Nous avons tous entendu les inquiétudes et les critiques dans les premiers jours de la crise. Elles n'ont d'ailleurs pas cessé. Pourtant, on ne peut pas dire que l'Europe n'a pas pris la mesure de l'ampleur de la crise et que les Européens n'ont pas compris rapidement qu'ils ne pouvaient pas s'en sortir seuls. Certes, il y a eu un moment de sidération accompagné de réflexes nationaux, d'autant plus naturels que l'Europe n'a pas de compétence sanitaire claire ; certes, ces quelques jours nous ont peut-être coûté cher, mais les institutions européennes, comme les gouvernements, la société civile, les acteurs économiques, tous les Européens ont ensuite travaillé main dans la main.
Rapidement, l'Union a joué un rôle fort dans le cadre de ses attributions. Dès le 10 mars, à la demande du Président de la République française, les chefs d'État et de gouvernement se sont réunis en session extraordinaire pour tracer les axes d'une coordination européenne. Ils ont décidé de la fermeture coordonnée des frontières avec les pays non européens, pour éviter une réexportation du virus et une nouvelle vague, mais ils ont également pris des mesures concernant les frontières intérieures afin de maintenir la circulation des marchandises et des travailleurs frontaliers, et d'aménager des voies vertes.
J'ai connaissance de difficultés, mais l'amélioration est perceptible jour après jour. Nous avons également engagé des actions communes concernant les équipements médicaux et de protection : achats groupés, contrôle coordonné des exportations hors d'Europe, création d'une réserve européenne de matériel. Enfin, en activant le mécanisme européen de protection civile, nous avons mutualisé nos efforts pour permettre aux Européens en déplacement à l'étranger de rentrer chez eux.
Des centaines de millions d'euros ont été débloqués très rapidement pour la recherche de traitements et de vaccins. Les règles budgétaires et celles relatives aux aides d'État, ainsi que celles relatives à l'utilisation des fonds européens dans toutes les régions du continent ont été assouplies. Enfin, nous coordonnons notre réponse économique.
Une telle coordination et une telle coopération existent-elles ailleurs dans le monde ? Je ne le crois pas. Il est d'ailleurs intéressant que chacun nous en demande plus ! Nous coopérons également étroitement avec la Suisse, le Royaume-Uni et la Norvège. Cette coopération appartient désormais à l'ADN continental européen.
Depuis le 10 mars, les chefs d'État européens se sont réunis lors de deux autres visioconférences et une nouvelle aura lieu le 23 avril, consacrée à la réponse économique à la crise. Tous les ministres européens, à commencer par ceux la santé et de l'intérieur, procèdent de la même façon. Les ministres de l'éducation échangent également sur leurs pratiques.
Certes, certains acquis que nous pensions intangibles, comme la libre circulation des personnes, sont remis en cause. Mais nous montrons que nous sommes capables de nous organiser et que nous ne sommes pas disloqués. L'Europe et les Européens veulent faire vivre la solidarité et la coopération, comme l'a montré l'accueil de patients des zones les plus touchées dans les hôpitaux des pays voisins : 200 patients français ont été accueillis en Allemagne, au Luxembourg, en Suisse, en Autriche ; l'Italie et l'Espagne ont reçu beaucoup de matériel et des équipes médicales venues de Pologne et de Roumanie. L'effort collectif, toujours en cours, va permettre de faire revenir 350 000 Européens de l'étranger.
S'agissant des questions économiques et budgétaires, la crise est venue ébranler des dogmes que l'on pensait immuables. Nous sommes dans un régime d'exception – prévu par les textes. La BCE, comme l'Eurogroupe, a pris dès la semaine dernière des décisions pour répondre à ce défi, qui soulignent notre créativité.
Mon travail vise désormais à coordonner la sortie de crise et à reconstruire une Europe solidaire, refondation que le Président de la République a appelée de ses voeux. Il ne s'agira pas d'une parenthèse, tout ne pourra pas reprendre comme avant. La sortie du confinement doit être coordonnée, même si tous les pays ne prennent pas les mêmes mesures au même moment : la réouverture des commerces et la reprise des activités dans certains pays entraîneront une reprise de la circulation des personnes et des biens, qui affectera les autres, à commencer par les zones et territoires frontaliers. Nous devons donc privilégier le partage d'informations entre États membres. L'entrée en confinement a été complexe dans les zones transfrontalières ; le déconfinement doit être plus prévisible afin que nous puissions nous organiser. La Commission européenne a fait des recommandations ; nous en soutenons les principes : coopération et solidarité, coordination, fondement scientifique, critères épidémiologiques et capacités des systèmes de santé. Au moment où je vous parle, les vingt-sept ministres de la santé en discutent dans le détail.
Comment préparons-nous la gestion des conséquences économiques et sociales majeures de cette crise ? La BCE a pris des mesures fortes ; 37 milliards d'euros ont été débloqués dans le budget de l'Union européenne. L'accord trouvé par l'Eurogroupe la semaine dernière va au-delà, avec 500 milliards d'euros, en s'appuyant sur trois piliers : chômage partiel, prêts aux entreprises, soutien à taux réduit pour les États en difficulté.
Je le répète à tous mes homologues, aucun pays, si riche et prospère soit-il, ne pourra se relancer s'il n'a plus de clients. Nos systèmes économiques sont profondément imbriqués et nous ne pourrons donc nous en sortir qu'ensemble. Nous avons acté le principe d'un fonds de relance qui financera la reprise en s'appuyant sur des priorités européennes partagées, tel l'objectif de la neutralité carbone – le financement du plan ambitieux de transition climatique est toujours très attendu. Les chefs d'État et de gouvernement en discuteront lors du prochain conseil du 23 avril.
Le cadre financier pluriannuel européen 2021-2027 était en discussion avant la crise. Nous allons faire une proposition dans les prochains jours pour créer de nouveaux outils afin de renforcer notre souveraineté – vous avez parlé d'autonomie stratégique. Sans oublier nos anciennes priorités, comme la politique agricole commune (PAC) garante de notre indépendance alimentaire, nous devons aussi avoir de nouvelles et fortes ambitions.
Les citoyens nous le répètent, il faut réfléchir à l'Europe de demain. La conférence sur l'avenir de l'Europe permettra d'engager cette réflexion. Nous devons développer notre autonomie stratégique, dans les domaines sanitaire, pharmaceutique, des équipements de production, mais aussi dans le secteur numérique.
Ma conclusion sera pour l'Afrique. L'initiative, bienvenue, qui réunit les chefs d'État européens, du monde entier et africains, porte sur quatre domaines – sanitaire, recherche, humanitaire et économique – pour lesquels l'Afrique a besoin de partenaires et de soutien. Au sein du G7 et du Club de Paris, la France plaide pour un moratoire sur la dette africaine. Nous cherchons à acter ce principe lors du G20 d'aujourd'hui, mais également à restructurer les dettes des pays les plus fragilisés. Le Président de la République l'a rappelé, dans le cadre d'une approche partenariale et globale, nous devons être aux côtés des Africains afin qu'ils améliorent leurs capacités de soins et puissent avoir accès aux traitements et aux vaccins en même temps que le reste du monde. Nous devons prendre en considération les conséquences humanitaires de la distanciation sociale sur des populations déjà très éprouvées ainsi que les difficultés supplémentaires que représente, pour ces pays exportateurs de matières premières ou de pétrole, le niveau des cours.