Intervention de Frédérique Dumas

Réunion du mardi 18 février 2020 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Monsieur le ministre, comme vous le savez, j'ai remis en mai 2018 un rapport cosigné par sept autres députés de la majorité. Ce rapport ne rejetait pas en soi le principe de la holding, mais estimait qu'un certain nombre de conditions devaient être réunies afin que les objectifs affichés, que nous partageons, puissent être atteints. Or, ces conditions ne sont pas réunies aujourd'hui, c'est pourquoi le groupe Libertés et Territoires a souhaité rédiger une contribution spécifique, qui vous a été transmise, en marge des conclusions du groupe de travail sur l'audiovisuel extérieur, réuni au sein de la commission des affaires étrangères par notre présidente.

Optimiser l'offre du service public, l'adapter à l'ère du numérique, renforcer son attractivité et sa qualité afin de répondre à ses missions fondamentales, tout cela demande en effet une véritable transformation du modèle. Or, les décisions prises par le Gouvernement en juillet 2018 – vous n'étiez pas encore ministre –, notamment la demande d'économies budgétaires, obèrent, par leur nature et par leur importance, toute possibilité de transformation. Ces décisions ont été prises en l'absence de toute stratégie permettant de transformer les modèles en profondeur, sans ouvrir les conventions collectives qui auraient permis de réorganiser le travail et le temps de travail ; sans prévoir la moindre période de transition et d'accompagnement ; sans non plus de perspective concrète relative à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public, pourtant rendue nécessaire par la suppression de la taxe d'habitation. Ces décisions ne permettent donc pas d'assurer la mise en place sereine d'une éventuelle holding.

Au-delà de ces considérations, le groupe Libertés et Territoires n'est de toute façon pas favorable à l'intégration d'une partie de l'audiovisuel extérieur, représentée par France Médias Monde, au sein d'une éventuelle holding, comme nous l'avions indiqué dans notre rapport.

En contribuant au rayonnement extérieur de notre pays, France Médias Monde est un acteur à part entière de la stabilisation des zones de tension, un contributeur à l'objectif de développement et de stabilité, donc de sécurité, dans de nombreuses régions du monde. Les moyens de l'audiovisuel extérieur devraient donc, à l'inverse, être sanctuarisés, voire augmentés, ce qui pourrait se faire en prévoyant que l'audiovisuel extérieur disposerait de moyens budgétaires combinant contribution à l'audiovisuel public refondé et financement à travers l'aide publique au développement. Cela pourrait se faire, comme en Australie, en prévoyant une loi de projection pluriannuelle spécifique à l'audiovisuel extérieur, car les missions sont spécifiques et, par nature, distinctes des problématiques des opérateurs de l'audiovisuel public, qui s'adressent aux Français en France et en français.

Enfin, quelle cohérence y a-t-il à avoir une partie de l'audiovisuel extérieur au sein de la holding et une partie à l'extérieur ? Comme vous l'avez rappelé, ARTE et TV5 continueront à être des organes indépendants, pour des raisons légitimes et rappelées dans l'étude d'impact. Les synergies potentielles évoquées, comme la circulation des séries et des fictions en général, ne sont pas opérantes – France 24 est une chaîne d'information, qui ne diffuse aucune fiction. Par ailleurs, la circulation des programmes sur des antennes différentes entraînerait, par nature, un coût supplémentaire, car la loi prévoit évidemment une rémunération pour chaque support d'exploitation, notamment pour les auteurs.

Sur le plan opérationnel, il est facile de démontrer qu'il existe de vrais inconvénients à une intégration au sein de la holding, tandis qu'une véritable politique de coopération conventionnelle, négociée en toute transparence, notamment en ce qui concerne le domaine de l'information entre France Médias Monde et les acteurs opérant sur le territoire national, permettrait plus de souplesse et de dynamisme, tout en préservant l'identité de chaque antenne.

Les propos qu'a tenus le président du conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dans une interview récente au Monde ne sont pas de nature à nous rassurer, puisqu'il dit : « Il y a deux lectures de la loi, celle a minima, qui fait de France Médias un organe de coordination et de pilotage stratégique, laissant l'éditorial au sein des entreprises. Et une lecture a maxima, avec une centralisation forte au niveau de la holding. Cela dépendra de la personnalité choisie pour présider France Médias. »

Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés et Territoires sera attaché à défendre et à garantir le rôle de la spécificité de l'audiovisuel extérieur dans notre société, ainsi que la sanctuarisation, voire l'augmentation des moyens qui lui sont consacrés.

Par ailleurs, aujourd'hui, on parle beaucoup de champions nationaux, de « Netflix à la française », mais en fait on confond beaucoup de choses, puisque les vrais Netflix à la française, ce sont davantage Canal+ ou OCS – c'est-à-dire des offres de télévision payante, pouvant s'assimiler à des offres de SVOD, vidéo sur demande avec abonnement mensuel – que Salto, une offre de télévision publique qui se rapprocherait plutôt de Hulu. Quels sont, dans la loi ou dans les décrets qui suivront la régulation, les moyens que vous donnez à ces « Netflix à la française » pour être en mesure de s'exporter et de s'internationaliser, puisque c'est la seule réponse possible aux géants étrangers ?

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