Intervention de Alain David

Réunion du mercredi 25 octobre 2017 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David, rapporteur pour avis :

Notre action audiovisuelle extérieure s'organise autour de deux axes principaux : la diffusion des médias et du cinéma français dans le monde et la coopération dans le domaine des médias (renforcement des capacités professionnelles et structuration du secteur dans les pays partenaires).

Le premier axe consiste à promouvoir la vision française du monde. Ainsi, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE) apporte son appui à France Médias Monde (FMM, qui comprend France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya) et TV5 Monde pour élargir leur distribution. Il porte également sur la promotion de nos industries culturelles et créatives (cinéma, programmes audiovisuels, contenus Web ou encore jeux vidéo), la valorisation de l'expertise française en matière audiovisuelle et la promotion du modèle économique et réglementaire français.

Le second axe consiste à soutenir les efforts de professionnalisation et de modernisation des médias de nos partenaires étrangers en développement ou en sortie de crise. Il vise aussi à renforcer l'Etat de droit et promouvoir la liberté d'expression, marqueurs forts de notre diplomatie. Il revient principalement aujourd'hui à CFI, qui vient d'être rattachée à France Medias Monde, de s'acquitter de cette lourde tache, assisté par un réseau, hélas en danger, d'attachés audiovisuels.

Si nous suivons ces moyens budgétaires avec une grande attention c'est parce que l'action audiovisuelle extérieure a reçu pour mission de contribuer à la présence et au rayonnement de la France dans le monde.

Il ne faut pas sous-estimer en effet les externalités positives liées aux dépenses de l'audiovisuel extérieur. Elles favorisent la pénétration de certains marchés par nos entreprises, permettent d'entretenir et d'étendre la communauté des francophones, dont notre Commission a maintes fois souligné l'importance stratégique. L'audiovisuel extérieur fait partie intégrante de la diplomatie du rayonnement culturel, intellectuel et scientifique, qui contribue à notre poids politique, et participe à la construction d'une réalité et d'une image positive de la France. Il porte aussi les valeurs qui sont celles de notre diplomatie : la liberté d'expression, l'indépendance des médias, l'attachement aux valeurs humanistes, autant de sujets sur lesquels la France est attendue.

Enfin, le Président de la République s'est engagé en faveur d'un renforcement de la présence et de l'attractivité de la langue française. Cet objectif est porté par l'accès aux médias français, l'enseignement du français et en français (notamment en Afrique) et la place du français sur internet et sur tous les supports numériques. L'action audiovisuelle extérieure de la France doit y jouer un rôle central.

Le présent rapport ne porte que sur les crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », au travers de deux programmes distincts, le programme 844 renommé « France Médias Monde » et le programme 847 « TV5 Monde ». Pour mémoire, les moyens des programmes 844 et 847 contribuent au financement de TV5 Monde et de France Médias Monde, qui regroupe France 24, Radio France International (RFI) et Monte Carlo Doualiya (MCD), chaîne arabophone, mais française, assez méconnue dans notre pays, bien qu'elle soit très présente dans son « bassin historique », le Proche-Orient.

Le reste des crédits consacrés à notre coopération audiovisuelle est financé par le programme 185, consacré à notre « Diplomatie culturelle et d'influence ». Ce découpage ne facilite d'ailleurs pas le suivi et le contrôle de notre action audiovisuelle extérieure prise dans son ensemble, et ne favorise pas un pilotage politique optimal.

Aux termes de mes travaux, voici les quelques remarques que je souhaite formuler :

1 La France n'est pas en mauvaise place dans la bataille d'influence qui fait rage au niveau mondial. France Médias Monde enregistre de véritables succès - la version arabe de France 24 fait plus d'audience qu'Al-Jazeera en Tunisie, RFI est écouté pour la qualité et l'engagement sans pareil de ses journalistes. TV5 Monde est reçue aujourd'hui dans près de 300 millions de foyers. La chaîne est incontournable en Afrique francophone, et reste la première chaîne francophone au Maghreb, aussi bien auprès des 15 ans et plus qu'auprès des cadres et dirigeants.

2 Mais sa position n'est pas acquise. Il faut continuer de consolider les bases d'entreprises qui ont déjà fait de grands efforts d'économie ces dernières années, de mobiliser les équipes autour de projets ambitieux, d'investir dans l'avenir – que ce soit le multimédia, le passage à la haute définition, la conquête de nouvelles zones d'influence.

Or il y a de grandes ambitions et peu de moyens

– France Medias Monde

Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Médias Monde a été approuvé récemment. Ses grandes orientations stratégiques vont dans le bon sens. Mais les moyens ne suivent pas : c'est une baisse de près d'1,9 million par rapport aux prévisions du COM qui est prévue cette année !

Avec cela, le groupe devra faire face à la fois aux enjeux du développement de la TNT en Afrique (si nous ratons ce tournant nous n'existerons plus sur le continent), il faut passer à la généralisation de la diffusion HD dans certaines parties du monde, à la numérisation des contenus, au renforcement de notre présence en Asie, là où ces relais d'influence appuient la diplomatie économique de la France. Le groupe devra aussi lancer sa version en espagnol.

France Médias Monde est arrivée à tout ce qu'elle pouvait faire en matière de redéploiement. On parle de crédits qui représentant 7% seulement de l'ensemble de l'audiovisuel public français. Il faut savoir si l'on veut toujours faire de notre audiovisuel extérieur un outil d'influence ou un simple gadget.

– TV5 Monde

La francophonie, raison d'être et ossature de TV5 Monde, est à un moment clé de son histoire : l'expansion de la démographie africaine lui garantit théoriquement un triplement annoncé de sa population, jusqu'à plus de 700 millions d'individus à l'horizon 2050, majoritairement en Afrique. Le potentiel de ce levier d'influence est immense pour la France, mais les moyens mis à disposition de la chaîne sont insuffisants, alors même que la chaîne doit moderniser son image et consolider sa présence face à la concurrence.

Cette année la contribution de la France devrait baisser de 1,9 millions d'euros.

La chaîne est particulièrement affaiblie par la cyberattaque dont elle a été victime en 2015, qui entraine un surcout annuel de l'ordre de 3 millions d'euros par an. La politique de réduction des dépenses engagée depuis 2014 par la chaîne ne permettra pas d'absorber ce coût supplémentaire. Et si les partenaires francophones ont soutenu financièrement TV5 en 2016, avec des contributions exceptionnelles, ils ont maintenant des difficultés à suivre.

3 Que faire dans les années à venir ?

– Il faut d'abord et avant tout résolument prendre le virage du numérique. Or la France est en retard dans ce domaine. L'offre n'est pas encore adaptée à la nouvelle demande et à la révolution du numérique qui touche aussi bien les supports que les modes de consommation. Pourquoi par exemple ne pas imaginer la création d'une plateforme numérique où des contenus en langue française mêlant les productions de nos différents opérateurs et de groupes privés, seraient disponibles ?

– Autre remarque sur le fond : la nécessité d'avoir des priorités stratégiques plus claires compte-tenu de la baisse des ressources. La présence du français dans les médias, notamment sur internet devrait être la priorité. Elle n'implique pas systématiquement la recherche d'une diffusion « classique ». Ne faut-il pas par exemple préférer des partenariats avec des medias locaux pour favoriser la diffusion de programmes en français plutôt que de dépenser des fortunes en frais de diffusion cablée ou hertzienne, alors même que les modes de consommation ont changé ? Ces questions méritent d'être posées.

– Au plan financier, s'il est encore possible d'identifier des marges de progression en termes d'économies et de synergies, les efforts consentis par les deux groupes ces dernières années ont été substantiels et seront poursuivis. Il faut offrir une véritable visibilité à leurs équipes et préparer ce que sera notre audiovisuel extérieur dans dix ans.

J'insiste donc sur la nécessité de respecter les trajectoires financières de France Médias Monde et TV5 Monde, tels que prévus respectivement dans le contrat d'objectifs et de moyens et le plan stratégique. Ce qui semble être « l'épaisseur du trait » peut reporter la mise en oeuvre de projets importants telle que le lancement de la version en espagnol de France Medias Monde, ou encore la stratégie numérique de TV5 Monde

Par ailleurs, compte tenu d'une faible progression des ressources propres, notamment en raison d'un marché publicitaire atone, il faudra veiller au dynamisme de la contribution à l'audiovisuel public, qui assure désormais l'intégralité du financement des deux groupes.

– Mais, et c'est ma dernière remarque, il faut surtout dépenser mieux, se recentrer, au plus près des réalités propres à chaque région du monde, sur ce qui aura le plus d'impact en termes d'influence.

De ce point de vue, il est nécessaire de se doter d'un outil politique de pilotage de l'audiovisuel extérieur de la France. Le ministère des Affaires étrangères doit prendre toute sa part dans la définition et la documentation des grandes orientations stratégiques de France Médias Monde et de TV5 Monde, notamment dans les arbitrages portant sur les zones géographiques prioritaires.

Compte rendu de mission

Je me suis rendu en mission en Tunisie sur le thème de la coopération audiovisuelle.

Au-delà du professionnalisme et de la forte implication des équipes de notre Ambassade, dont il tient à saluer la qualité du travail et le dévouement, il a pu retenir les éléments suivants.

1 Notre coopération au Maghreb revêt une importance stratégique évidente

Tout d'abord, la coopération audiovisuelle couvre des champs transversaux clés de notre coopération et politique d'influence : gouvernance, relation média et image de la France, société civile, exportation de nos programmes et chaînes, francophonie, coopération dans les domaines du cinéma, mais aussi d'autres industries culturelles.

Elle est particulièrement dynamique au Maghreb, et en particulier en Tunisie, suite aux changements politiques, ou la concurrence d'influence est très forte. Elle se traduit par une large palette d'actions, au plus près du terrain

Par ailleurs, en Tunisie et plus largement au Maghreb, malgré des contextes différents, elle revêt une forte dimension politique et identitaire (langue arabe très majoritaire, en progression), qui fait de nos postes les relais privilégiés de nos opérateurs. Dans le contexte politique régional, notre action audiovisuelle est un instrument d'influence majeur.

Pour faire rayonner notre culture, nos valeurs, nos idées, développer des coopérations et profiter des opportunités économiques (PIB en croissance pour les 3 pays), la France retisse des liens de coopération nouveaux et forts avec l'ensemble des acteurs audiovisuels, au plus près des besoins et des attentes locales, en particulier celles des jeunes, y compris issus des strates arabophones qu'il importe de fidéliser.

2 De nombreux projets en cours – qui ne pourront être réalisés si on supprime le poste d'attaché audiovisuel régional

Le plan d'action sectoriel de l'ambassade s'articule autour de 5 objectifs, principalement :

– Renforcer la place du français dans les médias tunisiens. Sont en préparation par exemple la création d'un master de journalisme francophone à l'IPSI, l'appui à RTCI, seule radio francophone diffusée en Tunisie, la promotion de la création de contenus en français à la Tv et à la radio nationale, ainsi que le lancement des rencontres médias de l'Institut français.

– Soutenir l'Etat de droit. S'y intègrent des actions de formation des journalistes, de renforcement des capacités des médias publics, le soutien au pluralisme avec le renforcement des capacités des médias privés et des radios associatives,

– Soutenir la société civile avec l'éducation aux médias, en particulier la jeunesse, mais aussi des formations en région

– Favoriser les contrats français dans le domaine audiovisuel

A ce titre, je regrette vivement l'annonce de la suppression du poste d'attaché audiovisuel basé à Tunis et compétent sur toute la région du Maghreb. Pour quelques milliers d'euros d'économie, le signal politique envoyé ainsi aux Tunisiens, à un moment charnière de leur histoire est déplorable.

3 Consolider la position du français dans les médias en Tunisie

En Tunisie deux phénomènes questionnent la pertinence de notre stratégie en matière audiovisuelle: d'une part, l'émergence et la montée en puissance des medias nationaux, suite à la révolution, d'autre part les changements de mode de consommation des médias, notamment chez les jeunes.

Il faut souligner le caractère crucial des nouveaux medias et nouveaux supports qui ont pris le pas sur les medias classiques. A titre d'exemple, la majorité des jeunes tunisiens ne consomment des contenus que sur leur portable, et beaucoup disposent d'un forfait téléphonique dit « Facebook ». Ne pas être présent sur Facebook, c'est donc se condamner à l'invisibilité auprès des jeunes générations. Il faudrait aussi revenir en force sur le terrain de l'éducation, des enfants et adolescents. Le soutien à la création d'une édition jeunesse du Huffington Post Maghreb semble de ce point de vue particulièrement pertinent.

Concernant France 24, c'est peut-être en adaptant le contenu à la Tunisie que la chaîne peut garder et gagner une audience.

On peut s'interroger aussi sur l'opportunité d'une diffusion de MCD Doualiya alors même que des radios nationales commencent à s'imposer dans le paysage audiovisuel. Il serait peut être tout aussi pertinent de favoriser la création d'émissions en français au sein des programmes des grandes radios du pays.

Remarque incidente, la quasi-totalité des chaînes TV françaises (en dehors de France 24 et TV5 monde) sont reçues illégalement. Ainsi, de manière générale, peut être faudrait-il créer une plateforme unique à laquelle il serait possible de s'abonner, fournissant un florilège des programmes en français qu'ils soient produits par des chaînes publiques et privées.

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