Notre position n'a pas changé : nous voterons contre ce PLFR, le passage au Sénat n'ayant pas modifié le texte en profondeur. Ce projet de loi qui voit l'État intervenir massivement dans l'économie ne propose pas la moindre piste concernant le « monde d'après » que pourtant même l'Élysée, dit-on, appelle de ses voeux.
On ne peut pas relancer sur les mêmes bases la machine qui nous a conduits dans le mur, en se disant qu'on avisera plus tard : ce n'est ni possible ni souhaitable. On ne peut pas continuer avec les mêmes logiques productivistes, avec les mêmes logiques capitalistes.
Vous vous obstinez à vouloir offrir 20 milliards d'euros aux entreprises sans soumettre cette aide à la moindre condition environnementale ou sociale, comme si l'histoire ne vous avait rien appris. Vous refusez toute discussion sur le versement des dividendes dont on dit que, fin juin, les entreprises du CAC 40 vont se partager quelque 36 milliards. Vous refusez d'assujettir ces aides à la condition de ne pas avoir licencié pendant la crise, et cela alors que les entreprises avaient la possibilité de recourir au chômage partiel. Vous refusez de porter le chômage partiel à 100 % du salaire alors que nombre de nos concitoyens ne peuvent pas se permettre de perdre 20 % de leur salaire – et je ne parle pas de la perte des primes.
Dans ce contexte, on peut parler de grande détresse, de crise alimentaire même, comme le montre malheureusement ce qui se passe en Seine-Saint-Denis où, d'après le préfet, 15 à 20 000 personnes sont menacées de malnutrition. Vous vous obstinez à surtout ne rien changer et à n'écouter personne en dehors de votre camp, au point que vous n'avez même pas laissé passer les plus modérés des amendements de l'Assemblée qui visaient à conditionner ne serait-ce que légèrement ce cadeau de 20 milliards d'euros aux entreprises. Vous avez de même rejeté les amendements des sénateurs allant dans ce sens.
Le résultat ? Même les entreprises installées dans les paradis fiscaux vont pouvoir bénéficier de ces aides, alors que le ministre Le Maire avait assuré sur France Info que ce ne serait pas possible. Cela, donc, alors que ces entreprises trichent avec les règles du jeu fiscal !
Rien non plus sur le partage des richesses. Même le rétablissement provisoire de l'impôt de solidarité sur la fortune afin de faire participer les plus riches de nos concitoyens à l'effort national, vous l'avez refusé. Vous avez également rejeté les amendements du Sénat permettant de taxer un peu mieux le secteur des assurances.
Quant à la dette, même rengaine : vous continuez de fermer les yeux. Lorsque nous vous proposons une solution concrète, le rachat direct aux États de leur dette par la Banque centrale européenne et sa transformation en dette perpétuelle, idée qui intéresse de plus en plus d'économistes – même ceux qu'on n'attendait pas sur ce terrain, comme Alain Minc – , l'objectif étant de sortir de la crise par le haut et d'éviter que la dette ne devienne un boulet austéritaire pour des décennies, non seulement vous nous dites non, mais vous refusez même un rapport qui pourrait faire le point sur la question.
Ce qui, en fin de compte, est profondément inquiétant, c'est qu'aucune stratégie cohérente, aucune ligne directrice ne semble avoir été dessinée, aucune planification sanitaire, aucune préparation. Vous avez refusé, par exemple, tout projet concret de nationalisation ou de réquisition d'entreprises en nous répondant « Ne vous inquiétez pas, nous verrons bien. » Je suis inquiet que ce manque de préparation perdure.
J'ai entendu ici même Mme Pannier-Runacher écarter d'un revers de la main nos demandes répétées de nationalisation de l'entreprise Luxfer, qui fabrique des bouteilles d'oxygène et avait fermé en 2019 au prétexte que la France pourrait continuer de se fournir au Royaume-Uni… Bonjour la relocalisation et la souveraineté sanitaire ! Et je suis d'autant plus inquiet quand je constate qu'au même moment le Gouvernement se félicite de la commande de milliers de respirateurs auprès d'Air Liquide alors qu'une enquête de France Info montre qu'il s'agit d'un modèle qui ne fonctionne même pas dans les services de réanimation pour le Covid-19.
Je suis inquiet quand je vois les conditions dans lesquelles se prépare le déconfinement, même partiel. Pour l'école par exemple, entre le chef de l'État et M. Blanquer, les contre-ordres suivent les ordres, au point qu'on se dit qu'ils pourraient peut-être se téléphoner avant d'accorder des entretiens.
Pour ce qui concerne le secteur des transports, vous avez pu voir, chers collègues, le reportage diffusé hier par France 2 sur des lignes de métro et de train desservant en particulier la Seine-Saint-Denis, où les voyageurs sont à nouveau nombreux, et non protégés. Le déconfinement ne commence pas le 11 mai, il a déjà commencé pour de nombreuses activités ! Or le manque de préparation dans le secteur des transports pourrait s'avérer dramatique et favoriser la relance d'une crise épidémique d'une plus grande ampleur encore.
En matière d'approvisionnement en masques ou en tests, en matière de protection des travailleurs à échéance du 11 mai, toute cette impréparation nous semble hautement anxiogène. Et vous paraissez désormais vouloir vous reposer sur les territoires, non par volonté politique mais du fait de votre incapacité à organiser quoi que ce soit – c'est en tout cas l'impression que cela donne.
Le présent PLFR a le défaut d'être le reflet de cette gestion hasardeuse de la crise et du déconfinement. J'aimerais très sincèrement, pour le pays, pour sa santé, y déceler l'inverse ; mais ce n'est pas le cas et c'est pourquoi les députés du groupe La France insoumise voteront contre le texte.