Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voici donc le moment où nous devons dire à la France comment notre vie va reprendre. Depuis le 17 mars, notre pays vit confiné. Qui aurait imaginé, il y a seulement trois mois, la place que ce mot allait prendre dans notre débat public ? Qui aurait pu envisager une France dans laquelle, subitement, les écoles, les universités, les cafés, les restaurants, une majorité d'entreprises, les bibliothèques, les librairies, les églises, les temples, les synagogues et les mosquées, les jardins publics et les plages, les théâtres, les stades, tous ces lieux communs – pour utiliser une formule qu'affectionne le président de l'Assemblée nationale – auraient été fermés ?
Jamais dans l'histoire de notre pays, nous n'avions connu une telle situation : ni pendant les guerres, ni pendant l'Occupation, ni pendant les précédentes épidémies. Jamais le pays n'avait été confiné, comme il l'est aujourd'hui. De toute évidence, il ne peut l'être durablement, car si le confinement a constitué une étape nécessaire, il pourrait, s'il durait trop longtemps, avoir des effets délétères.
Le confinement a été un instrument efficace pour lutter contre le virus, pour contenir la progression de l'épidémie, pour éviter la saturation des capacités hospitalières et, ce faisant, pour protéger les Français les plus fragiles. Depuis le 14 avril dernier, le nombre de cas de Covid-19 hospitalisés diminue : de plus de 32 000 patients hospitalisés, il est descendu à environ 28 000. Depuis le 8 avril, le nombre de cas en réanimation diminue : il dépassait 7 100 ; il est désormais de 4 600. La décrue est engagée. Elle est régulière – lente, j'y reviendrai, mais régulière. Selon une étude de l'École des hautes études en santé publique, le confinement aura permis d'éviter au moins 62 000 décès en un mois et 105 000 lits de réanimation auraient manqué en l'absence de confinement. Je ne crois pas que notre pays aurait supporté cela.
Toutefois, un instrument ne vaut que si ses effets positifs ne sont pas, dans la durée, dépassés par ses conséquences négatives. Or nous savons, par l'intuition ou par l'expérience, qu'un confinement prolongé au-delà du strict nécessaire aurait pour la nation des conséquences gravissimes. Nous sentons que l'arrêt prolongé de la production de pans entiers de notre économie, que la perturbation durable de la scolarisation d'un grand nombre d'enfants et d'adolescents, que l'interruption des investissements, publics ou privés, que la fermeture prolongée des frontières, que l'extrême limitation de la liberté d'aller et venir, de se réunir, de rendre visite à ses proches, à ses parents présenteraient pour le pays, non pas seulement l'inconvénient pénible du confinement, mais en vérité celui bien plus terrible du risque de l'écroulement.
Je n'emploie pas ce terme au hasard. On me reproche plus souvent d'user de la litote que de l'exagération. Il nous faut donc, progressivement, prudemment, mais résolument, procéder à un déconfinement aussi attendu que risqué et redouté. L'objectif du Gouvernement est de présenter à l'Assemblée nationale et, grâce à elle, aux Français, notre stratégie nationale, c'est-à-dire les objectifs que nous visons et la façon dont nous allons procéder pour les atteindre à compter du 11 mai prochain.
Toute stratégie repose sur des constats. Le premier est médical. Il tient en quelques mots simples, que tous les Français doivent avoir en tête : nous allons devoir vivre avec le virus. Dès lors qu'aucun vaccin n'est disponible à court terme, qu'aucun traitement n'a à ce jour démontré son efficacité et que nous sommes loin d'avoir atteint la fameuse immunité de groupe, le virus va continuer à circuler parmi nous. Ce n'est pas réjouissant, mais c'est un fait.
On peut espérer que le virus disparaisse de lui-même. Les spécialistes des épidémies s'accordent – du moins, certains d'entre eux – pour reconnaître que cela arrive, que les épidémies s'arrêtent parfois sans que l'on sache très bien pourquoi. On peut espérer que l'incroyable effort de recherche engagé dans le monde entier permettra de trouver sous peu un traitement et, d'ici douze à vingt-quatre mois, un vaccin, qui renverrait ce virus au rang des questions de santé résolues par l'intelligence et la technologie humaines.
On peut tout à fait espérer tout cela, mais fonder une politique publique et organiser la vie des Français autour d'hypothèses aussi incertaines n'est pas envisageable. Il nous faut donc apprendre à vivre avec le Covid-19 et à nous en protéger. Voilà la première contrainte – et le premier axe de notre stratégie.
Le deuxième constat est à la fois médical et politique. Il tient au risque de voir repartir l'épidémie.
La décision de confiner notre pays a permis de ralentir la circulation du virus. Elle a permis que jamais nos services de réanimation ou de soins intensifs ne soient saturés au point qu'ils n'auraient pu admettre de nouveaux patients. Elle a permis à l'engagement des soignants, à l'imagination des équipes hospitalières, à l'organisation logistique des soins de tenir, en dépit d'une pression considérable, jamais vue. Je le répète : notre système hospitalier a tenu – mais il l'a fait au prix d'une fatigue bien compréhensible des femmes et des hommes, au prix d'une consommation de médicaments de réanimation et de consommables jamais constatée jusqu'alors, au prix d'une déprogrammation des opérations chirurgicales non nécessaires à court terme, mais qui finiront par l'être.
Le risque d'une seconde vague, qui viendrait frapper un tissu hospitalier fragilisé, qui imposerait un reconfinement, lequel ruinerait les efforts et les sacrifices consentis au cours de ces huit semaines, est un risque sérieux – un risque qu'il faut prendre au sérieux. Ce risque impose de procéder avec prudence, progressivement, sûrement, en reprenant notre vie selon des modalités qui permettent, semaine après semaine, de vérifier que nous maîtrisons le rythme de circulation du virus.
Le deuxième axe de notre stratégie sera donc la progressivité.
Le troisième facteur à prendre en considération est géographique. Il tient là aussi en quelques mots : la circulation du virus n'est pas uniforme dans le pays. Certaines parties ont été durement touchées, certains territoires enregistrent encore, après six semaines de confinement, un nombre élevé de nouveaux cas quotidiens, mais dans d'autres, le virus est quasi absent.
Cette circulation hétérogène du virus crée, de fait, des différences entre les territoires. Pour tous ceux qui, comme moi, croient au bon sens, il n'est pas inutile – il paraît même nécessaire – de tenir compte de ces différences dans la façon dont le déconfinement doit être organisé. Il s'agit non seulement de ne pas appliquer le même schéma dans des endroits où la situation n'est objectivement pas la même, mais aussi de laisser aux autorités locales, notamment aux maires et aux préfets, la possibilité d'adapter la stratégie nationale en fonction des circonstances.
C'est d'ailleurs pour cela que le Président de la République et moi-même avons décidé de dire rapidement quelle était notre stratégie nationale, afin que ceux qui vont participer à sa mise en oeuvre puissent prendre au plus tôt leurs dispositions. Avec plusieurs membres du Gouvernement, avec le coordinateur interministériel Jean Castex, je rencontrerai demain les associations d'élus locaux et les préfets, jeudi les partenaires sociaux, pour engager ce travail de concertation et d'adaptation du plan aux réalités de terrain.
Vivre avec le virus, agir progressivement, adapter localement : voilà les trois principes de notre stratégie nationale. À partir du 11 mai, sa mise en oeuvre va reposer sur le triptyque « protéger, tester, isoler ».
Protéger, c'est éviter d'être infecté par le virus ou d'infecter les autres. Les médecins nous disent que la contagiosité de la maladie apparaît deux jours avant les premiers symptômes et disparaît plusieurs jours après. Ils disent également que des porteurs du virus en proportion non négligeable ne présentent aucun symptôme et ne savent pas qu'ils peuvent le transmettre. Dès lors, il est impératif que chacun puisse adopter les comportements qui permettent d'éviter la contamination. À partir du moment où nous ne serons plus en situation de confinement, où les occasions de contact augmenteront à nouveau – il faudra les limiter, mais elles resteront plus importantes qu'aujourd'hui – , le respect des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale prendra encore plus d'importance.
Ces gestes barrières, tout le monde les connaît désormais : la distanciation physique et le lavage régulier des mains. À cela, il conviendra d'ajouter – je dis bien d'ajouter – le port du masque dans certaines situations. Je souhaite précisément revenir sur ce sujet, car cette question des masques a suscité l'incompréhension et la colère de nombreux Français : pourquoi n'y en avait-il pas pour tout le monde, fallait-il en porter, où les trouver ? Lorsque la crise a commencé, nous disposions d'un stock important de masques chirurgicaux – important au sens où il permettait de répondre à plus de vingt semaines de consommation normale des services hospitaliers. La production nationale était inférieure à cette consommation normale, mais complétée par des importations régulières. Avec l'apparition de l'épidémie en Chine, puis son arrivée en Italie, l'importation est devenue momentanément impossible et la consommation a augmenté dans des proportions incroyables.
Comme tous les pays européens, comme les États-Unis d'Amérique, la France a dû gérer le risque d'une pénurie de masques. Trois décisions ont donc été prises. D'abord, augmenter la production nationale de masques chirurgicaux, autant que faire se peut. Ce n'est pas simple, mais nous sommes en train d'y parvenir, en la doublant pour commencer, et en atteignant bientôt cinq fois son volume initial. Ensuite, réserver le stock existant aux personnels hospitaliers, pour garantir la fourniture de ces masques à ceux qui, en première ligne, auraient à soigner les malades. Il est arrivé que nous doutions de notre capacité à garantir cet approvisionnement dans la durée. Réserver les masques aux soignants, c'était, mécaniquement, refuser de les distribuer à d'autres : c'est un choix difficile ; c'est un choix contesté ; c'est un choix que j'ai estimé nécessaire. Enfin, nous avons lancé la production de masques en tissu pour compléter l'offre et ne pas dépendre des importations, dont nous ne savions pas si elles pourraient reprendre et, si elles reprenaient, pour combien de temps.
Les scientifiques eux-mêmes ont évolué. Au début, beaucoup nous disaient que le port général du masque n'était pas nécessaire, que le risque du mauvais usage était supérieur aux avantages espérés. Nous l'avons répété ; moi-même, je l'ai dit. Ils nous disent aujourd'hui – ce sont parfois les mêmes – qu'il est préférable, dans de nombreuses circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter : il me revient donc de le dire, et de faire en sorte que cela soit possible. Pendant la phase de pénurie, l'outil des réquisitions a été fort utile. Depuis maintenant plusieurs semaines, depuis que nous sommes rassurés quant à notre capacité à fournir en masques les soignants, au sens large, nous incitons l'ensemble des acteurs à se procurer des masques. Les données des douanes le montrent d'ailleurs assez clairement : il entre dans notre pays bien plus de masques que n'en commande le Gouvernement. Et croyez-moi, il en commande ! Nous recevons désormais près de 100 millions de masques chirurgicaux par semaine ; nous recevrons près de 20 millions de masques grand public lavables à compter du mois de mai.
Nous avons incité les entreprises et les collectivités à se procurer également des masques ; certaines, d'ailleurs, n'avaient pas attendu que nous les y incitions. Nous soutiendrons financièrement les collectivités locales qui achètent à compter de ce jour des masques grand public, en prenant en charge 50 % du coût de ces masques dans la limite d'un prix de référence.