Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du dimanche 22 mars 2020 à 18h30
Urgence face à l'épidémie de covid-19 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Nous vous l'avons dit, nous ne voterons pas ce texte : après en avoir délibéré, nous, les dix-sept députés du groupe La France insoumise, pensons en conscience que c'est notre devoir. En effet, nous ne pensons pas que les mesures qu'il contient soient à la hauteur de la situation telle que nous l'analysons.

Avant de résumer nos raisons, je voudrais dire une fois de plus quel est, dans ce moment, notre principe d'action. Nous sommes une opposition, une force de proposition alternative, et nous le resterons en toutes circonstances. Dans une démocratie, l'opposition contribue à l'intérêt général par ses marques de solidarité, mais aussi par ses critiques, qui permettent de ne jamais oublier le postulat fondamental de la démocratie et de la raison : en toute situation, un autre chemin est possible. Si le devoir et le droit de la majorité étaient évidemment de prendre les décisions qui lui paraissent nécessaires et d'en exiger l'application, le droit et le devoir d'une opposition sont de proposer une solution alternative, c'est-à-dire de se présenter comme un recours à la disposition du pays. C'est ce rôle que nous assumons en cet instant, avec notre plan d'urgence, nos amendements et nos interventions dans l'hémicycle.

La pandémie est certes un fait biologique, mais elle est avant tout un phénomène social qui résulte des conditions dans lesquelles, jusqu'à présent, l'humanité a produit, échangé, défini ses priorités. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est parce que l'égoïsme social, la liberté du marché et la concurrence libre et non faussée ont dominé sans frein, affaibli et détruit sans contrepartie presque tous nos moyens de défense collective. C'est avec cela qu'il faut rompre pour de bon, pas seulement pour créer un monde nouveau demain, mais aussi pour pouvoir nous tirer d'affaire dès aujourd'hui. Autrement dit, le monde d'après, sur lequel bon nombre projettent à présent leurs espérances, doit commencer dès maintenant avec d'autres moyens de produire et d'échanger, et une autre hiérarchie des normes. L'intérêt général, le salut commun, l'entraide, la planification écologique : voilà ce qui doit dorénavant et sans délai dominer. Selon nous, dans la situation de péril commun, ces principes ne doivent rencontrer aucune limite.

À nos yeux, les meilleurs artisans sont ceux qui, par leur travail, font vivre le pays à chaque instant. Le confinement forcé est nécessaire et indispensable et, par solidarité avec les consignes données par les autorités sanitaires et le Gouvernement, j'invite chacun à le respecter, même s'il n'est pas sans coût psychologique grave. Mais il n'est pas l'horizon indispensable et indépassable de l'action collective pour le futur. La France dispose de tous les moyens matériels, moraux et même spirituels pour maîtriser la situation et d'atteindre ses objectifs sanitaires. Pour ce faire, le front social doit être pourvu sans délai du nombre nécessaire de masques, de respirateurs, de tests – indispensables pour savoir qui est malade et doit être confiné, qui ne l'est pas et doit pouvoir se rendre utile. À cette fin, les 100 000 salariés des 1 000 entreprises de textile doivent être réquisitionnés pour produire en priorité les centaines de millions de masques dont nous avons besoin ; les milliers de postes de travail des entreprises de mécanique doivent être réquisitionnés pour produire les milliers de respirateurs dont nous avons besoin ; les entreprises fermées ou en liquidation, dont les productions touchent directement aux moyens dont nous avons besoin, doivent être nationalisées et rouvertes sans délai : tout l'appareil de production peut et doit être mobilisé, jour et nuit, pour stopper le désastre avant le pic de l'épidémie.

Dans toutes les entreprises concernées, les salariés eux-mêmes doivent décider des meilleures conditions sanitaires de la production, être équipés pour leur protection et, par le contact avec les entreprises qui les fournissent, organiser la continuité des chaînes d'approvisionnement qui leur sont nécessaires. Chacun doit se voir garantir que son revenu, son logement et ses fournitures de base seront assurés, et que par conséquent, il peut et doit consentir sans condition au confinement. Un impôt sur les grandes fortunes et les revenus du capital doit immédiatement contribuer au financement des mesures de salut commun. La France doit se mobiliser non seulement pour elle, mais également pour participer à la solidarité avec les peuples qui l'appelleraient à l'aide, en particulier et en priorité ceux de l'espace francophone.

Votre plan ne prévoit ni cette mise à contribution de toutes les composantes du pays, ni la planification des moyens nécessaires. Il ne tire aucune leçon de l'égoïsme des nations qui composent l'Union européenne, laquelle, au mépris des valeurs qu'elle proclame, s'est opposée à tout bon sens. Vos décisions seront appliquées et, même si nous n'y croyons pas, nous vous souhaitons de tout coeur qu'elles réussissent. Mais, si elles échouent, le pays doit savoir qu'il dispose sur nos bancs d'une proposition alternative, d'une autre cohérence.

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