Il est important de répondre de façon complète à cette question récurrente : oui, il y a des éléments de réponse. Tout d'abord, sachez que nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie, en fonction de nos origines. Une maladie génétique comme la drépanocytose est ainsi très fréquente parmi les populations d'origine africaine. En revanche, une maladie génétique comme la mucoviscidose est très peu fréquente dans cette même population, alors que sa prévalence est très élevée en Hexagone. Nous ne sommes pas tous égaux… En matière de cancer, nous ne le sommes pas davantage. L'incidence de différents cancers varie en effet selon les populations. Les populations d'ascendance africaine ont des taux d'incidence de cancer de la prostate beaucoup plus élevés que les populations blanches. Et parmi ces dernières, je ferai encore une distinction entre Nordiques et Méditerranéens, les Nordiques ayant une incidence beaucoup plus élevée. Ce sont les populations asiatiques qui présentent l'incidence la plus faible de ce type de cancer.
Un autre contre-exemple : le cancer du testicule, autre organe de l'appareil génital est exceptionnel aux Antilles et très rare dans les populations d'ascendance africaine. En revanche, il est dix fois plus fréquent chez les Caucasiens.
En 2010, j'ai expliqué au professeur Didier Houssin, alors directeur général de la santé de l'époque, qu'il fallait ramener les choses à leurs justes proportions. Certes, les études montraient un surrisque lié à la chlordécone, mais il fallait quantifier ce surrisque. Dès cette date, nous étions d'accord pour que l'on cherche à estimer ce qu'on appelle une fraction attribuable. Cela ne relevait pas de l'INSERM, mais des agences sanitaires, en particulier de l'Institut national de la veille sanitaire. Nous sommes en 2019, et cela n'a toujours pas été fait ! Très souvent, en Guadeloupe ou en Martinique, on me demande ce que cela représente quantitativement, puisque, bien sûr, l'intégralité des cancers de la prostate n'est pas due au chlordécone. D'après un calcul fait sur le coin d'une table, je suis arrivé à une estimation, très grossière : mettons que sur cinq cents nouveaux cas annuels de cancer de la prostate en Guadeloupe et autant en Martinique, vingt-cinq, trente, quarante seraient imputables au chlordécone. Ce qui signifie, car il y a plusieurs lectures possible, que quatre-cent-soixante au moins n'ont rien à voir avec le chlordécone. Mais, bien évidemment, quarante, c'est quarante de trop !
On ne peut bien sûr pas savoir pour quel individu en particulier le chlordécone est imputable ou pas à son cancer. Si ce message avait été transmis en 2010, il aurait, je pense, remis les choses à leurs justes proportions, sans rien enlever à la question de l'imputabilité du chlordécone dans les cancers de la prostate. Malheureusement, la traduction de la recherche est un exercice trop peu répandu. Très souvent, nous les chercheurs, nous exprimons dans un langage un peu technique, peu accessible au citoyen. Mais il ne faut pas avoir peur de dire que, à partir des travaux réalisés par l'INSERM conformément aux règles de l'art, on peut estimer que vingt, trente, quarante cancers de la prostate sont annuellement imputables au chlordécone.
C'est un langage simple, un langage de vérité. Je suis de ceux qui pensent que quand on dit la vérité, les esprits se calment. Les inquiétudes viennent lorsqu'on tergiverse. Certes, les scientifiques peuvent débattre, mais à partir du moment – c'est le cas aujourd'hui – où ces travaux n'ont pas été réfutés, il faut avoir une approche pragmatique. D'ailleurs, s'il y a eu polémique par la suite sur le cancer de la prostate, curieusement, bien que les outils, les méthodologies, les chercheurs soient les mêmes, tel n'a pas été le cas sur d'autres aspects, tel le risque de prématurité !