Le portrait type de notre ennemi au Sahel est d'ailleurs tout à fait cohérent avec cette analyse. Selon les éléments que nous a présentés la force Barkhane, nous pourrions le résumer ainsi : le terroriste de l'État islamique au grand Sahara (EIGS) est touareg dans un tiers des cas, et peul dans les deux tiers restants, deux groupes ethniques marginalisés au Mali. Il est jeune (une vingtaine d'années), illettré, et les motifs qui l'ont conduit à « prendre la “kalach” » sont le plus souvent d'ordre financier ou familial, dans le sens où l'enrôlé reçoit un pécule ou suit des parents. La recherche de protection contre des groupes ethniques rivaux constitue une autre motivation fréquente des terroristes. Dans ce cas, le ralliement à l'EIGS est à peu près aussi opportuniste que celui des Touaregs à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2012. C'est ainsi que, suivant l'analyse qui sous-tend l'idée du continuum, les causes de nombre de conflits contemporains relevant des risques de la faiblesse sont à rechercher dans des déséquilibres du développement.
Cette idée n'est pas seulement un cadre d'analyse, mais aussi le constat sur la base duquel les Occidentaux ont refondu leurs stratégies de gestion de crise. C'est en cela que l'idée du continuum a un aspect opérationnel. L'idée qu'un État occidental ne saurait gérer ce type de crise sans un pilotage très étroitement coordonné de ses acteurs en matière militaire et en matière d'aide au développement a été mise en avant par les Anglo-saxons, au tournant des années 2000. Il s'agit de l'un des grands retours d'expérience de l'opération britannique de 2000 en Sierra Léone, et, à plus grande échelle, des opérations menées en Afghanistan et en Irak. À partir de cette période, la documentation stratégique met en avant la notion d'approche globale, dite aussi « intégrée » ou « multidimensionnelle ». Nous n'allons pas vous asséner ici une bibliographie complète, mais retenons que cette idée d'approche globale, qui associe opérations militaires et aide au développement, a pris une place grandissante dans les documents stratégiques de l'OTAN et de l'Union européenne, des Nations unies et des grands bailleurs comme la Banque mondiale. D'ailleurs, l'Union européenne en a même fait l'ADN de sa politique de sécurité et de défense commune (PSDC), et c'est bien ce qui a inspiré l'ONU quand celle-ci a choisi de privilégier les opérations de maintien de la paix dites multidimensionnelles.