Instaurer un système rigide de contrôle et d'évaluation, au-delà du périmètre du texte, qui décrit ce qu'est l'état d'urgence sanitaire, reviendrait à nous faire perdre du temps. J'ai beaucoup apprécié la formule de M. Lagarde, qui a dit que nous ne pouvions légiférer aussi vite que le virus circule. Aussi, nous vous proposons un texte qui nous permet d'être plus efficaces. Je ne peux pas ne pas évoquer ici cette administration invisible au reste des Français, mais qui dans les ministères, les instances territoriales, les agences régionales de santé – ARS – , se consacre jour et nuit à sa tâche. Le contrôle parlementaire renforcé doit donc s'appliquer aux seules mesures relevant stricto sensu de l'état d'urgence sanitaire ; pour le reste, il faut nous laisser avancer en temps réel, à mesure que nous devons prendre des dispositions. Un amendement que je présenterai tout à l'heure permettra d'ailleurs d'inscrire ce contrôle dans le code de la santé publique et de garantir sa mise en oeuvre systématique.
Le propre des grandes crises sanitaires contemporaines, c'est d'être inédites et imprévisibles – et par conséquent, encore une fois, d'appeler des mesures inédites et imprévisibles. Celles-ci doivent néanmoins respecter strictement l'État de droit, les libertés publiques et individuelles. Le texte du Gouvernement avait conféré une portée très large aux mesures susceptibles d'être prises par décret en cas de déclenchement de l'état d'urgence sanitaire. Le Sénat a en revanche souhaité dresser une liste très limitative des mesures possibles. Cette liste n'est pas complète ; deux rubriques ont été ajoutées en séance, à l'issue de débats riches, vifs, qui ont d'ailleurs eu lieu au sein même de chaque groupe parlementaire. Pour autant, le texte adopté ne permettrait pas de prendre au besoin des mesures que nous ne pouvons anticiper aujourd'hui, par exemple la fermeture des établissements recevant du public, l'interdiction des déplacements professionnels, ou encore celle de certaines importations ou exportations, sauf à réquisitionner systématiquement les produits ; or la réquisition des masques nous a montré qu'une telle mesure pouvait avoir des conséquences logistiques pénalisantes.
Le Gouvernement souhaite donc conserver la possibilité d'aller au-delà de la liste établie par le Sénat, pour des mesures exclusivement réglementaires. Des garanties figurent déjà dans le texte : une finalité strictement limitée à la lutte contre les catastrophes sanitaires, une exigence de proportionnalité, un contrôle du juge administratif et un contrôle du Parlement. Pour accompagner la clause de sauvegarde que nous vous proposerons, nous offrons de consolider ces garanties. Cette clause de sauvegarde ne concernerait, je le redis, que des mesures réglementaires, à l'exclusion de toute mesure individuelle : si vous adoptez la version du texte que je vous proposerai, il sera impossible d'interdire à telle personne en particulier d'aller travailler, voire de sortir de chez elle. Il sera possible, en revanche, de prendre des mesures collectives, à l'instar de celles que le Gouvernement et moi-même avons été amenés à prendre pour assurer la sécurité des Français. De même, aucune mesure individuelle ne pourra être prise sur ce fondement par le ministre des solidarités et de la santé. Les mesures individuelles prises par les préfets dans le cadre d'une habilitation nationale ou locale seront transmises au procureur de la République. Enfin, toute mesure individuelle prise dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire sera placée sous le contrôle renforcé du juge, avec un référé sous quarante-huit heures.
Vous le voyez, nous avons tenu compte des débats du Sénat. Nous vous demandons plus de laxité, plus de latitude, afin de pouvoir prendre les mesures qui s'imposent dans l'urgence ; mais nous renforçons leur contrôle par le juge, le procureur et le Parlement. C'est l'objet des amendements que je présenterai. Encore une fois, j'en parlerai beaucoup moins longuement tout à l'heure.
Faudra-t-il adapter le dispositif aux éventuelles futures crises sanitaires ? Je n'ai aucune difficulté à reconnaître que notre action, nécessaire, se déploie dans l'urgence pour répondre à l'exigence du moment. Vous le savez, je suis profondément attaché au Parlement, dont je suis issu, et à l'importance de ses missions de contrôle et d'évaluation. Nous devrons tirer les leçons de cette crise sanitaire, comme nous avons déjà commencé de tirer les enseignements des dernières semaines.
J'ai créé le conseil scientifique, qui n'existait pas lors des précédentes crises sanitaires, et qui est placé auprès de moi. Le Président de la République souhaite le placer auprès de lui, ce qui est une bonne chose. J'ai demandé au conseil de travailler en toute transparence et lui ai donné, après avoir émis une déclaration publique d'intérêt, DPI, toute latitude pour travailler et la possibilité de se réunir par visioconférence ou dans la même salle. Le Président de la République a déjà reçu ses membres, avec lesquels je m'entretiens aussi souvent que nécessaire. Je les ai parfois saisis dans l'urgence, en leur donnant deux heures pour m'apporter une réponse — si ce n'est pas possible, je ne les contrains pas à en fournir une. Ma seule exigence envers le conseil est la transparence : les avis doivent être publics et disponibles pour tous les Français, comme ils le sont pour le Président de la République et moi-même. Tous les avis du conseil scientifique ont été publiés.
Jeudi dernier, j'ai demandé au conseil si les élections municipales pouvaient se tenir le dimanche suivant, en lui précisant que son avis devait être purement scientifique, sans intégration de la contrainte politique : en tant que médecins et scientifiques, pensez-vous que l'organisation de ces élections accroît le risque sanitaire ? La dimension politique est l'affaire du Gouvernement, qui assumera la décision. Le conseil scientifique nous a répondu que, dès lors que les personnes étaient autorisées à faire leurs courses, elles ne couraient pas de risque supplémentaire à aller voter.
Deux jours plus tard, le samedi, écoutant l'émoi monter dans la population, j'ai demandé au conseil scientifique de se réunir et de me dire, deux heures plus tard, s'il révisait son jugement sur la tenue du premier tour des élections, qui devait avoir lieu le lendemain, à nouveau sans intégrer la contrainte politique, sans penser aux assesseurs, ni aux bulletins imprimés et aux candidats. Le conseil scientifique nous a affirmé, non pas deux mais trois heures plus tard, que le premier tour de ces élections pouvait avoir lieu.
Tout est transparent, tout est public, tout se trouve sur le site du ministère des solidarités et de la santé. Le fonctionnement est fluide, innovant, inédit et transparent. Je vous demande de nous permettre de continuer à travailler dans ces conditions de transparence et de fluidité.
Certains amendements proposent de redéfinir le cadre de fonctionnement du conseil scientifique, ce à quoi je suis ouvert. Certains d'entre vous souhaitent, par exemple, qu'une éventuelle prolongation de l'état d'urgence sanitaire soit précédée d'un avis du conseil scientifique : cela me paraît tellement évident qu'il ne me semble pas nécessaire de l'écrire, …