Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 9h00
Financement des infrastructures de téléphonie mobile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Les opérateurs se comportent en seigneurs : ce sont eux qui choisissent les quelques lieux où ils veulent bien installer la 4G. Pour le faire, ils ont reçu des milliards, et maintenant on vient nous dire que les collectivités vont remettre au pot ! C'est à nouveau les Français qui vont payer ! Cette solution me semble incompréhensible. Ces seigneurs, il faut les saigner ! Il faut les sanctionner, les taper au portefeuille, les pénaliser ! Il faut récupérer ces milliards puisqu'au bout de deux ans, ils n'ont pas fait le travail que vous leur aviez demandé de faire, monsieur le ministre ! Sinon, c'est bien entendu une téléphonie à deux vitesses qui se perpétue.

« Pour que l'[Union européenne] continue de faire la course en tête, j'ai lancé sans attendre une initiative afin d'accompagner et d'accélérer nos efforts de recherche en Europe sur la 6G. » Voilà l'idée qui est venue à Thierry Breton, l'ancien patron de France Télécom, à peine nommé commissaire européen. L'Europe sociale, l'harmonisation fiscale, on les attend depuis trente ans ; mais qu'est-ce qui semble urgent à M. Breton pour nos peuples, pour notre avenir ? Faire la course en tête et accélérer le déploiement de la 6G. On n'a pas encore la 5G dans notre pays, mais lui, il en est déjà à la 6G !

C'est une course, mais une course vers la folie ! Qui fait-elle encore rêver ? Quel est le sens du progrès ? Est-ce encore la technologie qui l'oriente ? À quelles inventions serviront ces investissements par milliards, par dizaines de milliards ? À la veste connectée pour cheval, qui contrôle les pulsations cardiaques ? Aux baskets Nike « autolaçantes » ? À la fourchette connectée qui envoie une vibration si on mange trop vite ? À la montre qui décompte le temps qui nous reste à vivre ? Ou encore au décapsuleur qui envoie une notification à nos amis quand on ouvre une bière ? Voilà désormais le sens du progrès : c'est une course sans fin, une course vers le gouffre.

À notre sens, le progrès dépend des liens plutôt que des biens, c'est clair. Quand on n'a comme seul horizon à offrir pour l'Europe, comme cap pour notre continent, malgré notre histoire et nos sentiments, que la 6G, il faut y voir le symptôme d'un vide, d'un vide politique, d'un vide d'espérance.

Pendant que la 6G galope à Bruxelles, pendant qu'on promet la 5G aux métropoles, aux cadres, aux connectés, Bussus-Bussuel dans la Somme, code postal 80135, attend toujours la 2G, le portable tout bête, juste pour téléphoner. Pour l'instant, à Bussus, on ne capte qu'au cimetière – c'est pratique pour les zombies, pour les fantômes et pour les morts-vivants…

Pourquoi 3 % des Français n'ont-ils toujours aucun réseau à disposition ? Pourquoi des centaines de communes de la Somme, de la Haute-Marne, de la Dordogne, de la Meuse ou de l'Aveyron attendent-elles depuis plus de vingt ans ? Le déploiement a commencé en 1992 : pourquoi, vingt-sept années plus tard, 40 % du territoire n'accèdent-ils pas à la 4G, alors qu'il existe quatre opérateurs, Orange, Bouygues, SFR et Free ? Justement parce qu'ils sont quatre opérateurs, qui pensent rentabilité et non service au public, qui pensent profit et non égalité des territoires. Ils se déchirent les parts de marché dans les agglomérations mais abandonnent les campagnes.

Prenons une comparaison. Que se serait-il passé si, dans l'après-guerre, l'électricité et les PTT avaient été laissées aux mains du privé ? Il n'y aurait toujours pas d'électricité ni de téléphone fixe à Bussus-Bussuel, pas plus que dans de nombreux autres territoires de France. Nous pensons évidemment qu'il faut un outil public, au service du public – de tout le public – , qui ne laisse pas des centaines de Bussus-Bussuel de côté.

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