Pourquoi la Guadeloupe et la Martinique sont-elles dépendantes de ce type d'économie, et donc alimentairement dépendantes ? Les deux aspects que vous évoquez sont liés : le capitalisme global exacerbe ce type de pratiques – que l'on ne trouve pas uniquement en Martinique ou en Guadeloupe – mais il faut aussi garder en tête que les Antilles connaissent une constitution coloniale de leur manière d'habiter la terre. Depuis 1635, ces îles ont été pensées comme d'énormes jardins, dans le but d'alimenter certains marchés très éloignés.
Le cas du chlordécone aux Antilles est extrêmement grave car il illustre une situation de dépendance alimentaire : nous n'arrivons pas à nourrir tous nos habitants avec nos productions. Il faut le garder en tête avant de trouver des solutions pour remédier au problème.
Votre deuxième question est extrêmement importante : vous estimez que la conscience collective est anxiogène, que les citoyens ont peur, que l'État ne fait pas assez et n'est pas assez inclusif. Comment faire ? Votre interrogation porte en elle des réponses : c'est une question de justice. Nous sommes dans une situation de déréalisation : les personnes que j'ai interrogées dans le cadre de mes recherches n'arrivent pas à comprendre qu'une contamination d'une telle ampleur n'ait pas encore abouti à la désignation publique de personnes ou d'entités responsables et que la justice n'ait pas fait son travail. Comme les habitants n'arrivent pas à déterminer clairement les responsabilités, n'importe qui peut devenir empoisonneur – ce sont parfois les pêcheurs, parfois les agriculteurs.
Au-delà de la fonction qui est la sienne, la justice permettrait donc surtout à tous les acteurs – agents de l'État, producteurs et habitants – d'aller de l'avant et de pouvoir tourner la page, tout simplement.