Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 31 octobre 2017 à 17h15
Commission élargie : finances - affaires économiques - développement durable - affaires étrangères

élisabeth Borne, ministre chargée des transports :

Madame la présidente, l'AFITF est un outil fondamental de notre politique. Elle porte nos investissements dans l'ensemble des infrastructures, principalement grâce à des recettes affectées. C'est le modèle retenu par la plupart de nos voisins, et il n'est pas envisagé de le remettre en question. Cette agence aurait dû percevoir la recette de l'écotaxe – on se souvient du sort qu'elle a connu. Pour autant, l'agence dispose actuellement de recettes de même niveau. Nous avons des difficultés à financer l'ensemble des engagements pris, non pas en raison d'une insuffisance de recettes, mais du fait de la masse considérable de ces engagements… Le processus de nomination de son président est bien lancé et votre commission aura à se prononcer.

Madame Cattelot, je tiens à vous rassurer : le concours fret est absolument indispensable. Il est inscrit dans le contrat entre l'État et SNCF Réseau et constitue la condition d'un niveau de péage soutenable pour le fret ferroviaire. Au cours des dernières années, le fret ferroviaire a perdu un tiers de son trafic. Il n'est pas envisageable de le mettre en difficulté avec une augmentation de péage et donc de faire disparaître cette contribution. Ces 145 millions d'euros sont bien inscrits dans le projet de loi de finances. La baisse de la réserve de 8 % à 3 % nous permet d'être assurés que cette somme pourra effectivement être exécutée au cours de l'année 2018.

Les CPER ne sont pas concernés par la pause annoncée par le Président de la République le 1er juillet dernier. Ils sont le fruit d'une négociation entre l'État, les régions et, généralement, l'ensemble des collectivités d'un territoire. Ils correspondent pour la plupart à des transports de la vie de la vie quotidienne.

En 2018, le budget de l'AFITF prévoit une augmentation du rythme des dépenses à hauteur de 75 millions d'euros supplémentaires. Pour autant, l'ensemble des projets ne sera pas obligatoirement engagé au cours de l'année 2018. Je connais vos attentes, mais il nous faudra, comme par le passé, hiérarchiser nos priorités, l'objectif étant d'arriver à respecter les engagements pris dans ces CPER. Nous travaillons à la hiérarchisation des très grands projets d'infrastructure, pour lesquels, je le rappelle, il nous manque 10milliards d'euros… Si je le formule autrement, les engagements pris représentent plus de 20 milliards d'euros, tandis que les recettes de l'AFITF représentent 2 milliards d'euros par an – 2,4 milliards cette année –, soit 10 milliards d'euros sur la durée du quinquennat.

Vous avez mentionné les trains d'équilibre du territoire (TET) : leur géographie devait être adaptée à la nouvelle géographie des régions. Cela a été acté dans les protocoles signés entre l'État et les régions. Les anciennes lignes TET qui ont vocation à devenir des lignes TER au cours des cinq prochaines années sont transférées, l'État gardant six lignes structurantes et deux lignes de nuit. Ce transfert aux régions s'accompagne d'un achat de rames, soit par la SNCF pour les rames Alstom Coradia, soit par les régions pour les rames Regio 2N de Bombardier, financées par l'AFITF.

Il est important de souligner que cette dépense de 3,2 milliards d'euros fait de l'AFITF une agence de financement non seulement des infrastructures, mais aussi des matériels roulants, sans que malheureusement les ressources correspondantes aient été prévues. Pour autant, la démarche est bien engagée. Je tiens à rassurer les régions inquiètes : l'ensemble des engagements pris avec l'ensemble des régions sera bien tenu. Malgré tout, il se peut que les chaînes de production des entreprises que j'ai mentionnées –notamment Bombardier – connaissent des goulots d'étranglement. Mais l'État honorera ses engagements vis-à-vis de l'ensemble des régions, tout en lissant ces dépenses, compte tenu de la masse financière qu'elles représentent.

Le canal Seine Nord et la ligne à grande vitesse (LGV) Lyon-Turin font tous les deux l'objet de financements européens. Lors du sommet franco-italien, le Président de la République a confirmé que l'État honorerait le traité international présenté pour ratification par le précédent gouvernement. Nous réfléchissons avec les autres ministères et nos partenaires italiens aux modalités d'apport des 25 % – soit 2,5 milliards d'euros – dus par la France. Nous cherchons à lisser ces financements mais également à trouver des recettes spécifiques.

Une démarche de même type a été engagée pour le canal Seine-Nord. Les collectivités ont manifesté un intérêt très fort pour ce projet. Nous nous proposons de le financer de façon étalée, afin de ne pas obérer les ressources de l'AFITF, au détriment de l'ensemble des projets. Nous discutons également avec les collectivités des Hauts-de-France, afin qu'elles puissent reprendre la gouvernance de ce projet.

Le Charles-de-Gaulle Express, quant à lui, fait l'objet d'un montage spécifique qui n'est concurrent ni des transports de la vie quotidienne, ni des 7,5 milliards d'euros prévus dans le CPER sur la modernisation et le développement des réseaux existants, ni des projets du Grand Paris. Il s'agit d'une concession, gérée par SNCF Réseau, ADP et la Caisse des dépôts et consignations. Le projet ne bénéficie pas de subventions publiques.

Messieurs Ahamada et Pahun, les enjeux liés aux transports maritimes sont fondamentaux. J'ai encore pu le mesurer vendredi dernier lors de ma visite au Havre : nos ports et, de façon générale, l'économie maritime représentent un potentiel incroyable pour le développement de l'économie française. Les orientations en la matière seront précisées lors d'un prochain Comité interministériel de la mer et lors des Assises de l'économie de la mer qui se tiendront au mois en présence du Premier ministre le 21 novembre prochain. Nous évoquerons les enjeux du net wage dans ce cadre.

Vous avez raison, suite au précédent Comité interministériel de la mer, une exonération des charges sociales, appelée net wage, avait été décidée afin de soutenir le pavillon français. Le coût de cette mesure a été inscrit dans le budget 2017, mais elle n'a pas encore pu être mise en oeuvre. En effet, ce type de dispositif nécessite une notification à la Commission européenne, dont nous n'avons pas encore le retour. Le coût de cette mesure n'a donc pas pu être inscrit dans la maquette budgétaire au titre de l'année 2018.

J'ai bien noté que différents amendements visent à gager le coût de cette mesure sur d'autres budgets, par exemple celui des affaires maritimes. Je vous alerte : le budget des affaires maritimes ne peut pas financer une telle mesure, sauf à mettre en péril la sécurité des CROSS. Si l'on doit rétablir cette exonération de charges, il faudra trouver une recette d'une autre nature. Cette question pourra être abordée dans le cadre de notre réflexion globale et sera examinée lors du prochain Comité interministériel de la mer.

Monsieur Pahun, vous voulez instaurer une redevance pour usage de l'espace maritime. Cela peut paraître, à première vue, une bonne idée. Mais, comme vous l'avez souligné, en la matière, les règles internationales – en l'occurrence celles de l'Office maritime international (OMI) – s'appliquent. La France ne peut pas porter seule la mise en place de règles de ce type. Ce serait par ailleurs perçu comme un certain saut conceptuel par le secteur maritime… Mais je partage votre préoccupation : il n'est pas évident pour l'ensemble des États, notamment ceux dont les ressources sont limitées, d'assurer en toute sécurité la circulation de navires dont les tonnages ne cessent d'augmenter. Nous porterons donc cette réflexion au niveau international, comme c'est le cas dans le transport aérien.

Un enjeu particulier va rapidement se poser en Manche : nos partenaires britanniques – peut-être préoccupés par les enjeux du Brexit – peuvent avoir tendance à se désengager, ce qui fait reposer la sécurité du trafic sur la France.

Vous avez raison, les enjeux d'émission de CO2 sont très importants pour le transport maritime, comme pour les autres transports. Là encore, les discussions doivent avoir lieu au niveau international. Nous avons avancé sur ces sujets dans le cadre de l'OACI. Mais la discussion est encore devant nous à l'OMI, alors que les réglementations internationale et européenne sont de plus en plus poussées sur les pollutions atmosphériques.

En 2016, l'OMI a décidé de réduire les taux maxima de soufre dans les carburants : ils passeront de 3,5 % actuellement à 0,5 % en 2020, cette limite étant déjà réduite pour la Manche et la mer du Nord. La France milite pour une réduction du même type pour la mer Méditerranée.

Pour le secteur maritime, le GNL est effectivement une bonne alternative à court terme – pour les bateaux que nous construisons actuellement –, même si, à plus long terme, le recours à l'hydrogène est envisageable. En vertu de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, les ports doivent d'ailleurs mettre en place les installations permettant l'avitaillement en GNL. Ils ont commencé à le faire. Dans le cadre du comité interministériel de la mer, nous réfléchirons aux modalités de soutien de cette indispensable bascule, tant en termes d'image que d'acceptabilité. Les armateurs en sont bien conscients. Je suis confiante, il s'agit d'une technologie éprouvée.

Vous m'avez interrogé sur le recyclage des bateaux de plaisance. Vous savez que la loi du 17 août 2015 avait prévu d'instaurer un mécanisme vertueux pour favoriser ce recyclage. Mais nous sommes confrontés à un écart très important entre le stock des bateaux à recycler et le flux susceptible de supporter l'éco-contribution. Nous réfléchissons donc, avec la Fédération des industries nautiques, afin de revoir ce mécanisme de recyclage. Votre rapporteur général, Joël Giraud, a proposé d'en reporter la mise en oeuvre d'un an.

Monsieur Pichereau, dans le cadre des Assises de la mobilité, nous réfléchissons à l'application du principe d'usager-payeur ou de pollueur-payeur. Nous sommes d'autant plus incités à le faire que le financement des infrastructures est dans une impasse dont on pourra difficilement sortir en se contentant de diminuer les dépenses. On ne peut pas réinstituer l'écotaxe, qui a subi de nombreuses péripéties dont tout le monde a fini par se lasser. En revanche, nous devons absolument trouver le moyen de faire payer le transport en transit sur notre territoire, d'autant que tous nos voisins l'ont fait. Nous sommes finalement les seuls en France à avoir un dispositif à deux vitesses, constitué, d'une part, d'un réseau routier concédé payant et, d'autre part, d'un réseau non concédé gratuit. Ce dispositif entraîne des effets de report sur les réseaux gratuits et pose donc des problèmes de politique des transports et d'aménagement du territoire, mais également des problèmes quotidiens aux habitants des bourgs et des villages traversés par des camions roulant sur des routes qui n'ont manifestement pas été conçues pour cela.

Nous veillerons aussi, dans les discussions à venir, à ce que la directive « Eurovignette » ne mette pas en difficulté certaines concessions historiques. La directive actuelle prévoit en effet que les concessions qui sont pas totalement conformes aux règles qu'elle édicte puissent être maintenues, nonobstant l'adoption de la nouvelle directive. Cette dernière apporte des éléments intéressants, notamment en ce qui concerne la monétarisation de certaines externalités négatives du transport routier. C'était déjà en partie prévu dans la directive actuelle mais le champ de cette monétarisation est élargi dans le cadre de la future directive. Autre point positif, le texte prévoit l'extension des zones dans lesquelles il est possible d'avoir un sur-péage. A contrario, nous partageons avec l'Allemagne le souhait que l'Europe laisse un minimum de latitude aux États membres.La directive prend position pour des péages kilométriques, par opposition aux péages à la durée. Nous pensons, nous, que chaque État doit pouvoir disposer d'un minimum de marges de manoeuvre pour s'adapter à son contexte local. Il n'est pas forcément indispensable que la directive entre à ce point dans le détail.

S'agissant de la logistique et du fret, je vous confirme que les Assises de la mobilité couvrent déjà un champ très large et permettent de traiter beaucoup de sujets, dans le cadre de cinquante groupes de travail réunissant 450 participants. Nous avons ciblé ces groupes sur les transports de voyageurs et sur la logistique du dernier kilomètre. Il nous faudra donc aussi traiter l'ensemble des questions liées au fret et à la logistique. De nombreuses réflexions ont été menées concernant les axes fluviaux ainsi que dans le cadre de la démarche France Logistique 2025. Nous sommes en train d'analyser et de hiérarchiser les propositions issues de ces réflexions et organiserons une journée de concertation et d'échanges pour définir des plans d'action dans les domaines du fret et de la logistique. Les dispositions correspondantes seront reprises dans la future loi d'orientation des mobilités.

Quant aux infrastructures de recharge électrique, elles sont effectivement fondamentales pour accompagner l'essor de la mobilité électrique, soutenu par le Gouvernement dans le but de mettre un terme à l'usage des véhicules thermiques à l'horizon 2040. Il existe plusieurs types d'aides selon les échelles. Les dispositifs visant les réseaux nationaux sont fournis par trois entreprises ayant répondu à des appels à manifestation d'intérêt et ayant été reconnues comme opérateurs porteurs de projet de niveau national. Sur ces réseaux nationaux, les porteurs de projet peuvent bénéficier d'une exonération de redevance d'occupation du domaine public. S'agissant d'un maillage plus fin, les collectivités locales bénéficient de financements dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Elles ont déjà été soutenues à hauteur de plus de 60 millions d'euros pour l'installation de plus de 20 000 points de recharge. Il y a également un dispositif en faveur des PME et des artisans, dans le cadre de programmes de certificats d'économie d'énergie. Les particuliers, quant à eux, peuvent bénéficier du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) qui sera maintenu, en ce qui concerne les infrastructures de recharge.

Eu égard à la directive sur l'étiquetage des voitures, dite « Car labelling »,, à la suite des fraudes constatées dans le secteur automobile, la question centrale est de passer de l'ancien cycle de mesures au nouveau. La Commission européenne a fait le choix de ne pas réviser la directive à ce stade mais de publier des lignes directrices. Il conviendra évidemment de s'assurer que cela ne remet pas en cause l'homogénéité des mesures entre les États membres. En tout cas, nous continuons à plaider au niveau européen pour l'instauration des mesures les plus fiables possibles, tant des émissions de CO2 que de celles de NOx.

Madame Park, je vous confirme que la question de l'environnement concurrentiel sera bien au coeur des Assises du transport aérien, qui traiteront à la fois de la performance économique des acteurs du secteur, de la performance au service des territoires – il importe en effet que le transport aérien soit bien perçu comme un outil d'aménagement du territoire et qu'il assume ce rôle –, de la performance environnementale et de l'innovation au service des passagers.

La taxe de solidarité est en effet une particularité française : avec la Corée du Sud, nous sommes le seul pays à l'avoir instituée, l'idée de départ ayant été de taxer les flux financiers pour financer la lutte contre les pandémies dans les pays en développement. Des progrès ont été accomplis, puisque l'affectation de la taxe a été plafonnée et que l'excédent est maintenant reversé au budget annexe de l'aviation civile, contribuant ainsi à la compétitivité du transport aérien. Par ailleurs, cette taxe ne paralyse pas les hubs français puisque les passagers en transit ne sont pas taxés. Il est vrai, cependant, que la situation est un peu paradoxale, la France étant contributeur à 80 % du fonds créé au niveau mondial. Je ne pense pas qu'il soit opportun d'étendre la taxe à d'autres modes : appliquer la taxe aux transports du quotidien et de loisir l'éloignerait vraiment de son objectif de départ : la solidarité. Une fois que les autres pays se seront mis eux aussi à appliquer une taxe de solidarité, nous pourrons envisager de sortir de l'assiette de la taxe les transports nationaux. Cela ne devrait pas bouleverser les recettes dégagées puisque la taxe est kilométrique.

En ce qui concerne Aéroports de Paris, le Gouvernement travaille à l'élaboration d'un programme de cession de participations, dans différents secteurs, avec l'objectif de dégager environ 10 milliards d'euros pour financer l'innovation de rupture. L'entreprise ADP a, vous le savez, un statut particulier puisqu'elle est propriétaire du foncier et des infrastructures de l'aéroport. Le principe selon lequel l'État détient la majorité de son capital étant inscrit dans la loi, si l'État devait céder des participations dans ce capital, il ne pourrait le faire qu'en passant par un texte législatif, et donc à l'issue d'un débat devant le Parlement.

Enfin, le principe de la taxe sur les nuisances sonores est celui du pollueur-payeur. La taxe cible assez finement ces nuisances et revêt une dimension incitative, puisqu'elle est plus élevée si l'aéronef est plus bruyant ou s'il décolle à des heures plus gênantes. Comme le plafond au-delà duquel la taxe est reversée au budget général a été relevé pour dégager des ressources suffisantes en Île-de-France, je ne suis pas sûre qu'il serait très compréhensible, ni pour les compagnies qui utilisent les aéroports de province, ni pour les collectivités qui soutiennent souvent le développement de ces aéroports, d'entrer dans une logique de péréquation au profit de l'Île-de-France. J'ai confiance dans le fait que nous aurons les ressources nécessaires pour terminer l'isolation des habitations subissant ces nuisances dans un délai raisonnable.

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