Tout d'abord, je me joins à mes collègues pour saluer le courage des soignants qui sauvent des vies et évitent le drame dans les hôpitaux ; nous devons tous penser à eux, comme le font tous les Français. Je voudrais aussi remercier le personnel de l'Assemblée nationale qui permet cette séance.
L'heure est grave et nous le savons tous sur ces bancs. Ce projet de loi de finances rectificative doit permettre, si j'ai bien compris, d'injecter les liquidités nécessaires de façon forte et urgente, pour éviter l'effondrement économique et social, conséquence de la crise sanitaire. Je voterai bien sûr ce texte car l'urgence oblige à l'union, mais il y a plusieurs points sur lesquels je voudrais insister, où j'aimerais obtenir des correctifs, ou du moins des inflexions.
La première urgence, c'est l'obligation d'annulation, plutôt que de report, des cotisations ; la présidente du groupe Socialistes et apparentés l'a souligné. Car l'on sait très bien qu'une fois qu'une entreprise est morte, le report ne sert pas à grand-chose.
Deuxièmement, je souhaite que soit étudiée la solution américaine de la monnaie hélicoptère – j'ai d'ailleurs déposé un amendement dans ce sens – car nous savons très bien que le relais par les banques ne permet pas forcément d'obtenir le crédit demandé. Souvenons-nous de l'épisode dramatique de 2008 qui a abouti à la création d'un médiateur du crédit chargé de veiller à obtenir une vraie réponse des banques. Pourquoi ne pas passer par une distribution directe aux Français ? Si l'épidémie dure, ce sera la seule solution.
Voilà pourquoi je veux en venir à l'essentiel. Si l'épidémie dure trop longtemps, les mesures compensatrices que nous allons voter ce soir ne pourront soutenir éternellement notre économie et garantir les revenus des Français. Or, à ce jour, l'épidémie n'est pas maîtrisée. Et si nous ne voulons pas arroser le sable et perdre de surcroît des milliers de vies supplémentaires, il faut gagner la bataille sanitaire, mère de toutes les batailles. Voilà pourquoi le Parlement ne doit pas seulement voter des crédits mais aussi veiller à l'usage qu'en fait le Gouvernement, et faire des propositions adaptées à la réalité du terrain, tant le fossé entre les annonces et la réalité de ce que vivent les soignants est immense.
J'avais proposé – ce qui avait été refusé – la création d'une commission nationale, associant toutes les forces politiques et syndicales, qui se réunirait très régulièrement et ferait remonter au Gouvernement la réalité de la situation. Il faut avoir le courage de dire ici la vérité. Le manque d'anticipation de votre Gouvernement, confirmé par l'ancienne ministre de la santé, Mme Buzyn elle-même, mais aussi, il faut le reconnaître, votre incapacité à garantir les moyens indispensables pour lutter contre le Covid-19 mettent en danger la vie de nombreux Français.
Il est urgent de changer de cap, de rythme. Car pour gagner la guerre il faut des ordres cohérents, un plan global et des soldats avec des munitions. Voilà des semaines que les agents hospitaliers attendent tout cela, que les médecins libéraux crient leur colère. Voilà des semaines qu'ils attendent les fameux masques.
Le ministre de la santé a indiqué ce matin que la France produisait 8 millions de masques par semaine. Or, si on compte 2 millions de membres du personnel de santé et de professionnels exposés, à raison de quatre masques par jour, le besoin n'est pas de 8 millions de masques par semaine mais par jour. Si on ajoute le nombre de Français qui doivent travailler pour faire tourner l'économie et les services publics, et qui méritent d'être rassurés, des millions de masques supplémentaires sont nécessaires.
Voilà pourquoi il est incompréhensible d'entendre encore des membres du Gouvernement nous dire que les masques ne sont pas indispensables. C'est faux. Taïwan, Hong Kong et Singapour ont jugulé l'épidémie parce qu'ils avaient pu fournir les masques nécessaires à leur population. Mieux encore : c'est parce qu'ils ont pu fournir ces masques qu'ils ont pu éviter, en permettant à une large partie de la population de continuer à travailler, l'effondrement de leur économie nationale. Les gestes barrières, consistant à se laver les mains et à se tenir à un mètre de distance les uns des autres, ne suffisent pas pour les personnes qui sont en contact avec un public. Un jour, il faudra de nouveau évoquer la responsabilité de ceux qui ont supprimé les stocks de masques stratégiques en 2011 et 2013.
Mais aujourd'hui, l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est de produire des masques. Nous devons nous rassembler pour multiplier par dix la production de masques. Au moins dix millions de masques devraient être produits par jour. L'armée doit aussi être appelée pour distribuer ces masques puisqu'on nous dit que des problèmes logistiques se posent.
En un mot, il faut changer de doctrine. Il ne faut pas prendre comme prétexte la pénurie de moyens pour infléchir la doctrine. Il faut adapter nos moyens aux exigences. Ce qu'a fait la Corée du Sud en matière de généralisation des tests et ce qu'ont fait certains pays asiatiques en matière de port du masque devraient nous inciter, et même nous obliger, à changer complètement de politique si voulons briser la contamination. Le confinement ne suffit pas, il doit être accompagné d'une généralisation des tests et d'une distribution massive de masques pour protéger nos concitoyens, au premier rang desquels figurent nos soignants.