J'ai tout d'abord réussi à mettre en évidence un vrai problème, à grande échelle, qui va préoccuper des générations d'Antillais et, je l'espère, de fonctionnaires de l'État et de responsables de collectivités. Mais, dans un premier temps, je pense que j'ai réussi à apaiser les relations entre l'État et les associations, entre 1999 et 2002. Au cours des derniers temps, je vous avoue avoir dû prendre certaines libertés avec les règles hiérarchiques. Lorsque vous vous apercevez que vous rencontrez des freins, que vous êtes bloqué de partout, que vous agissez pour la santé publique, alors que d'autres intérêts prévalent peut-être à court terme, que vous n'avez pas le soutien que vous attendez de votre administration centrale, parce qu'elle est elle-même prise dans un système qui arbitre entre différents intérêts, vous prenez des moyens pour faire avancer la cause que vous défendez, notamment celle de la santé. Pour cette raison, en octobre 2017, j'ai pris la liberté d'annoncer publiquement qu'il y avait un problème avec la répartition du chlordécone dans les organismes animaux, mais qu'il y avait également un problème avec les LMR qui avaient été modifiées de fait, sans que personne n'en soit informé, en 2013, en retouchant l'annexe du règlement européen qui fixe les parties auxquelles s'appliquent les LMR. C'est un courrier de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui nous l'a appris, faisant état des non-conformités rencontrées dans le cadre de l'enquête Kannari en 2015. Je pense que l'ANSES en était parfaitement informée, puisque dans son courrier elle mentionne une LMR sur la viande en poids frais à 100 microgrammes par kilogramme. Par hasard, ce jour-là, une journaliste était présente. Elle s'est emparée du sujet et en a fait un reportage en janvier 2018, qui a eu beaucoup d'impact et a donné lieu à la crise des LMR, qui a provoqué une mobilisation des élus et des associations.
J'ai mené une action dans ce cadre pour essayer de convaincre les autorités nationales, le préfet, de ce qu'étaient réellement la situation, les risques, les contradictions entre la réalité ainsi que le discours qui était tenu localement par certaines autorités nationales. Je pense avoir réussi à débloquer la situation et à faire revenir la norme à un plafond beaucoup plus raisonnable que celui vers lequel on avait dérivé.
Parmi mon bilan, on peut également citer l'enquête Kannari, dont le financement a été trouvé grâce à un travail mené sur le PITE et la fongibilité de ses enveloppes.
J'ai également lancé en 2013 le travail qui commence à se mettre en oeuvre sur la protection des personnes vulnérables au chlordécone – les femmes en âge de procréer, les femmes enceintes. Cette action a mis du temps à s'installer.
J'ai aussi mené une enquête, en 2015, sur les productions informelles qui sont tant décriées, avec la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON). Dans le secteur végétal, les résultats n'étaient pas si mauvais que cela. On arrivait quasiment à la même qualité que dans le circuit formel. Il est peut-être excessif de crier haro sur l'informel. En revanche, il y a des problèmes avec les denrées animales. Mais ce n'est pas parce qu'il existe des potentiels de contamination importants avec les oeufs ou d'autres produits animaux de jardins familiaux qu'il faut considérer que tout ce qui est informel est mauvais.
Je pense aussi avoir facilité la mise en oeuvre de l'action 36 du deuxième plan chlordécone, qui est devenue l'action 1 du troisième plan – la charte de développement durable dans les territoires contaminés par le chlordécone – qui a été menée par le bureau d'études Mutadis et a donné lieu à des années de travail et à des heures et des heures de réunions de groupes de travail avec toutes les parties concernées – associations, professionnels de la pêche, de l'agriculture, administrations. Dans un premier temps, le préfet de Martinique n'a pas adhéré à cette action, avant de se convaincre lui-même qu'une démarche où l'État n'était plus le seul maître du jeu, mais une partie parmi d'autres, était intéressante pour faire face à une situation qu'il fallait assumer collectivement.
La région Martinique, en la personne de deux conseillers régionaux, avait également bien pris part à l'affaire. Tout était prêt, jusqu'à l'installation de l'instance de facilitation, mais cela a échoué au moment du passage à la collectivité unique, laquelle n'a pas adhéré à la démarche. En Guadeloupe, malgré quelques actions préliminaires, je crois savoir que c'est la préfecture qui n'y était pas très favorable.
Tous les écrits de l'époque ont été conservés. Vous pourriez interroger avec intérêt les bureaux d'études, comme Mutadis qui a été le maître d'oeuvre de cette opération. Ce nouvel outil, qui visait à rechercher les intérêts communs entre les parties, devait permettre d'aller vers une gestion à long terme du problème, dans laquelle les collectivités n'étaient plus en retrait à attendre de l'État qu'il assume seul les conséquences des erreurs faites.