Intervention de Franck Riester

Réunion du mardi 18 février 2020 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Franck Riester, ministre de la culture :

J'apprécie les échanges car, comme vous le dites, c'est ce qui permet d'avancer.

Les moyens financiers alloués au groupe public seront évidemment votés par le Parlement, et la répartition entre les différentes entreprises du groupe sera précisée, inscrite dans la convention stratégique pluriannuelle, laquelle sera transmise pour avis au Parlement avant sa signature. L'avis des commissions parlementaires compétentes a un certain poids : il n'est pas question de ne pas en tenir compte.

Je suis néanmoins prêt à examiner la façon dont nous pourrions introduire un maximum de garanties sans figer l'organisation du groupe public ni remettre en cause les objectifs que nous nous sommes donnés avec la création de France Médias.

Concernant les infox, le groupe public aura, bien entendu, un rôle tout particulier à jouer, rôle que remplissent déjà les différentes entreprises audiovisuelles publiques. Le Gouvernement et la majorité sont très mobilisés sur cette question. Une loi contre la manipulation de l'information a été votée ; il faudra sûrement aller plus loin, et nous allons nous y employer en travaillant avec les plateformes.

S'agissant de l'animation, elle est une filière essentielle pour notre industrie, et ses contenus sont importants pour notre jeunesse. Nonobstant la décision de supprimer France 4 et France Ô, nous veillerons à ce que la présence de l'animation, notamment des contenus jeunesse, soit assurée au sein de l'audiovisuel public, en particulier de France Télévisions. Cette disposition figurera à la fois dans le projet de loi et dans la convention stratégique de France Médias.

Nous serons également attentifs à ce que ces contenus conservent un mode de diffusion linéaire, et je suis prêt à travailler avec vous sur ces précisions. La suppression de France 4, qui n'était dédiée à la jeunesse et à l'animation que depuis quelques années, n'interdit pas de faire basculer ces contenus vers d'autres chaînes de France Télévisions. C'est une des décisions que devra prendre la société et, demain, le groupe France Médias, pour satisfaire à cette mission de service public.

J'en viens au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et à notre politique d'accompagnement de ces filières. Le CNC a renforcé son soutien en 2018, notamment grâce aux crédits d'impôt, en particulier le crédit d'impôt international : je rappelle à ceux d'entre vous qui connaissent Les Minions qu'il s'agit d'une production réalisée à Paris. Avec ce projet de loi, nous entendons bien réaffirmer la prééminence de la production indépendante, notamment pour les films d'animation.

Quant aux plateformes Salto et TV5 Monde plus, elles sont à distinguer. La première est payante, accessible en France, et proposera des contenus de ses trois actionnaires TF1, M6 et France Télévisions. Ses programmes seront accessibles plus longtemps en replay, et le catalogue, plus fourni que ceux des plateformes actuelles, sera en outre enrichi de contenus exclusifs. La seconde est gratuite et ses contenus, francophones, pourront être visionnés partout dans le monde. Ses actionnaires sont les partenaires de la chaîne. Des passerelles pourront être mises en place avec les plateformes de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, puis avec celles du groupe France Médias, et je suis prêt à en discuter avec vous à l'avenir.

Mme Liliana Tanguy m'a interrogé sur la définition des oeuvres européennes et les incertitudes relatives aux oeuvres britanniques en raison du Brexit. Je précise, tout d'abord, que le quota de 30 % d'oeuvres européennes a été étendu aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) dans le cadre de la révision de la directive SMA, ce qui est une grande victoire. Ce quota visant à la fois les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, il n'est pas nécessaire de préciser qu'il concerne également les services de vidéo à la demande. En France, des quotas sont déjà applicables aux SMAD installés sur le territoire, tels que Canal Play : 60 % d'oeuvres européennes, 40 % d'oeuvres d'expression originale française.

Concernant le Brexit, il a été décidé que le futur accord commercial avec le Royaume-Uni ne remettra pas en cause l'exclusion horizontale des services audiovisuels – la fameuse exception culturelle –, ce qui est un point très important. Le Brexit sera, en outre, sans impact sur les contributions financières des services installés à l'étranger, puisque l'article 3 du projet de loi prévoit une obligation de contribution pour les services de télévision et de médias audiovisuels à la demande établis dans un autre État membre dès lors qu'ils visent le territoire français.

Un risque de concurrence inéquitable pourrait, en revanche, se présenter, dans la mesure où les oeuvres britanniques conserveront le statut d'oeuvres européennes, et continueront donc de bénéficier des quotas d'exposition et d'investissement sur les services linéaires et non linéaires, alors même que le Royaume-Uni ne sera pas soumis aux contraintes du cadre européen. La directive SMA définit, en effet, les oeuvres européennes par référence à la convention européenne sur la télévision transfrontière (CETT), à laquelle le Royaume-Uni restera partie.

Pour éviter cette situation, il conviendrait de modifier la définition retenue dans la directive SMA, ce qui se décide au niveau non pas national mais européen, ou de rouvrir les négociations de la CETT sur ce point spécifique. Nous avons déjà échangé avec les services de Michel Barnier, négociateur en chef de la Commission européenne pour le Brexit, et avec notre représentation permanente auprès de l'Union européenne ; cette difficulté devra être examinée avec beaucoup d'attention.

Concernant l'accès aux programmes français depuis l'étranger, l'idée de faire payer la contribution à l'audiovisuel public en échange d'un accès à ses programmes me semble difficile à mettre en oeuvre. Il me paraît plus important de prévoir un accès à Salto depuis l'étranger, et c'est ce à quoi nous travaillons avec France Télévisions et les autres chaînes de la plateforme, avec l'objectif de soutenir le financement de la création.

Sur ce sujet, il faut être très attentif au respect du principe de territorialité du droit d'auteur, car c'est ce qui permet de financer la création et de garantir aux auteurs une juste rémunération. Nous avons, d'ailleurs, défendu ce principe dans le cadre des négociations européennes, notamment sur le règlement visant à contrer le blocage géographique.

L'audiovisuel public français dispose, par ailleurs, d'outils de programmation et de promotion de ses programmes : TV5 Monde est accessible dans plus de 200 pays et auprès de 364 millions de foyers, et son accès sera encore plus large demain grâce à la plateforme TV5 Monde plus ; France Télévisions est déjà accessible depuis l'étranger dans 70 pays, principalement en Europe, mais aussi en Afrique subsaharienne, auprès de 38 millions de foyers ; quant à France Médias Monde, elle a vocation à diffuser les contenus de l'audiovisuel extérieur partout dans le monde.

La francophonie, cher Jacques Krabal, est une des missions de l'audiovisuel public, et elle continuera d'être renforcée. Je reviendrai sur nos attentes en la matière lors de nos débats dans l'hémicycle.

Le crédit d'impôt audiovisuel est un outil formidable, et nous travaillons avec Bercy à l'étendre aux jeux vidéo – une filière essentielle pour l'avenir de toutes les industries de l'image. Plus nous accueillerons de productions de jeux vidéo sur notre sol, plus nous pourrons valoriser à la fois le savoir-faire français, l'excellence de la filière française, et ainsi conforter ces emplois sur notre territoire.

La place des femmes et des hommes dans l'audiovisuel sera, bien sûr, un des objectifs de France Médias, et nous aurons l'occasion d'y revenir quand nous aborderons les missions de service public du groupe.

Depuis deux ans, d'importants progrès ont été réalisés sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes : la charte des festivals prévoit la parité dans tous les comités de sélection, la gouvernance des César, d'une actualité brûlante, est en cours de rénovation, et le CNC attribue, depuis l'année dernière, un bonus de 15 % aux films dont les équipes sont paritaires. Cette dernière avancée est considérable, et s'appuie sur la bonification plutôt que sur la sanction. Quant au CSA, demain l'ARCOM, il exerce un contrôle sur l'amélioration de la place des femmes et de leur visibilité. Il s'agit donc de la féminisation de la production et de la réalisation, mais aussi à l'écran. Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, a récemment pris un engagement fort sur la place des femmes à l'écran et sur le soutien aux femmes réalisatrices.

Le projet de l'Agence française de développement (AFD) pour soutenir les médias dans le Sahel avec un financement de 8 millions d'euros et la participation de RFI est une belle initiative.

Le projet de création d'une chaîne franco-algérienne sur le modèle d'ARTE, qui symboliserait l'amitié entre nos deux peuples, me paraît une belle idée, et je suis prêt à y réfléchir très sérieusement. Il y a un lien particulier entre la France et l'Algérie, et le modèle d'ARTE a, en effet, inspiré des initiatives similaires. Ce serait rendre hommage à celles et ceux qui ont imaginé la chaîne franco-allemande et qui la font vivre au quotidien.

Quant à la chanson de la délégation tricolore à l'Eurovision, dont le refrain est en anglais, ce que je déplore tout autant que vous, cher Jacques Krabal, et qui m'a cassé les oreilles ce matin à la radio, c'est un choix indépendant de France Télévisions, dont la ligne éditoriale est libre. Le morceau devait initialement être chanté entièrement en anglais, mais l'interprète, Tom Leeb, a réécrit les couplets pour qu'ils soient en français. La stratégie serait d'essayer d'obtenir le Graal de la première place, mais j'ai fait savoir mon étonnement quant à ce refrain en anglais. Chacun doit montrer l'exemple pour que la France soit portée avec fierté partout et tout le temps. La francophonie est importante, donc, mais le rayonnement de la France, de sa culture et de son regard spécifique sur le monde passe aussi par des contenus, notamment ceux de l'audiovisuel public, en langues étrangères ou sous-titrés. Le sous-titrage est un outil très utile à ce titre.

J'ai tâché d'être le plus complet possible dans mes réponses, madame la présidente ; restent encore de nombreux sujets à examiner sur lesquels nous reviendrons lors de la discussion du projet de loi.

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