Moins d'un mois après l'adoption d'une première loi de finances rectificative, nous voici réunis pour amplifier, assez largement, les dispositifs d'urgence adoptés face à la crise.
Nous sommes entrés dans une récession qui s'annonce d'une rare violence, avec un produit intérieur brut en contraction de 8 %. Notre économie est fortement ralentie et certains secteurs sont durablement à l'arrêt. Face à cette situation, le Gouvernement a choisi de recourir massivement à la dépense publique et à l'emprunt pour éviter un effondrement économique et social.
Nous vous le disons d'emblée : la majorité des membres du groupe Libertés et territoires votera le compromis trouvé avec nos collègues sénateurs lors de la commission mixte paritaire. Nous devons cependant regretter un manque de vision d'ensemble, et nous interroger : mais qui, finalement, paiera la note ?
Oui, l'ampleur de la crise sanitaire et ses conséquences socio-économiques imposent une réponse rapide et massive. Mais nos déficits publics sont multipliés par quatre, passant de 50 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 2020 à environ 200 milliards en loi de finances rectificative. Deux cents milliards d'euros ! Ce chiffre est plus parlant que les 9,1 points de PIB souvent mentionnés. Ramené à chaque actif français, il représente 7 434 euros de dette supplémentaires, soit 3,3 mois de salaire moyen d'un Français. Telle est la réalité.
Je ferai quelques remarques sur la répartition de ces déficits. Celui de l'État s'établit à lui seul à 185 milliards d'euros. Mais nous souhaitons appeler l'attention du Gouvernement sur celui des administrations de sécurité sociale.
M. le ministre Darmanin a évalué à 41 milliards d'euros le déficit pour les organismes de sécurité sociale. Ce montant ne prend pas en compte le déficit, de l'ordre de 10 milliards, de l'UNEDIC, fortement mis à contribution puisqu'il finance le tiers du dispositif de chômage partiel. Selon la ventilation que le ministre a bien voulu nous communiquer, à la suite de demandes répétées, le déficit de l'ensemble des administrations de sécurité sociale s'élèverait à 50 milliards d'euros. Au vu de cette dégradation, nous vous demandons instamment l'examen d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Nous demandons également l'examen d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques, laquelle avait été promise, je le rappelle, pour la fin de ce mois.
Quant aux collectivités territoriales, elles sont, pour reprendre l'expression consacrée, en première ligne. Le Président de la République s'est entretenu aujourd'hui avec des maires et des représentants d'associations de maires ; je n'oublie pas, pour ma part, les départements et les régions, également fortement mobilisés. L'impact de la crise actuelle sur les collectivités territoriales serait de 14 milliards d'euros. En effet, leur excédent, qui s'élevait, en loi de finances initiale, à 0,2 point de PIB, soit un peu moins de 5 milliards, est devenu un déficit de 0,4 point de PIB, soit 9 milliards. Ces dernières devront faire l'objet d'un plan de soutien dédié, à la hauteur de leur engagement, dès la prochaine loi de finances rectificative.
Sur de nombreux aspects, le Sénat a amélioré le texte que nous avions voté en première lecture. Certaines des mesures issues de la commission mixte paritaire vont dans la bonne direction. Elles portent parfois sur des montants peu importants, par exemple l'augmentation de la dotation élu local de 8 millions d'euros, que notre groupe avait défendue en première lecture, hélas sans succès. Mais il s'agit parfois aussi de mesures plus larges : je pense notamment à la défiscalisation et à la désocialisation des heures supplémentaires, qui, dans le contexte actuel, constituent un bon levier pour mieux rémunérer les salariés fortement sollicités – assorties toutefois du plafonnement du montant éligible à 7 500 euros. Il en va de même du quasi-doublement du plafond, à 1 000 euros, de la déductibilité des dons en faveur de l'aide alimentaire.
Est également maintenu le mécanisme subsidiaire de prêt participatif – jusqu'à 50 000 euros pour les petites entreprises – adossé au Fonds de développement économique et social. J'y vois la confirmation des difficultés qu'ont quelques entreprises à accéder au crédit malgré la garantie de l'État. Nous souhaitons que ce dispositif permette d'y remédier.
Disons un mot des 20 milliards que vous entendez consacrer à la prise de participation dans des entreprises stratégiques. À l'issue de la CMP, le Parlement est un peu mieux informé mais, dans cette affaire, ses pouvoirs n'ont pas été respectés. S'agissant de la conditionnalité sociale et environnementale de cette prise de participation, un petit pas a été permis par le Sénat. Le Haut conseil pour le climat donnera un avis sur le rapport remis au Parlement, lequel devra évaluer le respect de la stratégie nationale bas carbone et des objectifs de notre politique énergétique. Mais nous demeurons bien loin du virage écologique promis par le Président de la République. Le « jour d'après » attendra !
Nous regrettons également que les sociétés d'assurance ne soient pas davantage mises à contribution, comme le proposaient deux articles adoptés au Sénat. En tant que parlementaires, nous avons demandé quel était l'impact de la crise sur leur activité. Y gagnent-elles, y perdent-elles, et dans quelles proportions ?
J'aborderai enfin un dernier point qui constitue une transition entre le présent PLFR et le prochain, dont nous devrons débattre avant la fin du mois de mai. Le coût du dispositif de chômage partiel demeure largement sous-évalué. Je ne comprends toujours pas pourquoi l'UNEDIC, déjà déficitaire, porte un tiers du poids des 24 milliards d'euros qui y sont consacrés alors que son conseil d'administration ne s'est même pas réuni pour en discuter. Un coût de 8 milliards, pour un organisme dont la dette s'élève déjà à 37 milliards et sera portée d'ici à la fin de l'année à 50 milliards ! Sans compter que le montant de l'enveloppe sera finalement bien plus élevé : il est difficile de donner un chiffre, mais ce sera au minimum 30 milliards d'euros, comme le rappelait le président de la commission des finances. Nous devrons y revenir lors du prochain PLFR.
En conclusion, le groupe Libertés et territoires votera majoritairement pour cette deuxième loi de finances rectificative mais une forte minorité s'abstiendra.