Le sujet des lanceurs d'alerte est particulièrement délicat à appréhender en France, pour plusieurs raisons. La première tient sans doute au fait qu'il s'agit d'une pratique venant des États-Unis, une pratique ancienne et terriblement efficace faisant intervenir des whistleblowers la plupart du temps intéressés, qui finissent par toucher une part de l'amende recouvrée par les autorités de poursuite. Cet intéressement financier très important, qui concourt à l'action publique et à la recherche des fraudes, donne lieu en France à de fortes réticences. Le débat à ce sujet est aussi rendu difficile par l'histoire particulière de la France car, quoi qu'on en dise, ces pratiques s'assimilent à de la délation.
Il faut saluer l'adoption par la précédente majorité de la loi Sapin 2, qui a mis en place en France un cadre législatif pour les lanceurs d'alerte, accomplissant une avancée démocratique extrêmement importante. Notre pays est d'ailleurs apparu comme un exemple en Europe. Cela a placé le Gouvernement dans une situation très favorable au moment de la négociation puis de l'adoption de la directive de 2019, qui reprend l'essentiel des dispositions du droit français.
Dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, vous essayez d'opposer la loi relative au secret des affaires et la loi Sapin 2, affirmant que la première « marque un net recul » par rapport à la seconde. Vous prétendez qu'elle permet d'engager des poursuites contre les journalistes et les lanceurs d'alerte, ce qui est profondément inexact : ils sont exclus nommément de l'application du nouveau dispositif tant par la directive que par la loi relatives au secret des affaires. D'ailleurs, vous-même citez dans votre rapport un article où il est écrit : « ce texte étant perçu comme une menace pour les lanceurs d'alerte malgré l'affirmation qu'il ne doit pas entraver leur activité ». Je rappelle également que la directive relative au secret des affaires a été adoptée, une fois encore sur l'initiative de la France – c'était à l'époque du gouvernement dirigé par Bernard Cazeneuve – à une très large majorité, et que le Conseil constitutionnel a validé la loi de transposition, reconnaissant qu'elle ne portait pas atteinte à la liberté de la presse.
On ne saurait donc opposer la protection du savoir-faire des entreprises et celle des lanceurs d'alerte. Il faut avoir, dans les deux domaines, la même ambition : à la fois protéger nos entreprises et leur savoir-faire dans la compétition internationale et la guerre économique, et lutter très fermement contre la délinquance financière et économique, et en faveur des lanceurs d'alerte. Dans le processus qui doit nous conduire jusqu'à la transposition de la directive sur les lanceurs d'alerte, le groupe La République en marche entend bien ne pas se contenter d'une transposition simple. Nous entendons faire montre d'une grande ambition sur nombre de sujets que vous n'abordez pas dans votre proposition de loi, ou alors de manière extrêmement partielle – je pense notamment à l'assistance financière des lanceurs d'alerte dans les procédures et à leur rémunération.
Par ailleurs, à la suite de l'adoption de la directive de 2019, le Gouvernement a engagé un travail de fond. Une mission d'inspection a été chargée de faire le bilan de la loi Sapin 2, notamment s'agissant des lanceurs d'alerte. Le Parlement, en particulier la commission des Lois, doit se saisir lui aussi de la question. Nous devons engager un travail de fond, mais de manière coordonnée entre la majorité et l'opposition.