Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 31 octobre 2017 à 17h15
Commission élargie : finances - affaires économiques - développement durable - affaires étrangères

élisabeth Borne, ministre chargée des transports :

Monsieur Thiébaut, en ce qui concerne la mobilité du quotidien, c'est un budget de transition que nous vous présentons. Néanmoins, j'ai tenu à ce que dès ce PLF 2018, on puisse engager la remise à niveau des budgets de régénération. En effet, le faible niveau de ces budgets empêche actuellement la modernisation et l'entretien de nos routes. Je ne veux pas qu'on se retrouve dans la situation que nous avons connue il y a quelques années sur le réseau ferroviaire. Je ne veux pas non plus qu'on laisse se dégrader le réseau fluvial. C'est d'abord en maintenant la qualité de nos réseaux routier et ferroviaire qu'on assurera les besoins de nos concitoyens en transports de la vie quotidienne. D'où l'augmentation, dans un contexte budgétaire globalement contraint, des crédits consacrés aux CPER. Cela étant, on ne peut favoriser la mobilité du quotidien dans les zones rurales et périurbaines en n'agissant que sur les infrastructures.

Il s'agit de tirer parti de toutes les nouvelles formes de mobilité qui se sont développées, qu'il s'agisse de l'autopartage, du covoiturage, du transport à la demande grâce aux applications qu'on peut désormais avoir sur son téléphone, des systèmes d'offre de transport intégré que l'on peut développer aujourd'hui, voire, demain, des navettes autonomes – nous venons d'ailleurs de désigner Anne-Marie Idrac pour coordonner et nous aider à préparer la stratégie nationale dans ce domaine.

Il se trouve que la France est vraiment en pointe sur le véhicule autonome appliqué aux transports publics, grâce à deux start-up qui sont aux meilleurs rangs mondiaux. On peut donc espérer que, demain, nous saurons, d'une part, tirer parti de toutes ces innovations et, d'autre part, poser le problème de la gouvernance. En effet, un Français sur quatre a dû renoncer à un emploi ou une formation faute de pouvoir s'y rendre.

Il faut avoir conscience que 40 % de nos concitoyens vivent hors périmètre de transports urbains. Cela veut dire qu'il n'y a pas d'autorité organisatrice qui se préoccupe d'offrir des solutions alternatives à la voiture. Si je suis convaincue que la voiture, dans les zones peu denses, restera le mode prédominant, je pense que, pour le pouvoir d'achat et la qualité de vie de nos concitoyens, mieux vaut qu'il s'agisse de véhicules propres et de véhicules partagés. A ceux qui habitent ces zones et qui n'ont pas le permis de conduire ou ne sont pas en mesure de conduire, nous devons en mesure de proposer des solutions.

C'est l'enjeu central des Assises de la mobilité : favoriser l'émergence de nouvelles solutions de mobilité et les amener dans tous les territoires. Je suis confiante, pour ma part, quant aux propositions qui vont remonter des territoires et à votre capacité à voter une loi d'orientation des mobilités qui nous permette de tirer parti de toutes ces innovations.

Je voudrais rassurer M. Prud'homme : l'urgence climatique est au coeur non seulement de l'action de Nicolas Hulot, mais aussi des politiques du transport et de la mobilité. Nous accompagnons les évolutions vers des motorisations plus propres, vers une meilleure utilisation des véhicules grâce au covoiturage et au déploiement de dispositifs de recharge. Un atelier des Assises sera entièrement consacré à ces questions.

Au Gouvernement, nous avons tous en tête l'ouragan Irma et ses conséquences, et nous sommes plus que jamais mobilisés pour être à la pointe de la lutte contre le changement climatique, y compris dans le domaine des transports.

S'agissant du canal Seine-Nord, j'observe que, dans chaque région où je me rends, chacun pense que son propre projet d'infrastructure est naturellement prioritaire. C'est le résultat de promesses qui représentent, pour le seul secteur ferroviaire, près de 36 milliards d'euros, alors qu'il n'a jamais été dépensé plus de 400 à 500 millions d'euros par an pour des projets ferroviaires.

Cela montre la nécessité de sortir de cette méthode, qui crée beaucoup de frustrations et d'incompréhensions, et de redonner crédibilité à la parole de l'État, en organisant le phasage des projets et leur financement. En ce qui concerne spécifiquement du canal Seine-Nord, j'ai évoqué la démarche engagée avec la région Hauts-de-France, à savoir la création d'une société régionale, qui pourrait être actée dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités. En effet, les financements ne sont pas prévus dans le cadre du PLF2018, les collectivités nous ayant fait la proposition, pour favoriser le montage du projet, de les prendre à leur charge sur la période 2018-2020. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, c'est une proposition que nous avons évidemment saisie. Nous avançons donc avec elles pour donner suite à la très forte attente qu'elles ont exprimée sur le sujet.

Monsieur Wulfranc, vous semblez vous référer aux « conclusions » de la mission de Jean-Cyrille Spinetta, alors que cette mission commence seulement. Je veux redire que je porte une politique très ambitieuse dans le domaine ferroviaire. Je pense toutefois que le mode ferroviaire ne convient pas partout, et qu'il existe, selon les endroits, des alternatives très pertinentes. Il peut être très pertinent, voire irremplaçable, dans un certain nombre de cas, mais il l'est moins dans d'autres.

En tout cas, notre système ferroviaire est aujourd'hui en grande difficulté, l'endettement de SNCF Réseau étant de 45 milliards d'euros, sans doute de 50 milliards l'an prochain. Près de 70 % des dessertes sont déficitaires, alors même que les billets sont souvent jugés trop chers. Le système doit être remis sur ses pieds, et c'est la mission qui a été confiée à Jean-Cyrille Spinetta, sans préjuger à ce stade, comme je vous l'ai dit, du choix de privilégier les grands axes au détriment des TET et des TER.

Notre réseau routier national est dégradé lui aussi, et nous ne pouvons prendre le risque de le voir connaître, dans quelques années, les mêmes difficultés que avons pu constater sur le réseau ferré national à la suite d'un tragique accident. La priorité doit aller à l'entretien et à la régénération des réseaux. Il est de notre responsabilité d'assurer la pérennité d'un patrimoine qui nous a été légué par nos prédécesseurs. Les documents dressent le constat de ce qu'il se passera si nous ne faisons rien – ce qui n'est pas la politique que j'entends mener. L'ambition de la loi de programmation est précisément de donner un coup d'arrêt à la dégradation de notre réseau routier national, à l'instar de ce qui a été fait pour le réseau ferré.

Monsieur Bouillon, la mission confiée à Philippe Duron consiste à prendre en compte l'ensemble des besoins, y compris de régénération, afin de nous éclairer sur notre stratégie d'infrastructures. Nous avons en effet besoin d'une vision, et pas simplement de tracer des autoroutes ou des lignes de TGV sur des cartes.

Je ne vois pas pourquoi, par exemple, on a su faire des RER en région parisienne tandis que l'équivalent n'existe pas dans d'autres agglomérations, de plus en plus étendues. Notre réseau ferré national ne s'est pas adapté depuis le XIXe siècle : le réseau actuel, celui que nous connaissons, est en effet celui du XIXe siècle , enrichi des TGV – et du RER en Île-de-France.

Tout cela fait partie des réflexions dont est chargé le Conseil national des infrastructures. Cela ne se réglera évidemment pas en trois minutes, mais il faut que nous nous donnions des orientations, des ambitions : celle d'être performants sur les axes fluviaux qui desservent nos ports, d'être performants aussi sur les axes ferroviaires qui desservent les abords de nos agglomérations, celle de travailler sur les ressources et sur la priorisation des projets.

La mission confiée à Jean-Cyrille Spinetta a pour objectif de définir l'avenir du transport ferroviaire, en se posant la question des domaines dans lesquels il peut être moins pertinent que par le passé. Nous ne pouvons pas ignorer que la mobilité a changé, qu'il y a les compagnies aériennes à bas coût, les cars « Macron », le covoiturage… A contrario, on ne peut ignorer que de plus en plus de Français sont pris dans les embouteillages à l'entrée des villes et que le transport ferroviaire ne joue pas là le rôle qu'il devrait jouer.

Quelle place donner au ferroviaire dans les années qui viennent ? Il s'agit de remettre sur pied un modèle économique qui n'est plus sous contrôle, et de préparer l'ouverture à la concurrence, prévue dans le cadre du quatrième « paquet » ferroviaire, en le faisant au bénéfice des voyageurs, de l'autorité organisatrice et des cheminots.

Je vous confirme que la règle d'or continuera à s'appliquer. Il ressort de nos réflexions et de celles qui nous parviennent sur le financement des projets que, pour un certain temps au moins, il ne faudra guère compter sur SNCF Réseau pour financer de nouvelles infrastructures.

Je vous confirme que la directive relative aux travailleurs détachés, dans sa version de 1996, s'applique au transport routier de marchandises. Cela fait partie de l'accord trouvé sur la révision de la directive relative aux travailleurs détachés. Par contre, la nouvelle version et les spécificités liées au transport routier seront discutées dans le cadre du paquet mobilité. C'est une bonne chose, car un certain nombre d'États auraient voulu bâcler la révision de la directive dans le domaine du transport routier, ce qui aurait été au détriment des 700 000 salariés du secteur. Dans l'attente, nos salariés sont couverts par le cadre très protecteur de la loi Macron.

Monsieur Cattin, j'ai entendu vos préoccupations sur la formation dans le transport routier. Honnêtement, pour avoir passé beaucoup de temps avec les partenaires sociaux de la branche, avec lesquels j'ai évoqué beaucoup de sujets, préalablement à l'accord unanime des organisations syndicales et patronales, je puis dire que nous n'avons pas eu l'occasion d'évoquer ce point. Mais, s'il se confirme qu'il pose problème, je m'engage à vous adresser des éléments de réponse d'ici la fin de la semaine.

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