C'est toujours difficile de comparer des risques. J'ai présidé l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et je suis donc capable d'identifier ces risques. Je me suis notamment beaucoup occupée de la contamination en Polynésie.
D'abord, tout le monde sait depuis toujours qu'il y a un danger avec le nucléaire. Il y a une sensibilité au risque qui est bien antérieure à celle du chlordécone. Aussi, les pathologies liées au nucléaire sont bien connues. Nous savons exactement ce que donne tel type de rayonnement : cancer de la thyroïde, leucémie. En réalité, les maladies liées aux risques nucléaires, radioélément par radioélément qui sont dégagés lors d'une explosion, sont connues depuis Nagasaki. Il n'y a pas cette forme de méconnaissance du risque. Nous sommes en train de défricher sur une population qui est largement contaminée. Lorsque l'on fait des dosages, 95 % de la population antillaise a du chlordécone, plus ou moins selon son alimentation. Sur un territoire largement contaminé par le chlordécone, nous sommes en train d'essayer de définir les maladies qui sont associées à ce produit. C'est compliqué, parce que d'abord, nous ne les connaissons pas. Il n'y a pas énormément de publications dans d'autres pays. Nous avançons grâce aux études. Autre complexité : comme c'est assez uniforme sur les deux îles, nous ne pouvons pas comparer à un groupe équivalent non contaminé. C'est très compliqué. Or, comme dans beaucoup de maladies, il y a aussi des incidences qui sont différentes selon l'endroit où l'on vit, selon les caractéristiques génétiques d'une population, etc. En fait, la complexité scientifique est que nous n'avons pas l'équivalent de la population antillaise vivant dans des îles ressemblant aux Antilles, sans contamination.