Nous sommes opposés au projet d'autorisation par décret de la publicité dite « segmentée », annoncé par le ministre de la culture M. Riester lors d'une interview donnée à France Inter, le 13 février dernier.
C'est d'abord un refus de principe : la publicité nuit suffisamment à notre environnement médiatique pour que son impact ne soit pas aggravé par une immersion ciblée, destinée à attirer davantage notre regard.
Ensuite, cette mesure risque d'ouvrir la boîte de Pandore : si la publicité ciblée est autorisée, au nom de quel principe les médias télévisuels n'adapteraient-ils pas leurs programmes aux publics les plus rentables ? Un rapport de 2014 du conseil des droits de l'homme des Nations unies nous alertait déjà sur le fait que certains programmes télévisuels ne s'adressent plus aux catégories socio-professionnelles dotées d'un faible pouvoir d'achat.
Enfin, nous savons que le développement de la publicité ciblée sur internet s'est accompagné de la violation du droit à la vie privée de millions de personnes en France. Pour cette raison, Google a été condamné, en janvier 2019, par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à une amende de 50 millions d'euros – qui n'a d'ailleurs toujours pas été payée.
Pourquoi généraliser cette pratique à la télévision ? Le rapport des Nations unies alerte sur le fait que si l'« on prétend souvent que le consommateur renonce à sa vie privée […] pour pouvoir obtenir des produits et des services à des prix plus avantageux », il n'est en réalité, dans la plupart des cas, pas pleinement conscient du fait que sa « vie privée est en train d'être violée, ni dans quelle mesure elle l'est, et de ce que cela implique sur le plan de [sa] liberté de pensée et d'opinion ».
M. Riester assure qu'un cadre protecteur de la vie privée sera posé ; nous venons de montrer que cela n'est pas possible. Il ajoute que l'ouverture à la publicité ciblée se justifie par le besoin de disposer d'acteurs français puissants dans le domaine audiovisuel ; nous avons certes besoin de chaînes françaises de télévision puissantes, mais notre modèle ne peut être celui qui bafoue le droit des citoyens à avoir une vie privée, ni celui d'un paysage audiovisuel aux ordres des grandes entreprises privées.