Nous mesurons le poids des responsabilités qui pèsent sur vos épaules, monsieur Philippe, placé que vous êtes face à votre conscience, face à tous ceux qui sont touchés par vos décisions. Et cela vaut pour tous ceux qui ont des décisions à prendre, en tous lieux et en toutes circonstances, comme c'est le cas du personnel sanitaire jusque dans chaque chambre d'hôpital. À eux tous et à vous-même, nous ne nous contenterons pas de dire bon courage ; nous voulons vous assurer que nous serons toujours au rendez-vous de l'intérêt général. Nous sommes une opposition politique et nous le resterons, mais nous pratiquons cette opposition sans acrimonie et avec vigilance et exigence. Souvenons-nous tout le temps que la liberté de conscience et l'esprit critique sont des lumières pour la décision à prendre plutôt que des embarras.
Nous savons que le pic de l'épidémie est devant nous. Il nous reste huit à dix jours pour atteindre ce qui, pour l'instant, est prévu comme un maximum. Ce que nous avons à faire dans l'intervalle est assez clair. Le confinement, les gestes barrières ont pour objectif de ralentir l'expansion d'une contamination qui, pour le reste, est inéluctable. Ralentir pour que n'arrive pas le point de saturation des équipements hospitaliers. C'est pour réaliser cet objectif que nous luttons : empêcher cette saturation et, pour cela, tous les moyens, sans barguigner, doivent être mobilisés, de gré ou de force.
Ainsi de la mobilisation et de l'extension de la réserve sanitaire, de la réquisition publique de tous les moyens de santé privés, de la nationalisation des entreprises défaillantes : je pense à l'entreprise Luxfer, à Clermont-Ferrand, qui produit des bouteilles d'oxygène à usage médical et que son actionnaire a décidé de fermer, tandis que la confédération générale du travail, la CGT, et les personnels se sont déclarés disposés à la remettre en route pour reprendre immédiatement la production. Nous avons besoin d'une planification qui, monsieur le Premier ministre, dissipe les rumeurs. Nous avons besoin d'une planification de la production de millions de masques, de respirateurs et de tests pour peu qu'on se soit mis d'accord sur la nature de ces tests, et qu'on le fasse vite. Il n'y en aura jamais trop car, quand nous en aurons fini avec les besoins des Français, il nous faudra courir à la rescousse des autres peuples ; je pense spécialement à tous ceux de l'espace francophone.
Il faut en outre sécuriser la situation sociale des gens, sécuriser leur salaire, leur logement, leurs fournitures de base, pour qu'ils consentent à la discipline à laquelle ils sont appelés. Il faut enfin qu'on impose les réunions des personnels sur les lieux de travail avec les syndicats, oui, qu'on l'impose car les syndicats sont les meilleurs experts pour savoir quels sont les bons gestes sanitaires qui permettent de continuer la production et l'échange dans les conditions optimales de sécurité personnelle.
L'unité d'action du peuple est le moyen essentiel dont nous disposons en situation de péril commun.
Monsieur le Premier ministre, cette discipline et cette unité ne sont pas acquises sur ordre. Pensez à la force des symboles : refuser le rétablissement, même temporaire, de l'impôt de solidarité sur la fortune, rend plus difficile d'exiger des efforts supplémentaires de la part de ceux à qui l'on annonce que l'on va confisquer des jours de congé ou dont on va, dans une moindre mesure, rallonger la durée de travail. Chacun doit faire un effort à proportion des moyens dont il dispose : ceux qui ont le plus sont appelés à donner le plus.
Nous instaurons un état d'urgence sanitaire. Pourquoi pas ? Il n'y avait pas, à nos yeux, de vide juridique, mais nous sommes d'accord pour vous aider. Mais d'où vous est venue l'idée de reporter de douze jours à un mois le délai de saisine du Parlement ? Les assemblées ne sont pas de trop ! Nous sommes prêts, jour et nuit, dès que l'on nous convoque, à venir délibérer.
Notre République est une république sociale. Les droits sociaux ne doivent pas être la seule variable d'ajustement dans les moments difficiles.
Vous nous avez parlé du monde d'après : eh bien, le monde d'après doit commencer maintenant. C'est maintenant que doit cesser le catéchisme de l'égoïsme social. Le moment est venu de placer l'intérêt général, l'entraide et la solidarité au sommet de la hiérarchie des normes, plutôt que la concurrence, libre et non faussée, de chacun contre tous.
Collègues, nous allons tous beaucoup changer au cours de la période qui commence. Mais le plus important est de changer d'état d'esprit.