de mener un combat contre les opérateurs : je respecte la fonction de chacun. Mais quand, en tant qu'opérateur, on est investi de la mission d'apporter le service public partout sur le territoire dans les meilleures conditions, on doit respecter certaines exigences. Nous parlons ici de quelques milliards d'euros : l'attribution des licences en 2012 a représenté 3,6 milliards d'euros, l'attribution des licences en 2015, 2,8 milliards. Nous ne demandons pas un nouveau cadeau aux opérateurs !

Vous avez pris une décision politique difficile, dans un moment où les finances publiques sont très contraintes, qui permet aux opérateurs de mettre le paquet sur les zones mal couvertes, avec l'engagement très fort consistant pour chaque opérateur à mettre en place 5 000 structures mobiles d'ici à 2026.

Hier matin, en commission des affaires économiques, le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l'ARCEP, déclarait que nous évoluions sur un faux plat. Non ! Nous ne sommes pas sur un faux plat lorsque, sur le territoire national, seuls six sites sont en fonctionnement, contre 485 prévus. Il y a là, me semble-t-il, quelque chose d'anormal.

On m'a répété, lors des auditions, qu'avec une telle proposition de loi, j'allais « contraindre » les collectivités. Non ! Les mots ont un sens : je propose seulement que les collectivités puissent participer au déploiement des sites mobiles. Monsieur le ministre, dans le new deal, vous avez non seulement demandé l'amélioration de la couverture, avec les 5 000 sites par opérateur ou les obligations concernant les axes routiers, mais vous souhaitez aussi que les communications ne soient pas interrompues toutes les cinq minutes lorsque l'on circule en train. Comment les opérateurs feront-ils pour répondre à tout cela sachant que leurs investissements ont baissé entre 2018 et 2019 ? Ce n'est pas moi qui l'invente : les chiffres ont la tête dure, ils sont implacables.

Plus d'efficacité, c'est ce que recherche le groupe Libertés et territoires. Nous ne proposons rien d'autre que ce qui a été demandé aux collectivités durant de nombreuses années. En matière de développement du numérique, dans ma région du Centre-Val de Loire, les collectivités ont mis sur la table plus de 800 millions d'euros pour accompagner les opérateurs. En matière de téléphonie, nous proposons simplement un cofinancement du développement des pylônes.

Par ailleurs, nous savons que les cartes établies à partir des diagnostics de couverture des opérateurs sont fausses. Les administrations préfectorales, qui animent des réunions sur l'état de couverture de leur territoire, travaillent à partir de cartes fausses. En Eure-et-Loir, nous avons signé une grande convention avec La Poste afin que les postiers établissent un diagnostic de la couverture, maison par maison, ferme par ferme. Le 25 avril 2020, nous disposeront ainsi du relevé de 40 000 points de mesure. Nous aurons la vraie carte, que nous tenons évidemment à votre disposition, monsieur le ministre. À partir de cette carte, on pourra évaluer le nombre d'antennes nécessaires. Le problème vient du fait que ce qui est prévu correspond au quart de ce qui permettrait d'obtenir une couverture numérique de qualité et de faire disparaître la fracture actuelle.

La proposition de loi vise à dire la vérité à nos concitoyens, car ils veulent l'entendre. Ils n'attendent pas qu'on leur raconte des histoires et qu'on leur promette que tout sera réglé dans un ou deux ans. Vous n'y arriverez pas dans ce délai !

Pour aller plus vite, il faut permettre aux collectivités qui le souhaitent d'agir en les sécurisant juridiquement. Quelle hypocrisie dans la situation actuelle ! Certains opérateurs disent : ne vous occupez pas de l'antenne, occupez-vous seulement du raccordement. Ce n'est pas sérieux ! D'autres affirment qu'ils n'ont pas les moyens techniques et industriels de déployer suffisamment d'antennes. Ce discours ne tient pas une seule seconde !

Offrez aux collectivités la possibilité d'aller plus vite ! Elles feront un choix politique. Chaque région, chaque département, prendra ses responsabilités – ils sont nombreux à l'avoir déjà fait. Sans cela, monsieur le ministre, malgré votre feuille de route, les résultats ne seront pas au rendez-vous. Les chiffres sont implacables ! Vous me direz que nous n'en sommes qu'au début du new deal, mais la clause de revoyure s'applique dans six mois. Je veux bien patienter pour faire les comptes à la fin de la foire : nous verrons où nous en serons dans six mois.

On nous explique que le problème vient des élus qui refusent tel ou tel emplacement, ou des populations réfractaires. L'objectif est que chacun prenne ses responsabilités, populations et élus. Notre proposition de loi permet aussi de vous protéger, monsieur le ministre. Elle évitera que l'on use de faux-nez et de faux-semblants : ici, il a fallu trente mois ; là, c'était compliqué ; ailleurs il y avait un problème de raccordement, on ne savait pas faire ou on n'a pas mutualisé. Non, tout cela ne tient pas ! Il y a treize ans, j'ai fait en sorte de déployer, à partir de onze châteaux d'eau, une boucle locale radio sur le territoire dont j'avais la responsabilité. Nous avons réussi à fournir 2 gigaoctets en débit montant comme en débit descendant ; c'était l'aventure à une époque où l'on n'avait pas 500 mégaoctets !

Avec la 5G, vous aurez à faire un choix stratégique pour le pays. Les propos tenus hier à ce sujet par Sébastien Soriano, le président de l'ARCEP, devant la commission des affaires économiques, m'ont quelque peu inquiété. Il affirme que l'appel d'offres réserve 25 % de l'enveloppe aux territoires ruraux. Autrement dit, 25 % de l'enveloppe ira à 80 % du territoire national. Comme vous êtes un brillant ingénieur, monsieur le ministre, vous n'avez pas besoin que je fasse des calculs pour voir le problème : là encore, ce sont les territoires ruraux qui paieront la facture !

Je salue une nouvelle fois l'engagement du Gouvernement dans le new deal. Je dis « bravo », mais j'ajoute que, comme le Président de la République l'a expliqué lui-même, lorsque l'on décide d'une politique, il faut l'évaluer et s'assurer qu'elle est efficace. Malheureusement, j'ai peur, et j'ai même la certitude que, de la façon dont les choses se passent sur le terrain, nous ne soyons pas au rendez-vous de l'efficacité. Une fois de plus, cela amènera nos concitoyens à ne plus croire en la parole publique.

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