C'est très difficile parce que l'outil qui a été utilisé est la mesure de chlordécone dans le sang. C'est un outil extrêmement intéressant lorsqu'il s'agit de l'étude épidémiologique et pour une vision générale. Cependant, au niveau individuel, et pour utiliser une terminologie médicale que vous connaissez, c'est un outil à valeur prédictive – positive comme négative – très faible : ce n'est pas parce qu'on trouve, beaucoup de chlordécone chez quelqu'un – quand bien même il aurait un cancer de la prostate – qu'on peut affirmer que son cancer est lié au chlordécone ; pas plus qu'on ne peut affirmer que quelqu'un du même âge, qui n'aurait pas de chlordécone détectable dans le sang, soit à l'abri du risque de cancer de la prostate.
Je souhaite faire, là encore, une distinction avec la causalité lorsqu'il s'agit de tabac, alcool ou amiante, agents cancérogènes dont l'intensité du risque est très élevée. Dans le cas du chlordécone, on est face à ce qu'on appelle les risques faibles environnementaux, c'est-à-dire dans un cas de figure différent, pour lequel ces questions ont été rarement abordées et traitées, notamment pour ce qui a trait à l'imputabilité d'exposition à des substances chimiques et la survenue des maladies chroniques, en particulier le cancer. On l'a étudié essentiellement dans des contextes d'exposition professionnelle, ce qui restreint à une population dont l'activité a conduit à une surexposition. Dans le cas de l'amiante, par exemple, il suffit de reconstituer le passé pour pouvoir dire qu'effectivement, chez cette personne, cancer du poumon, mésothéliome, etc. sont liés à l'amiante.
Pour le chlordécone, les études, telle Karuprostate, visent les surrisques au sein d'une population générale, et non au sein d'une sous-population réduite et précise… C'est un cas de figure assez exceptionnel pour la traduction de ces risques environnementaux, mais nous sommes à l'orée de l'évaluation des conséquences et des risques sanitaires, des questions environnementales.
Je ne suis pas compétent pour déterminer qu'elle doit être la réponse à cette situation nouvelle, difficile, complexe, pour dire comment gérer ce risque dans une population générale. À titre personnel, en tant que chercheur, à chaque publication, j'ai pris l'habitude de transmettre une note de synthèse aux autorités sanitaires, bien sûr. Et ma dernière phrase est toujours « que peut-on en tirer ? ». En l'espèce, cela ne peut qu'inciter à réduire au maximum l'exposition des populations antillaises au chlordécone, c'est-à-dire faire tout le nécessaire – tâche complexe – pour que tout un chacun ne soit plus exposé. C'est là qu'est le combat, de mon point de vue.