S'agissant de questions relatives à des contaminants de l'environnement, l'approche épidémiologique, c'est-à-dire la recherche dans le domaine médical, est telle, qu'il est très difficile de prouver ou de démontrer les liens d'une façon formelle et absolue. À l'heure actuelle, on ne pourrait utiliser la terminologie que vous venez d'employer, que dans les cas du tabac, de l'alcool, voire de l'amiante. Pour ces trois agents, un lien direct a été avéré, mais après près de quatre-vingt-dix ans d'observations répétées… On en est loin de cela concernant le chlordécone.
J'ajoute qu'il faut distinguer nos recherches de la terminologie juridique, en particulier en ce qui concerne la causalité, directe ou indirecte. C'est une expression que nous, dans le domaine de la santé, n'utilisons pas, alors qu'il est souvent employé en droit pénal. Ce que nous pouvons apporter, ce sont des éléments, et bien sûr, des jugements. Cela doit se faire dans la rigueur scientifique : il y a un certain nombre de règles.
Dans le cas très particulier du chlordécone aux Antilles, en matière d'études sur les conséquences sanitaires, il faut tenir compte d'une situation exceptionnelle en termes de territoires touchés par cette molécule, dont l'usage a été très discret au niveau international. Cela tient au rapport sur le profil toxicologique que, les premiers, les industriels américains producteurs de cette molécule ont déposé aux autorités vers 1960-1961. Rendu public en 1975, dans le cadre des procédures faisant suite aux événements de Hopewell, ce rapport montrait déjà – je dis bien en 1961 ! – que la molécule présentait une dangerosité sur le plan de sa neuro-toxicité, de sa toxicité sur la reproduction, mais aussi de sa cancérogénèse. Les États-Unis ont, à ce moment-là, interdit l'usage de cette molécule pour des cultures alimentaires, considérant que le risque pour les populations était trop élevé.