J'abonderai dans le sens de la députée Géraldine Bannier. Tout à l'heure, M. Lachaud a d'ailleurs fait référence, à juste titre, aux problèmes constitutionnels sous-jacents à plusieurs des propositions dont nous débattons ce soir. Il y a quelque chose qu'il faut entendre dans ce que vient de dire Mme Bannier : nous sommes tous favorables à l'enseignement des langues régionales mais, dès lors que l'on commence à élaborer des règles générales applicables à l'ensemble du territoire, nous devons faire très attention à ne pas créer des disparités entre les langues.
Le problème de fond est bien réel. On peut facilement tomber dans la démagogie en donnant satisfaction tantôt à telle langue, tantôt à telle autre ; chacun se comparera alors sans arrêt sur une espèce d'échelle de perroquet, et on fera évoluer les choses en vertu d'une sorte de clause de la nation la plus favorisée – sauf qu'il ne s'agit pas de nations, mais de régions.
Soyons très clairs : si l'on se risquait à inclure des clauses de nature aussi générale dans nos dispositifs législatifs, il y aurait d'abord un problème de constitutionnalité, et en tout état de cause, quelle que soit la décision éventuelle du Conseil constitutionnel, un problème concret d'égalité entre les différentes régions. Ce problème d'égalité pourrait même se retourner contre les élèves des régions auxquelles vous pensez : si l'enseignement des langues régionales était prévu au sein d'un bloc horaire identique pour toute la France, les élèves des régions où ces langues n'existent pas recevraient davantage d'enseignements généraux. Il y a donc clairement un risque d'inégalité, dans un sens ou dans un autre.
Il y a aussi, tout simplement, un risque d'incohérence dans la rédaction de l'amendement no 82 , qui prévoit de rétablir l'article 3 en ces termes : « Sans préjudice de l'article L. 312-11-1, dans le cadre de conventions entre l'État et les régions, la collectivité de Corse ou les collectivités territoriales régies par l'article 73 de la Constitution, la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées sur tout ou partie des territoires concernés, dans le but de proposer l'enseignement de la langue régionale à tous les élèves. » Cette disposition comporte une série de contradictions. Tout d'abord, le fait d'enseigner les langues régionales « dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées » pose le problème que je mentionnais précédemment : on met tous les établissements à égalité alors même que certains ne sont pas situés dans des régions où il existe des langues régionales. En outre, on se place « sur tout ou partie des territoires concernés ». Je reprends ici l'argument de la députée Géraldine Bannier : quel est le périmètre ainsi défini ?
Cet amendement comporte donc une imprécision et un risque d'inégalité qui m'incitent évidemment à m'y opposer.
Enfin, l'ambition de proposer l'enseignement de la langue régionale à tous les élèves est tout à fait discutable, encore une fois, dans la mesure où certaines régions de France n'ont rien à proposer en la matière : je ne vois donc pas quelle forme pourrait prendre cet enseignement.
Cet amendement pose donc toute une série de problèmes, de principe d'abord, notamment au regard du principe d'égalité, mais également des problèmes pratiques de faisabilité, voire de définition de ce que cette mesure recouvre, étant entendu qu'elle ne relève pas, selon moi, du niveau législatif.
Le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises, notamment dans sa décision no 2001-454 du 17 janvier 2002, ou encore sa décision 2004-490 du 12 février 2004, que l'enseignement des langues régionales ne saurait avoir un caractère obligatoire, ni pour les élèves, ni pour les enseignants.