Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mardi 25 février 2020 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Cela ne fait que confirmer nos craintes d'une éventuelle sous-indexation de la valeur de service par rapport à la valeur d'achat dans le futur régime unique par points que propose le Gouvernement – crainte que j'imagine partagée sur tous les bancs. Votre inquiétude quant à la question de l'utilisation des réserves de l'AGIRC-ARRCO retient notre attention. Vous évoquez enfin la période de transition, qui devrait être mise à profit pour améliorer l'efficience du régime complémentaire et préparer l'unification des structures de gestion. Il s'agit là, sinon d'une alerte, du moins d'un signal qui appelle notre vigilance à l'heure où nous débattons du futur système universel.

Votre thème d'étude transversal, le numérique au service de la transformation de l'action publique, permet d'analyser en détail plusieurs politiques publiques. Vous montrez comment le développement du numérique peut s'inscrire dans une démarche d'évolution et de restructuration d'une administration, au service des usagers. Je ne reviendrai pas sur ce que vous avez dit, de façon très légitime, sur la qualification des personnels. Vous relevez quelques cas tout à fait instructifs d'un projet de transformation numérique pouvant devenir une source de difficultés, voire une impasse ou, pire, une catastrophe annoncée. Je pense au projet de remplacement de tous les systèmes d'information gérant les 1,1 million d'agents du ministère de l'éducation nationale, le projet SIRHEN. Les difficultés ont été telles qu'après treize années de conduite heurtée, l'arrêt total du programme a été décidé en 2018. C'est une impasse terrible, que vous documentez : 400 millions d'euros, pas moins, auront été investis dans un outil qui ne sera jamais opérationnel, et le ministère doit développer de nouveaux outils pour moderniser ses systèmes d'information et de gestion des ressources humaines. Or la Cour avait, dès 2016, fait part de toutes ses réserves sur ce projet et émis des recommandations.

En outre, le taux de suivi total ou partiel est satisfaisant, puisque s'élevant à presque 76 % pour les recommandations de l'année 2016. On suit plus facilement les recommandations lorsqu'il s'agit d'organisations plutôt que des politiques publiques en elles-mêmes. Sans doute cela reflète-t-il le fait que les recommandations de gestion sont en général plus faciles à appliquer. Il ne faudrait toutefois pas que cela conduise à une forme de renoncement et que la Cour des comptes et les commissions des finances des deux assemblées deviennent les seuls gardiens du temple déserté de la bonne conduite des politiques publiques.

Nous retrouvons par ailleurs dans votre rapport annuel les analyses attendues sur la situation des finances publiques, sur lesquelles vous êtes revenue en détail et que j'aborderai à mon tour, car nous nous y retrouvons nous-mêmes sur plusieurs points.

Cette année, vous confirmez les inquiétudes déjà exprimées l'an dernier par le Premier président Migaud : la France présente en 2019 un déficit public de 3,1 % du PIB, en hausse de 0,6 point par rapport à 2018. C'est donc la seconde année consécutive de détérioration du déficit public, alors même que nous ne traversons pas de crise économique. Évidemment, la transformation du CICE en allégements de charges y est pour beaucoup mais, d'un point de vue structurel, rien ne change. La baisse de la dette rapportée au PIB qui était espérée lors du dépôt du projet de loi de finances pour 2019 ne s'est quant à elle pas non plus matérialisée, et nous atteignons, fin 2019, un endettement public à hauteur de 98,8 % du PIB, soit 2 385 milliards d'euros. Le Gouvernement a fait le choix d'une baisse des prélèvements obligatoires, principalement en faveur des ménages, à la suite, en particulier, des gilets jaunes. Ainsi, le taux de prélèvements obligatoires est passé de 45 % à 44 % entre 2018 et 2019. Toutefois, cette baisse ne s'est pas accompagnée d'une dépense publique moins dynamique, puisque cette dernière a crû de 1,7 % en valeur en 2019, pour s'élever à près de 54 % du PIB.

Replacée dans le cadre européen, comme le rapport public a le souci de le faire, notre situation n'en apparaît que plus préoccupante. Vous le dites clairement : la France « a vu sa position se dégrader au fil des années relativement à ses partenaires » et elle dispose de moins de marges de manoeuvre pour affronter un éventuel choc à venir. Vous relevez par ailleurs avec lucidité qu'« aucun des grands agrégats de finances publiques n 'afficherait d'amélioration en 2020 : une fois neutralisé l'effet des mesures exceptionnelles et temporaires, le déficit effectif comme le déficit structurel seraient presque inchangés, de même que la dette ». Ce constat a un goût d'autant plus amer que la seconde moitié des années 2010 constituait, avec une croissance retrouvée – 1,5 % en moyenne sur la période 2015-2019 – , une période favorable à la consolidation des finances publiques. Nous avons dilapidé le potentiel de redressement de nos finances publiques. Le refinancement avantageux de notre dette n'a fait que nous déresponsabiliser un peu plus et a conduit à raboter les dépenses d'investissement public, passées en moyenne de 3,9 % du PIB sur la période 2011-2014 à 3,4 % du PIB sur la période 2015-2019. Enfin, l'écart à la trajectoire des pays européens et à celle de la loi de programmation des finances publiques est très inquiétant. Je milite pour que l'examen du prochain projet de loi de programmation ne soit pas différé.

Nous devrions fournir un effort substantiel de réduction de la dépense publique ; or, même si nous inventons des cadres de pilotage de la croissance de cette dépense, force est de constater que ce n'est pas le cas. Nous devrions également fournir un effort substantiel de réduction de notre dette publique. L'opium des taux d'intérêt bas nous insensibilise dangereusement à l'ampleur de cette dette et peut faire craindre, en cas de hausse des taux, un effet boule de neige qui serait catastrophique pour notre capacité à financer nos dépenses et à investir.

Au lieu de ces efforts, nous pouvons relever avec la Cour des comptes que « le redressement des finances publiques, déjà très graduel au cours des dernières années, est aujourd'hui quasiment à l'arrêt », et qu'il n'est même plus vraiment défendu par le ministre de l'action et des comptes publics lui-même. La Cour des comptes demeure, avec les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat et avec la direction du budget, l'une des quatre dernières institutions de la République qui résistent à cet abandon.

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