Intervention de Edouard Philippe

Séance en hémicycle du mardi 21 avril 2020 à 15h00
Questions au gouvernement — Stratégie de sortie du confinement

Edouard Philippe, Premier ministre :

Monsieur le président Vigier, vous avez introduit votre question par une pensée pour les plus de 20 000 hommes et femmes décédés en France de la maladie du Covid-19. Je m'y associe, en y ajoutant un message d'encouragement, dont je sais que vous le partagez, à ceux qui, à l'hôpital, luttent contre cette maladie, assistés et accompagnés par des femmes et des hommes au dévouement et aux compétences remarquables.

Vingt mille Françaises et Français ont été frappés à mort par ce virus. Cela signifie que beaucoup d'entre nous déplorent le décès de gens très proches d'eux. Dans ces moments où la façon de dire au revoir à ceux qui nous sont proches est nécessairement imparfaite, et rendue plus difficile encore par certaines réglementations, les messages d'amitié pour ceux qui éprouvent une telle peine importent.

Votre question en soulève trois, auxquelles je tâcherai de répondre le plus clairement possible.

S'agissant des masques, vous me demandez quand il sera recommandé, nécessaire ou obligatoire de les porter, et de quels types ils seront. Rappelons ce qui est clair : les masques FFP2 et les masques chirurgicaux sont destinés en priorité et dans la durée aux soignants et aux malades. Le terme de « soignant » doit être pris dans son sens le plus large, ce qui n'a pas été le cas au début de l'épidémie, à raison de notre souci que ceux exerçant en milieu hospitalier en disposent en nombre suffisant. Dès lors que nos importations et notre production nationale ont augmenté, notre objectif est de faire en sorte que l'accès aux masques chirurgicaux soit garanti non seulement aux personnels hospitaliers et aux praticiens de la médecine de ville, mais aussi à ceux qui accompagnent les personnes vulnérables et fragiles, dans le cadre des services à domicile ou au sein d'établissements médico-sociaux.

Pour les autres, notre objectif est de faire en sorte qu'ils aient accès à des masques grand public, qui sont très performants. Normés et certifiés, ils correspondent à un niveau d'exigence élevé. Ils sont produits par l'industrie textile française ou achetés à l'étranger par de grands importateurs, afin que nous disposions rapidement du volume nécessaire pour équiper quiconque souhaite ou doit en porter. Ces masques étant lavables dans certaines conditions – parfois plusieurs fois, voire de très nombreuses fois – , ils permettront d'équiper nos concitoyens dans la durée. Leur doctrine d'usage est en cours d'élaboration, non par le Gouvernement – vous vous en doutez bien, monsieur le président Vigier – , mais par les autorités de santé.

Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer, il est déjà possible d'identifier des cas dans lesquels le port du masque sera probablement obligatoire, tels que l'usage des transports en commun. On comprend bien que, dans une rame de métro, à Paris, à Lille ou ailleurs, la densité de population peut être telle – même en en limitant l'accès – qu'il est nécessaire de rendre obligatoire le port du masque.

La deuxième question que vous posez porte sur la sérologie. Des tests existent ; certaines entreprises implantées à l'étranger, en Asie, aux États-Unis ou en Europe, en produisent et en vendent. De nombreuses autorités nationales en ont acheté. Mais vous savez comme moi, monsieur le président Vigier, qu'ils ont montré certaines limites, dont certaines sont préoccupantes. Si la lecture d'un test présente un taux d'échec de 40 % – ce qui signifie que, quasiment une fois sur deux, on annonce à la personne testée un résultat qui n'est pas vrai – , le niveau d'incertitude devient tel qu'il serait probablement une très mauvaise idée de concevoir une politique de santé publique en se fondant sur son utilisation !

Il faut donc que les scientifiques – le chef du Gouvernement n'est pas capable de le faire – soient en mesure d'établir la spécificité, la sensibilité de chaque test. Il faut également, dès lors qu'ils sont efficaces, que nous puissions les produire en nombre suffisant pour les utiliser dans le cadre d'une doctrine. Le bon sens l'exige. Nous procédons donc ainsi, notamment avec les tests français – mais s'il existe de très bons tests à l'étranger, nous les achèterons : le problème n'est pas leur origine, mais leur efficacité.

Cela étant dit, tout n'est pas dit, monsieur le président Vigier. Même si certaines études suggèrent que, parmi les animaux, une protection immunologique peut résulter d'un contact avec le virus, de nombreux scientifiques – ne l'étant pas moi-même, je suis obligé de tenir compte de ce qui est dit – appellent l'attention sur l'incertitude réelle dans laquelle nous sommes, s'agissant du virus Covid-19, dès lors qu'il s'agit de déterminer si la présence d'anticorps détermine l'immunisation ou si au contraire, comme c'est le cas pour certaines maladies – la dengue par exemple – , elle facilite l'infection au lieu de la bloquer.

Il y a là une incertitude absolument considérable. Je n'y peux rien ; c'est un fait. Elle est là. Tant que nous ne savons pas ce qui est déterminé par la présence du virus, le recours aux tests sérologiques n'a pas du tout la même valeur et ne présente pas du tout le même intérêt que si nous le savions. Il nous incombe de prendre des décisions avec des facteurs d'incertitude considérables, inédits pour ainsi dire. Nous le faisons en nous fondant sur la science, dans toute la mesure du possible, ce qui est indispensable.

La troisième question que vous posez porte sur les EHPAD. J'ai en effet annoncé dimanche, avec M. le ministre des solidarités et de la santé, certaines mesures à effet immédiat permettant d'y réorganiser les visites, dans des conditions très strictes de sécurité sanitaire, en limitant le nombre de personnes et leur proximité physique avec les personnes âgées. Le respect de ces mesures de protection nécessaires permettra de rétablir le contact entre les familles et celles et ceux qui sont hébergés dans les EHPAD. Ce qui est vrai du contact familial le sera au fur et à mesure du temps des contacts professionnels, s'agissant non pas des médecins – ils ont déjà cours – mais des soignants dont vous avez rappelé les spécialités.

Nous devons le faire progressivement, en respectant des règles de sécurité très strictes. Nous devons le faire, car les syndromes de glissement se multiplient. Le confinement dans une chambre individuelle, pour une personne désorientée, parfois frappée par la maladie d'Alzheimer ou d'autres pathologies, en tout état de cause en situation de dépendance – c'est la raison pour laquelle elle vit dans un EHPAD – provoque assez largement des syndromes de glissement, dans les structures collectives comme à la maison – dans les logements individuels et dans les foyers.

Cette évolution nous inquiète. Elle inquiète les professionnels qui connaissent le secteur. Il faut donc trouver les moyens de garantir la sécurité sanitaire des personnes les plus fragiles sans les condamner à l'isolement complet. Il s'agit d'une équation redoutable. Nous devons trouver le moyen de la résoudre.

J'ai bon espoir qu'avec la mesure relative aux EHPAD que nous avons annoncée, associée aux mesures de solidarité prises notamment par les communes dans le cadre des centres communaux d'action sociale, qui accomplissent un travail remarquable, et aux reprises de contact entre médecins ou municipalités et personnes âgées, nous parvenions à éviter, dans toute la mesure du possible, l'accroissement du nombre de syndromes de glissement. Tel est l'enjeu qui est devant nous. Il s'agit d'un enjeu de santé publique – plus encore, d'un enjeu d'humanité.

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