Intervention de Roger Genet

Réunion du lundi 8 juillet 2019 à 11h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Quand il est bien conduit, le dispositif JAFA est efficace. Mais appliquer les politiques publiques sur le terrain, mobiliser les particuliers, qui sont nombreux à cultiver un jardin, n'est pas seulement l'affaire des professionnels, cela concerne tout le monde. Alors qu'une partie de la population est très sensibilisée à la chlordécone, beaucoup vivent avec et n'envisagent pas de changer leurs pratiques. La mobilisation doit être générale.

Les solutions existent : basculement vers les terrains non contaminés, modification des pratiques quotidiennes, élevage de poules sur des planchers surélevés – une technique expérimentée avec les chercheurs car elle pose des problèmes zootechniques. Il faut une prise de conscience chez chacun pour que les politiques publiques soient relayées et mises en oeuvre.

J'ai rencontré une association dont les membres sont très motivés. Ils s'inscrivent, avec les agronomes de l'INRA qui participent à cette expérimentation, dans une démarche de recherche participative. C'est important pour entraîner la population. Nous espérons que les résultats démontreront l'efficacité des solutions proposées et qu'elles seront diffusées par les associations de terrain et grâce à une campagne de communication des collectivités ou des pouvoirs publics locaux.

Ma conviction est que l'on peut atteindre un taux de zéro chlordécone dans l'alimentation, mais qu'il est illusoire de penser que l'on pourra détoxifier l'ensemble des sols et des sédiments. Les transferts sédimentaires dans les estuaires et dans les rivières sont nombreux et contaminent crustacés et poissons. On sait que la pollution de la baie de Chesapeake, en Virginie, a pu être circonscrite parce que des sédiments non contaminés ont recouvert les sédiments contaminés. Mais aux Antilles, du fait de l'érosion entraînée par le système tropical de pluie, on observe un transfert sédimentaire dans les bassins versants. La situation est inédite, compte tenu de l'ampleur des terrains contaminés et de la nature de la contamination.

Des essais ont été menés, notamment par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Nous avons rencontré le Campus agro-environnemental Caraïbe (CAEC), qui a fait le point sur les travaux en cours. La phytoremédiation, la bioremédiation, l'excavation avec traitement des sols, entreprises ces quinze dernières années, ne semblent pas pouvoir être mises en oeuvre à grande échelle et laisser envisager une dépollution.

Autrement dit, nous avons affaire à une pollution environnementale durable. En tant qu'agence sanitaire, notre objectif est de faire la part des contaminations qui touchent l'homme par les poussières, l'alimentation, l'eau, le sol. L'ANSES a lancé l'année dernière, en lien avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et le réseau des associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA) une campagne exploratoire nationale de mesure des résidus de pesticides dans l'air. Nous avons identifié 80 substances actives, dont le chlordécone, qui ont été mesurées sur 50 sites de prélèvement, dont un en Martinique et un en Guadeloupe. Cette campagne s'est achevée le 30 juin et les résultats sont en cours d'analyse. Si cette méthodologie de mesure se révèle efficace, elle a vocation à être incluse dans tous les systèmes de surveillance des associations, de façon à contrôler systématiquement l'exposition aux pesticides dans l'air.

Nous verrons quelle est la part de l'exposition par l'air à la chlordécone. Il est probable qu'elle soit très faible par rapport à l'exposition par voie alimentaire, eau incluse. C'est donc là qu'il faut agir, en incitant aux changements de pratiques, en responsabilisant chacun et en apportant aux non-professionnels qui vivent sur des terres contaminées des solutions – protéger la production de la terre contaminée ; changer de terrain et passer sur des terres non contaminés.

Hormis les contrôles qui permettent de s'assurer que les zones d'interdiction, notamment de pêche, sont respectées, nous avons très peu de solutions pour les espèces benthiques, notamment les crustacés. Ils se trouvent en bout de chaîne, donc accumulent la chlordécone, et vivent dans les zones estuariennes où se déversent les rus, les petites rivières. L'ensemble des côtes de Martinique et de Guadeloupe, compte tenu du régime tropical, sont concernées.

Le « zéro chlordécone » dans l'alimentation est possible. Par « zéro », j'entends une dose infime. Il n'y aura jamais zéro résidu de chlordécone, mais une diminution de la concentration qui tendra vers zéro. Les méthodes d'analyse aujourd'hui sont tellement sensibles que même en descendant très bas, on trouvera toujours une contamination résiduelle. Cela nous motive d'autant pour définir une valeur critique d'imprégnation sur laquelle bâtir une valeur sans effets biologiques pour les consommateurs. Cela permettrait une approche raisonnable du risque. Malheureusement, sans cette valeur, nous ne pouvons pas avancer.

La méthode d'analyse est compliquée, c'est la raison pour laquelle seuls quelques laboratoires sont autorisés. Dès le départ, dans les années 1990, le laboratoire départemental de la Drôme a mis en place une méthode d'expérimentation basée sur des méthodes d'extraction des batteries. Il s'agit d'une méthode de quantification par spectrométrie de masse qui nécessite des étalons internes marqués aux isotopes stables. Ces derniers étant très coûteux à produire, les analyses demeureront chères.

Le moyen d'augmenter le nombre d'analyses est donc de baisser notre exigence en matière de sensibilité. Tout dépend de l'objectif : s'il s'agit de s'assurer qu'il y a zéro résidu, alors la sensibilité devra être tellement forte que chaque analyse coûtera une fortune ; si grâce à une valeur critique d'imprégnation, nous parvenons à définir un seuil de sécurité au- dessous duquel il n'y a pas de risque sanitaire, les méthodes pourront être moins sensibles, donc moins chères et plus faciles à mettre en oeuvre.

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