Intervention de Roger Genet

Réunion du lundi 8 juillet 2019 à 11h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Là encore, mes collègues vous répondront mais je considère quant à moi que, dans le cadre de la mission qui nous est confiée, notamment en matière d'évaluation scientifique préalable à la création d'un tableau sur les maladies professionnelles – la saisine qui nous a été adressée concerne le cancer de la prostate –, nous observerons d'autres types de liens pouvant exister entre le chlordécone et d'autres effets. Des soupçons existent en matière de perturbateurs endocriniens, d'impact sur la fertilité ou sur la reproduction. Il est clair que, dans le cadre des travaux que nous menons, nous regardons toute la littérature scientifique, quel que soit le type d'effets.

Néanmoins, nous sommes donc saisis sur la création d'un tableau de maladies professionnelles liées au cancer de la prostate. Comme je l'ai dit, notre comité d'experts de 25 personnes, à forte composante médicale, a été installé et va réviser l'ensemble de la littérature scientifique disponible dont, en premier lieu, l'expertise collective de l'INSERM de mars 2019, qui fait état d'un niveau de preuve assez limité en termes épidémiologiques. Nous ne disposons en effet que d'une seule étude, laquelle fait état d'un certain nombre de travaux, notamment concernant la toxicologie.

D'autres études ont également été publiées, en particulier celle du professeur Multigner, dont il a parlé ici même, concernant le risque lié à des cancers déjà déclarés. Elle a été publiée après la conclusion de l'expertise collective de l'INSERM.

Nous allons donc reprendre l'ensemble de la littérature disponible, analyser à nouveau les niveaux de preuve figurant dans les différents avis pour conclure par notre expertise scientifique - nous ne nous prononcerons pas sur sa direction dès lors qu'elle est en cours : nos comités d'experts sont absolument indépendants et nous ne voulons pas les influencer mais il est évident que tout ceci mérite d'être approfondi.

Aujourd'hui, le niveau de preuve est extrêmement limité et il serait donc intéressant de disposer d'autres études, notamment épidémiologiques. Sur le plan éthique, la France ne peut pas en mener à partir d'échantillons de population permettant de comparer la population antillaise avec celle qui ne l'est pas – la loi et nos valeurs s'opposent aux statistiques ethniques – mais une diversification des approches permettra de compléter ces études épidémiologiques afin d'élever le niveau de preuve dont nous pourrons disposer.

Même si nous reviendrons probablement sur la question du tableau des maladies professionnelles, sur ce que l'on attend, sur la manière de l'établir, je répète que les valeurs toxicologiques de référence prennent en compte l'ensemble de ces études. Leur révision suppose de prendre en compte ces nouvelles études et c'est ce que nous allons faire, ce qui nous permettra de voir si ces nouveaux éléments impliquent de faire varier cette valeur à la hausse ou à la baisse.

Avant de parvenir à cette valeur toxicologique de référence qui donnera une idée de la présence maximale de chlordécone dans l'alimentation sans effet, il faut que nous ayons une idée de la valeur plasmatique protectrice : quel est le seuil de concentration sanguine sous lequel nous pouvons assurer qu'il n'y a pas d'effet – ce qui ne signifie pas qu'il y a un effet au-dessus mais c'est probable, sans que l'on en soit certain ? Sous cette valeur critique d'imprégnation exprimée en concentration de chlordécone par litre de plasma ou de sang, nous pourrons certifier qu'il n'y a pas d'effet.

À la question de savoir s'il faut contrôler la chlordéconémie, donc, mesurer le taux de chlordécone de tous les Antillais dans le sang, je réponds que tant que nous ne savons pas comment interpréter ces valeurs grâce à une valeur-seuil permettant de définir le niveau à partir duquel il existe ou non un effet, les contrôles systématiques sont inutiles. Nous les réalisons sur les cohortes des personnes incluses dans les études épidémiologiques pour essayer de corréler ces taux sanguins et un effet mais cela n'a de valeur qu'en termes de recherche et non en termes prédictifs, d'orientation du diagnostic pour les consommateurs. À ce titre, il ne nous paraît pas aujourd'hui opportun de généraliser ces analyses.

Cela est d'autant plus vrai qu'une concentration plasmatique au temps T donne une information très limitée puisque le consommateur peut avoir mangé un produit - par exemple un oeuf très contaminé - dans le cadre d'une autoconsommation dans un circuit non contrôlé. Son taux sera alors très élevé mais il diminuera rapidement, les concentrations plasmatiques baissant de manière non pas linéaire mais exponentielle. Si la consommation est récente, le taux diminuera donc très vite ; si l'imprégnation et la contamination sont anciennes, il diminuera très lentement.

Selon la contamination, chronique et de long terme ou récente et aiguë, la cinétique plasmatique diffère complètement et, au final, ce n'est pas un dosage plasmatique qu'il faudrait effectuer mais une cinétique, afin de savoir quand et à quel niveau la contamination s'est produite.

Autrement dit, les conditions ne sont pas réunies pour définir sérieusement la concentration plasmatique et donner des conseils aux consommateurs tant que nous n'avons pas défini la valeur-seuil sans effet. C'est à cet enjeu que nous nous attachons prioritairement.

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