Intervention de Cédric O

Réunion du mardi 25 février 2020 à 17h15
Commission des affaires économiques

Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique :

Monsieur Letchimy, je vous remercie pour votre question. Le traitement des outre-mer, dans le cadre de la réforme audiovisuelle et de la création de France Médias, a fait l'objet de plusieurs débats. J'étais d'ailleurs la semaine dernière en Guyane, où la question a été abordée, notamment sur les plateaux de Guyane La Première et de Kourou TV. Il me semble – corrigez-moi, Monsieur Letchimy, si je me trompe – que ce qui tient au coeur des outre-mer, avant même de disposer de leurs propres chaînes de télévision, c'est d'être intégrés comme des territoires de plein droit, d'être traités comme les autres et d'être visibles, en tant que parties d'une République indivisible, au sein de la collectivité nationale.

Aussi devons-nous nous demander comment améliorer encore la visibilité des outre-mer. France Ô était-elle vraiment la meilleure manière de traiter les outre-mer et la question des outre-mer au sein des programmes télévisuels nationaux ? Si je comprends bien le symbole que représente la chaîne. France Ô remplissait, en réalité, assez imparfaitement cette mission. C'est pourquoi nous avons décidé d'arrêter sa diffusion hertzienne, qui sera effective au 9 août 2020. La date a été volontairement choisie afin d'assurer une période de transition après le lancement de la plateforme numérique réservée aux outre-mer, prévue le 31 mars.

J'en reviens à la question de la visibilité des outre-mer sur France Télévisions, qui me paraît essentielle. Certes, France Ô était regardée par les Ultramarins pour les informations qu'elle diffusait sur ces derniers mais, comme vous l'avez souligné, les petites télévisions locales rassemblaient une audience plus nombreuse encore.

Le plus important, c'est bien que les Français de l'Hexagone aient accès à la réalité des outre-mer, et ce souci a été au coeur des discussions sur le pacte pour la visibilité des outre-mer signé le 11 juillet dernier entre France Télévisions et le Gouvernement. De nombreux parlementaires se sont également impliqués sur ce sujet. L'objectif est d'augmenter la visibilité des outre-mer sur France Télévisions. Il se décline en 25 engagements mesurés par 11 indicateurs.

Le cahier des charges de France Télévision intègre désormais un nouvel article consacré aux outre-mer qui reprend de nombreux engagements du pacte et qui prévoit de garantir une place appropriée à l'actualité, aux territoires et aux populations d'outre-mer dans les éditions nationales d'information de France Télévisions et de diffuser un programme ultramarin en première partie de soirée sur une antenne nationale chaque mois, un magazine généraliste consacré à l'actualité, aux sociétés et aux cultures d'outre-mer, un bulletin quotidien d'information sur l'outre-mer et des documentaires ultramarins de façon régulière.

Le pacte inclut également un soutien à la production de documentaires tournés en outre-mer à hauteur d'au moins 2 millions d'euros par an.

Le premier bilan de suivi des engagements de ce pacte est très positif : 23 des 25 engagements ont d'ores et déjà été remplis.

Concernant les petites chaînes outre-mer, il ne me semble pas que la réforme modifie la situation actuelle : le projet de loi ne tend pas à créer un déséquilibre nouveau. La charte conclue en 2015 sous l'égide du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour éviter une concurrence déloyale des grandes chaînes nationales à l'encontre des chaînes locales en matière de publicité reste applicable et fera l'objet d'une supervision spécifique par le régulateur.

Je suis convaincu que la visibilité des outre-mer au plan national sera meilleure après la réforme et qu'il ne faut pas s'arrêter à la seule suppression de France Ô. Une fois encore, cet objectif sera sans doute mieux servi par l'attribution de créneaux spécifiques au sein de chaînes nationales regardées à la fois par les Français de l'Hexagone et des outre-mer que par l'existence d'une chaîne spécifique.

J'en viens à l'intervention de M. Ruffin, qui était assez fournie. Vous posez au fond la question de l'opportunité de la propriété privée des médias, Monsieur le député, mais à mon sens cette situation vaut mieux qu'un monopole de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF).

Le but assigné à ce projet de loi est de donner à l'audiovisuel public, aux chaînes existantes, les moyens de se battre à armes égales avec les acteurs tels que Netflix en leur garantissant un montant d'investissement suffisant pour hisser l'expérience des utilisateurs au niveau de ces plateformes émergentes, dont les capacités en termes d'investissement, de diffusion et d'attraction sont aujourd'hui bien supérieures.

Certes, Netflix et les nouveaux entrants du monde numérique doivent prendre leur juste part dans le financement de la création culturelle française et ne peuvent continuer d'échapper aux règles en vigueur. Toutefois, si ces services ont une audience aussi importante, c'est notamment en raison de leurs capacités d'investissement.

Vous pouvez bien sûr m'objecter la nécessité d'accroître l'investissement de la puissance publique. Je rappelle néanmoins que le financement de la télévision publique continue de reposer sur la redevance : si nous décidions de nationaliser toutes les chaînes de télévision au motif que la propriété privée des médias serait un problème, il faudrait non seulement lui appliquer un coefficient multiplicateur correspondant au nombre de chaînes à financer, mais aussi augmenter sa valeur pour assurer un niveau de qualité de service suffisant.

Comme souvent, Monsieur Ruffin, vous faites un raccourci en agitant le chiffon rouge des intérêts privés, mais il y a une régulation des médias audiovisuels, et les sociétés de rédaction ont fait la preuve à plusieurs reprises de leur indépendance. Je vous le concède, nous n'avons pas prévu de remettre en question le principe de la propriété privée qui régit notre économie, mais vous pourrez nous savoir gré de tout mettre en oeuvre pour essayer, dans ce système, de trouver les voies et moyens permettant le financement de programmes de qualité avec, concernant le service public, une mission spécifique de promotion de la culture.

Vous avez raison de souligner les problèmes posés par l'économie de la gratuité car, comme on le dit, quand c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit. Le fait est que, en particulier sur internet, le paiement est biaisé, il intervient par des moyens détournés. Les solutions ne sont pas simples, et vous semblez vous-même à court de propositions pour répondre aux problèmes posés.

L'urgence actuelle, c'est-à-dire la concurrence des sociétés américaines ou étrangères, qui gagnent de plus en plus de parts de marché, nous commande de donner à nos entreprises, aux médias culturels européens, la capacité de se battre à armes égales avec leurs concurrents dans le cadre régulé existant propre à la presse.

Quant aux thèmes de la démocratie et de l'environnement, il me paraît plus judicieux de faire en sorte que les médias concernés par le projet de loi puissent les développer en toute indépendance, plutôt que d'influencer leur ligne éditoriale. Une telle immixtion de la part du Gouvernement, du Parlement ou de toute autorité politique serait d'ailleurs malvenue. La démocratie, en particulier, s'appuie notamment sur la pluralité, la diversité des médias, laquelle est menacée par les difficultés que rencontre le modèle économique actuel et que nous essayons de résoudre.

Madame la députée Christine Hennion, vous m'avez interrogé sur la notion de « meilleurs efforts ». Nous avons déjà eu un débat de la même teneur au sujet de la proposition de loi de votre collègue Laetitia Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Nous nous dirigeons en effet de plus en plus vers une politique publique dite de la compliance, terme anglo-saxon pour lequel il n'existe pas de traduction en français, la notion de meilleurs efforts étant elle-même ancrée dans la tradition juridique anglo-saxonne : les entreprises doivent démontrer qu'elles fournissent leurs meilleurs efforts pour remplir les conditions requises par le régulateur, qui aura les moyens de le vérifier par ses pouvoirs d'enquête sur pièces et sur place.

L'histoire a montré qu'il est vain de figer le dispositif légal : parce qu'il est difficile d'anticiper les modèles d'affaires ou les produits qui seront développés dans le futur au moment de l'écriture de la loi, celle-ci est souvent contournée. La notion de meilleurs efforts gagnerait peut-être à être mieux définie, au moyen par exemple d'un faisceau d'indices, mais il convient de laisser le régulateur juger de la bonne foi des entreprises, comme c'est le cas pour la régulation des télécommunications, et il revient toujours au juge d'apprécier une telle adéquation en dernière instance. Si une sanction doit être prise, l'entreprise peut saisir le juge, lequel évaluera si les meilleurs efforts ont été mis en place en l'espèce.

Sur les jeux vidéo, j'avoue que vous me prenez un peu de court. Comme vous le voyez, des réponses m'ont été transmises en direct, mais en raison de leur caractère illisible et complexe, je vous propose que nous y revenions en séance dans un mois.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.