M. Michel Lauzzana évoquait la convergence macroéconomique, les traditions politiques de la nouvelle monnaie et la question du Nigéria, qui est revenue à plusieurs reprises. La monnaie a une dimension évidemment politique, puisqu'elle traduit la volonté de vivre ensemble.
J'ai évoqué les critères de convergence que la CEDEAO s'est donnés pour un futur passage à la monnaie unique dans quinze pays, ces critères étant relativement souples et flexibles, voire un peu laxistes. Il faut savoir que l'UEMOA a aussi des critères de convergence. Comme dans la zone euro, il faut se fixer des critères, notamment de discipline budgétaire. Et ils sont beaucoup plus rigoureux dans les huit pays de l'UEMOA que ceux fixés par la CEDEAO afin de passer à la monnaie unique. Les critères de convergence de l'UEMOA comprennent une inflation en dessous de 3 %, une dette publique en dessous de 70 % et le non-financement monétaire des déficits budgétaires. Ces critères sont robustes. Et ils expliquent pourquoi la zone économique subsiste. La question des critères de convergence renvoie évidemment à des choix de finances publiques. Et ces choix, qui sont politiques, sont totalement liés à la faisabilité d'une monnaie unique.
Dans le monde, il n'y a que quatre unions monétaires : la zone euro qui est difficile à faire fonctionner, les deux zones franc que sont l'UEMOA et la CEMAC, et l'union monétaire des Caraïbes orientales, qui comprend huit îles des Caraïbes. Une union monétaire est une structure particulière. Elle implique la mise en commun d'une partie des choix de politique budgétaire. Comme en zone euro, les pays de l'UEMOA ont des questions sur la concurrence et l'intégration fiscale, sur l'intégration réelle et sur le commerce.
Autrement dit, la perspective de l'intégration du Nigéria, par exemple, est à très long terme. Il me semble que des étapes longues sont nécessaires avant d'envisager une union monétaire et une monnaie unique à l'échelle des quinze pays de la CEDEAO. Actuellement, nous parlons d'un eco au niveau uniquement des huit pays de l'UEMOA, avec une parité fixe, une intégration réelle, qui est déjà bien engagée, et avec des dispositifs de discussion sur les politiques budgétaires et sur l'intégration fiscale. Cela ne concerne pas les autres pays de la CEDEAO.
Sur la question d'un passage rapide, ou non, à l'eco, il existe deux débats parallèles. Les huit pays de l'UEMOA ont le choix de changer le nom de la monnaie et ils ont indiqué qu'ils souhaitaient prendre le nom eco parce qu'il s'inscrit dans la perspective à long terme de l'eco de la CEDEAO. Mais cet « eco UEMOA » sera en parité fixe avec l'euro et il bénéficiera de la garantie de la France. La discussion est un peu compliquée parce que, parallèlement, la perspective de l'« eco CEDEAO » est à très long terme. Le Nigéria indique qu'il n'est pas pressé de l'adopter. Et les autres pays ont des questions sur la faisabilité d'une union à quinze pays.
Le nom eco renvoie à deux réalités différentes. M. Éric Coquerel indiquait que le nom du franc CFA était chargé d'un certain poids politique. À travers ce changement du nom de la monnaie, l'UEMOA a bien la volonté de sortir des irritants politiques : le nom, la question de la présence de la France dans les instances et la centralisation de 50 % des réserves de change. Ces éléments ne sont pas nécessaires pour assurer la parité fixe et la garantie de la France. Ces changements peuvent être faits rapidement. Toutefois, dans l'esprit d'un certain nombre de dirigeants africains, il n'y a pas d'urgence à créer une union monétaire à quinze pays. La parité fixe de « l'eco UEMOA » avec l'euro va probablement durer un certain temps.
Le contrôle des changes s'applique en cas de sortie d'argent de l'UEMOA. La situation est identique dans la CEMAC et dans tous les pays à change fixe. Ce contrôle exige de justifier l'emploi de devises autres que la monnaie locale et la raison pour laquelle les personnes souhaitent les acquérir. Ce système est fluide, mais il faut effectivement remplir un certain nombre de documents administratifs pour pouvoir faire sortir de l'argent de tous les pays en régime de change fixe.
Toutes les questions concernant le Nigéria et le fait qu'il pourrait piloter la CEDEAO ou que sa présence dans la zone monétaire pourrait créer des disparités entre les pays s'inscrivent dans une perspective à très long terme. Des débats existent manifestement entre les quinze États de la CEDEAO. Et cela reste uniquement une perspective. Mais cette situation est compatible avec la réforme annoncée pour l'UEMOA.
Concernant le rôle futur de la France et les questions d'endettement, des questions de finances publiques et de soutenabilité des dettes existent dans un grand nombre de pays dans le monde et en particulier en Afrique subsaharienne. C'est une contradiction que nous avons à résoudre : financer le développement, notamment les infrastructures dans les pays à faibles revenus, tout en maintenant la dette sur une trajectoire soutenable. Cela crée des tensions et des contradictions dans tous les pays. Mais il s'agit de les résoudre en travaillant sur différents vecteurs, comme la mobilisation des ressources domestiques et l'augmentation de la fiscalité. Rapporté au PIB, le taux de prélèvements obligatoires de ces pays est très bas. Il est nettement en dessous de 20 %, alors que la communauté financière internationale estime qu'il devrait être légèrement au-dessus de 20 % pour avoir une trajectoire soutenable. L'aide au développement est également importante, et la France y contribue via l'augmentation de notre aide publique au développement (APD).
En termes de ratio de dettes sur le PIB, l'UEMOA se porte mieux que ses voisins. Par exemple, le taux de croissance du Ghana est fort, mais sa situation de dettes est jugée à haut risque de surendettement par le FMI, c'est-à-dire à haut risque de ne pas pouvoir rembourser la dette. Ce n'est pas le cas pour les pays de l'UEMOA.
Concernant le taux de change fixe et la compétitivité à l'export, et à l'inverse l'impact sur l'attractivité pour les investissements étrangers, notre analyse indique qu'il n'existe pas de désalignement du taux de change dans l'UEMOA ni dans la CEMAC. Autrement dit, le taux de change est en ligne avec les fondamentaux.
Au sujet des investissements directs étrangers, la parité fixe avec l'euro est évidemment très attractive, puisque les investisseurs étrangers savent qu'ils pourront avoir l'équivalent en euros de leurs investissements dans la zone monétaire.
Concernant la liquidité, l'arrêt du compte d'opérations va-t-il produire des liquidités nouvelles dans la zone monétaire ? Non, parce que les 50 % de réserves de change centralisées à Paris constituaient un mécanisme de compte à vue ou de compte courant. Cette liquidité existait déjà : elle ne disparaît ou n'apparaît pas au moment où le compte d'opérations est fermé. Mais cela donne plus de marge à la banque centrale pour faire des choix de placements. La fin de l'obligation de centraliser 50 % des réserves de change va amener la BCEAO à choisir, en fonction des rendements des différents placements.
Jusqu'à présent, la partie des réserves de change obligatoirement centralisée était rémunérée en fonction de l'accord passé, c'est-à-dire suivant le taux de la facilité de prêt marginal de la BCE, qui est un taux élevé, avec un plancher à 0,75 %. Aujourd'hui, le taux de la facilité de prêt marginal de la BCE s'élève à 0,25 %, en dessous du plancher de 0,75 %, qui trouve à s'appliquer. Depuis 2016 au moins, nous rémunérons donc les réserves placées à Paris au taux de 0,75 %, alors même qu'il s'agit d'un placement à vue, habituellement rémunéré à – 0,40 %, voire – 0,50 %. C'est évidemment très avantageux pour les banques centrales de la zone franc d'avoir aujourd'hui ce placement.
Le sujet du coût de ces opérations et de sa reconstitution historique est extrêmement compliqué. Une partie purement monétaire peut être calculée, mais selon une méthodologie complexe. Les bénéfices récupérés par la France, ou les pays concernés, en termes de dynamisme et de retombées économiques ainsi que de croissance sont également complexes à calculer.
Pour ce qui concerne la question relative aux vérités alternatives, ces réserves de change n'ont jamais été pour la France une source d'enrichissement. La dette de la France n'est pas financée grâce à elles. Il faut être très clair. Le montant centralisé à Paris est de l'ordre de 10 à 12 milliards d'euros, en fonction des années. Or, la dette de la France est de l'ordre de 1 700 milliards.
La garantie a bien été utilisée à plusieurs reprises à différentes périodes. Elle a notamment été utilisée entre 1987 et 1991 de manière oscillante, avant la dévaluation de 1994. Depuis, elle n'a plus été utilisée.
La question de l'intégration plus large rejoint celle du Nigéria et de son intégration en zone CEDEAO. La France est très favorable à son intégration réelle au sein des pays de l'UEMOA. D'autres pays sont déjà dans cette démarche : la Gambie est associée au Sénégal, le Ghana est très proche de la Côte d'Ivoire. Cette intégration est donc possible. Elle se fera probablement par l'agrégation progressive de certains pays qui pourraient avoir un intérêt à rejoindre l'UEMOA.
Notre analyse ne permet pas de constater une surévaluation du taux de change. Elle rejoint celle du FMI et celle d'autres observateurs : le taux de change n'est pas désaligné par rapport aux fondamentaux.
Au sujet des levées de fonds de start-up, elles ne sont pas nombreuses. Et ce ne sont pas des levées de fonds en appel public à l'épargne, sous la forme d'insertion dans les circuits boursiers. Les financements se font en monnaie locale. D'ailleurs, outre les accords de coopération monétaire, il existe des accords et des actions de soutien au développement via nos différents canaux, notamment l'Agence française de développement. Notre initiative, qui s'appelle Choose Africa , vient en soutien aux start-ups africaines, avec des devises locales. Certains financements se font en dollars, à New York ou à Londres, mais ils restent relativement marginaux.
Concernant le Congo Brazzaville, qui est dans la zone franc, il ne dispose pas de réserves de change spécifiques.
Au sujet des banques de proximité, il existe effectivement un mouvement de retrait des banques françaises classiques dans les pays africains. M. Marc Le Fur l'a évoqué, ce fait est regretté par un certain nombre d'acteurs. Nous essayons de comprendre les raisons de ces choix commerciaux, mais ils relèvent avant tout des stratégies commerciales des banques concernées. Nous dialoguons avec elles, bien entendu, parce qu'il y a des opportunités d'affaires intéressantes à l'échelle du continent africain.