Avant 2010, l'AFSSA a été très impliquée. Dès 2003, elle a rendu un premier avis sur les valeurs toxicologiques de référence, lesquelles ne permettaient pas de procéder à une évaluation du risque puisque cela aurait supposé d'avoir des données d'exposition, en particulier par voie alimentaire.
Nous avons travaillé à l'époque de manière très étroite avec l'InVS, l'Institut de veille sanitaire – l'actuelle Santé publique France –, qui était maître d'oeuvre des études de consommation Comportements alimentaires et perceptions de l'alimentation (CALPAS)- et Enquête sur la santé et les comportements alimentaires (ESCAL) respectivement en Guadeloupe et en Martinique, en 2004 et 2005. Parallèlement, nous avons rassemblé toutes les données de concentration de chlordécone dans les aliments et mis en place l'étude Reso afin de disposer de données représentatives sur ce plan-là.
Nous avons calculé des expositions par voie alimentaire à partir de l'ensemble de ces données, selon la méthode classique qui consiste à multiplier les consommations par les concentrations dans les aliments pour chacun d'entre eux, puis, de faire le total global pour l'ensemble des aliments.
Nous avons pu ainsi réaliser des évaluations de risque en 2005 et 2007 qui nous ont amenés à formuler des recommandations – toujours actuelles – pour limiter l'exposition, en particulier en limitant la consommation de légumes racines issus de l'autoproduction en zones contaminées à deux fois par semaine et celle des produits de la mer issus de la pêche amateur, qui peut elle aussi provenir de telles zones, à quatre fois par semaine. De même, nous avons recommandé de ne pas consommer des produits d'eau douce, notamment les ouassoux ou les poissons d'eau douce en raison des hauts niveaux de contamination déjà constatés dans l'environnement.
Telles étaient les premières opérations menées visant, d'une manière très opérationnelle, à identifier les produits dont il fallait réduire la contamination et l'exposition pour réduire celle des populations.
Nous avons également soutenu le développement de la cohorte Timoun, même si l'INSERM en est toujours pilote. Nous avons communiqué à ce dernier les données de concentration de chlordécone dans les denrées alimentaires que nous avions étudiées afin de calculer des expositions par voie alimentaire à partir des données de consommation alimentaire recueillies dans Timoun, ce qui a fait l'objet de publications dans des revues scientifiques à comité de lecture.
Nous n'avons pas été plus avant dans la réalisation d'études épidémiologiques, lesquelles relèvent plutôt de la recherche, donc, de l'INSERM – en particulier, nous n'avons pas participé à Karuprostate.
En revanche, nous avons réalisé une étude d'exposition à 60 substances pesticides prioritaires, l'étude Sapotille, que vous avez mentionnée. Il s'est agi, à partir des données de consommation des études ESCAL et CALPAS, des données de concentration et des indices de risques calculés préalablement pour identifier ces 60 substances, de calculer des expositions pour les populations guadeloupéenne et martiniquaise. Plus de 8 000 analyses de résidus dans les aliments ont été menées. Nous nous sommes aperçus que les niveaux d'exposition étaient proches de ceux constatés en Hexagone et que l'on y retrouvait les mêmes substances prioritaires, en particulier, parmi celles qui étaient encore autorisées, le diméthoate – il a depuis été interdit car les niveaux d'exposition, trop élevés, pouvaient placer la population dans une zone au-delà de ce qui est admissible quotidiennement. Globalement, les résultats étaient donc proches de ceux de l'Hexagone.
Cela dit, le nombre de substances analysées dans cette étude étant limité, nous proposons aujourd'hui dans le projet d'étude Alimentation totale Antilles une extension à l'ensemble des substances pesticides afin d'approfondir cette question de l'exposition des populations antillaises aux substances chimiques.