Monsieur le Premier ministre, chaque soir, le directeur général de la santé égrène le triste bilan des victimes du coronavirus en France. Toutefois, chaque soir, il est des statistiques dont on ne parle pas : les décès survenus à domicile et ceux frappant les personnels soignants. Les chiffres annoncés officiellement comptabilisent uniquement les décès enregistrés à l'hôpital et partiellement dans les établissements médico-sociaux.
Pourtant, l'INSEE nous indique que la mortalité a tragiquement progressé, de près de 10 % en mars, et que le nombre de décès à domicile serait considérable : selon une enquête réalisée par un syndicat de médecins généralistes, il pourrait s'établir à 9 000. Autrement dit, le nombre de décès officiellement répertoriés serait sous-estimé de 38 %.
Sur les décès des personnels soignants, des interrogations demeurent aussi. Des médecins, des infirmiers, des aides-soignants et d'autres agents hospitaliers qui ont perdu la vie passent sous les radars de cette tragédie. Pourtant, chacun le sait, ils sont tombés pour la France.
Ce décompte funeste n'est pas destiné à alimenter l'inquiétude par des statistiques morbides. Mais, parce que nous vivons un drame national sans précédent, la tragédie doit être connue et son ampleur mesurée dans toutes les composantes de sa réalité. Il y va de la transparence que l'on doit à nos concitoyens mais aussi de la reconnaissance que méritent les familles des victimes. Cela me semble relever d'un principe d'humanité essentiel.
Passée la pandémie, les applaudissements vont se taire. La nation devra graver dans le marbre le nom de ses enfants qui ont perdu la vie. Le Président de la République a déclaré que nous étions en guerre. Or, dans une guerre, rien n'est plus important que d'estimer la réalité des pertes humaines et d'en rendre compte à la nation. Aucun soldat, aucun civil qui perd la vie dans un conflit armé ne doit disparaître dans les oubliettes de l'histoire. Monsieur le Premier ministre, combien sont morts, parmi les premières lignes que constituent les personnels soignants, auxquels nous ne dirons jamais assez notre reconnaissance ? Et combien de Français anonymes sont décédés à domicile ?