Intervention de Francelyne MARANO

Réunion du jeudi 23 janvier 2020 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Francelyne MARANO, professeur émérite de biologie cellulaire et de toxicologie à l'université Paris-Diderot, membre du Haut Conseil de la santé publique :

Effectivement. Au CPP, il nous est demandé d'utiliser cet exemple pour regarder de quelle manière traiter ce type d'alerte.

Pour commencer, il m'a semblé nécessaire de replacer les fongicides, dont les SDHI, dans un ensemble. On ne sait pas toujours à quoi correspond le terme de pesticide. Les produits phytopharmaceutiques (ou phytosanitaires) sont utilisés pour la protection des plantes. C'est dans cette catégorie que l'on trouve les substances chimiques de synthèse, dont les fongicides et les SDHI, mais également les insecticides, les herbicides et d'autres produits. À côté de cela, nous avons les produits biocides, dans lesquels on trouve des SDHI : désinfectants, produits de protection du bois, etc. Sous le terme de pesticide se cache tout un ensemble de familles et de molécules qui n'ont absolument pas les mêmes fonctions et qui ne sont pas utilisées dans le domaine agricole. C'est pourquoi les experts parlent de produits phytopharmaceutiques.

Dans les pesticides pris au sens large, ce sont les matières actives qui ont été étudiées dans le cas des publications et des alertes relatives aux SDHI. Ces matières ont un effet direct sur la cible. Dans un pesticide, qu'il soit utilisé en agrochimie ou autre, vous avez une ou plusieurs matières actives. Vous avez également des adjuvants. Souvent, il n'en est pas tenu compte, alors qu'ils peuvent avoir des effets tout à fait importants. C'est par exemple le cas du glyphosate. Les publications de scientifiques ont souvent étudié les matières actives et pas les formulations, c'est le cas des travaux publiés récemment par l'équipe de Pierre Rustin.

Comment les produits phytopharmaceutiques sont-ils évalués sur le plan réglementaire ? Comment les autorisations sont-elles données ? Il existe évidemment un dossier sur leur efficacité. Il faut que ces produits soient efficaces sur la cible. Les risques pour le travailleur sont également évalués, de même que les risques pour le consommateur et l'environnement. Ainsi, les abeilles sont une cible particulièrement sensible. Tout ceci apparaît dans des règlements européens depuis 1991 ; des modifications ont été apportées en 2011. Ce travail est effectué par les agences nationales et européennes.

Depuis relativement peu de temps, la procédure européenne d'autorisation pour les fongicides, comme pour les autres produits phytopharmaceutiques et les biocides, se fait par zone. Il existe trois zones : nord, centre et sud ; la France appartient à la zone sud. Chaque État-membre formule ses propres demandes, mais in fine, l'autorisation de mise sur le marché des produits s'effectue au niveau européen.

Les fongicides qui sont utilisés en agrochimie et en agriculture luttent contre les pourritures qui attaquent les fruits, les légumes, la vigne, le blé, le maïs ou les semences. Ces moisissures sont des champignons unicellulaires, ou inférieurs, qui peuvent former des filaments. Ces champignons provoquent des maladies chez les plantes, mais également chez l'homme (par exemple les mycoses). D'ailleurs, des SDHI sont utilisés comme médicaments pour lutter contre les mycoses, mais ce ne sont pas ces catégories de molécules qui vont nous intéresser aujourd'hui. Les champignons inférieurs peuvent provoquer de graves intoxications chez l'homme. Les toxicologues connaissent très bien, et depuis longtemps, les mycotoxines, qui sont des substances produites par des champignons qui peuvent être extrêmement toxiques. En particulier, nous avons beaucoup étudié les aflatoxines, qui sont une famille de mycotoxines : ce sont les plus puissants cancérigènes du foie que nous connaissons. Il faut avoir conscience que la lutte contre les maladies d'origine fongique des végétaux peut être une protection de la santé humaine.

Les agriculteurs utilisent des fongicides pour lutter contre ces maladies. Il en existe de très nombreux. Tous ont une cible au niveau de la cellule. L'idée consiste à détruire les cellules qui constituent les moisissures qui attaquent les végétaux. Les SDHI appartiennent à la catégorie des inhibiteurs de la respiration cellulaire. Il existe également des inhibiteurs de la division cellulaire, des inhibiteurs de la biosynthèse des stérols, des perturbateurs de la synthèse des protéines et des perturbateurs du métabolisme des glucides. Il faut bien comprendre que bien que ce que l'on souhaite provoquer, c'est la mort de la cellule champignon, ces cibles cellulaires se retrouvent dans toutes les cellules du vivant. La question des SDHI relève donc d'un contexte général dans lequel d'autres cibles peuvent être tout aussi préoccupantes.

Les mitochondries sont ce qui nous permet de vivre. Elles sont l'usine à respiration de la cellule. Elles produisent ce que les biologistes nomment énergie cellulaire à partir du glucose et de l'oxygène. Une cascade de réactions conduit à la formation de molécules d'ATP, ces molécules hautement énergétiques qui sont utilisées dans toutes les réactions des fonctions cellulaires, notamment pour permettre la synthèse des protéines ou de l'ADN. Les réactions chimiques de la chaîne respiratoire conduisent à la formation de ces molécules ATP, ce sont ces réactions qui sont inhibées par les SDHI. On parle d'inhibiteurs de la chaîne respiratoire.

Les SDHI interviennent sur un élément, voire deux éléments pour les nouvelles molécules, de cette chaîne respiratoire : il s'agit du complexe II, avec une enzyme qui s'appelle la succinate déshydrogénase. Pour arriver jusqu'au complexe V, il existe une succession de réactions. Les molécules dites inhibiteurs du complexe II arrêtent la chaîne respiratoire : elles empêchent que la chaîne de réaction se fasse jusqu'au complexe V, celui qui est responsable de la production de la molécule hautement énergétique qu'est l'ATP.

Il existe toute une série de SDHI. Les premières ont été synthétisées en 1966. Il semblerait qu'elles ne soient plus guère utilisées. Des évolutions sont ensuite intervenues. Le mécanisme d'inhibition du SDHI sur l'enzyme est le suivant : la molécule chimique synthétisée par les chimistes (un des SDHI) se fixe sur l'enzyme et l'empêche de fonctionner. Il s'agit d'une compétition entre la molécule biologique qui est naturellement utilisée dans la chaîne respiratoire (le succinate) et le SDHI, et cette compétition est remportée par le SDHI.

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